A 89 ans, cette habitante de Kolbsheim a été de tous les combats sur la ZAD du Moulin, épicentre de l'opposition au Grand Contournement Ouest.
Dans son imposante demeure à l’abri des grands arbres qu’elle affectionne tant, bordée par un beau portail en bois tout juste vernis, Germaine Schell n’a pas grand-chose d’une zadiste. Ou de l’image que l’on veut en donner. Un foulard noir tacheté de blancs autour du cou, le blazer parfaitement ajusté, cette octogénaire détonne, au sein de l’opposition au projet de Grand contournement Ouest (GCO) de Strasbourg. Depuis lundi 10 septembre, jour de l’évacuation de la ZAD de Kolbsheim, elle est de tous les rassemblements organisés par les zadistes. Jamais bien loin de la zone sécurisée par des dizaines de gendarmes où, déjà, le déboisement a commencé.
« Je ne peux pas voir cette souffrance, et les gens qui pleurent, les gens tiennent aux arbres, car les arbres, ça donne de la vie. Vous avez vu quand ils ont scié ces arbres, comme elles ont souffert ces plantes ? », s’émeut la vieille dame, habitante de Kolbsheim depuis 30 ans. « C’était des arbres centenaires, même parfois encore plus. J’y passais dans cette forêt, j’allais m’y promener avec mes petits enfants et mon chariot ». Son chariot, c’est son déambulateur.
Celui qui l’accompagne dans toutes les protestations, qu’elle ne manque jamais. Pas même à 5 heures du matin. « La pasteur du village a fait sonner les cloches l’autre jour (lundi, NDLR), comme à chaque rassemblement. Je me suis levée, il a fallu faire vite, mais doucement quand même pour ne pas me faire mal, et rejoindre le rassemblement au centre du village. Et ensuite on est descendu vers la ZAD », raconte-t-elle, sans trop se souvenir de quel jour il s’agissait. La maladie d’Horton, détectée en 2010, affecte sa mémoire et son élocution.
Sa détermination, elle, est intacte. Les nombreuses photos qui circulent sur les réseaux sociaux la montrant un mégaphone en main, face au mur des forces de l’ordre, en attestent. Sa mémoire l’a trahie, là aussi. Germaine Schell n’a, par contre, pas oublié les violences dont elle a été victime lors de l’évacuation : « Nous sommes arrivés au front, nous ne voulions pas que les camions passent, mais les gendarmes n’ont même pas attendu, ils nous ont tout de suite attaqués et gazés. J’ai reçu des coups de pieds dans les genoux, c’était terrible, j’avais mal », raconte-t-elle, assise devant une horloge à pendule en bois vernis.
C’était dans les années 1990, après la mort de son mari, un ancien proche du Front Populaire. « J’ai commencé à lire les journaux, je n’avais pas le temps avant, avec mes quatre enfants, je devais m’occuper de tout », se souvient cette ancienne commerçante, qui tenait une boutique de vêtements avec son mari. Avant, elle n’avait jamais touché à un journal.
Fille de fermiers, elle « aurait aimé faire des études, mais il a fallu partir travailler ». Alors, elle a rattrapé le temps perdu une fois à la retraite. A coup d’abonnements au Canard enchaîné – qui était déjà la bible de son mari -, au Monde diplomatique, à Politis, ou Alternatives économiques, dispersés un peu partout dans le salon. « La lecture me donne un aperçu de tout, je me suis instruite, sur ce qu’il se passait, sur ce que l’on pouvait faire, comment on pouvait se défendre », confie l’octogénaire, en agitant ses bras, jusque là croisés devant elle.
A l’image de sa gestuelle, la vieille dame n’a pas vraiment l’habitude du repos. Membre de plusieurs organisations (Greenpeace, Alsace Nature, Espoir, Confédération paysanne), Germaine Schell s’investit partout où elle le peut, avec pour seule limite la chute. « Si je tombe je suis alitée, c’est pour ça que je m’agrippe à ma petite voiture », s’amuse-t-elle. « Il faut soutenir ces causes, ces associations vont sur le bon chemin, elles ne sont pas axées sur le grand capital. Elles font du bien au peuple. Il faut le réveiller le peuple, il faut réagir ! ». Celle « qui entretient notre moral à tous », selon les mots d’un zadiste, ne s’arrêtera pas devant l’obstacle des camions qui sont entrés dans la ZAD. « Je me battrai jusqu’à ma mort, je me donnerai tout le mal possible ».
Augustin Campos
Retour sur les derniers évènements autour du GCO, un projet de plus en plus controversé.
réalisation Marie Dédéban