16 mars 2017
Le 25 mars 2017, les dirigeants européens doivent adopter une déclaration commune sur la relance de la construction européenne. Si elle est privilégiée par certains Etats membres, dont la France et l'Allemagne, l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses ne fait pas l'unanimité.
Quel avenir pour l’Union européenne ? Quelques jours avant le sommet du 25 mars à Rome, organisé à l’occasion du soixantième anniversaire du traité fondateur de la Communauté économique européenne (CEE), l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses a animé, mercredi 15 mars, les débats des eurodéputés réunis à Strasbourg.
Les « quatre grands » pour une Europe différenciée
Dans un contexte de crise institutionnelle, suscité notamment par le Brexit, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a proposé dans un « Livre Blanc », présenté le 1er mars, cinq scénarii pour l’avenir de l’UE. Parmi les différentes pistes envisagées (continuité ou approfondissement de l’intégration, coopérations renforcées, maintien d’un marché unique, focalisation sur des domaines restreints...), c’est le projet d’une Europe à plusieurs vitesses qui semble avoir le plus le vent en poupe.
Le 6 mars, les dirigeants allemands, français, italiens et espagnols, réunis à Versailles, ont adopté une position commune sur l’approfondissement de la construction européenne, mais pour certains Etats seulement. « Il s’agit d’aller plus fort et plus vite à quelques pays sans que d’autres ne puissent s’y opposer », a expliqué François Hollande à l’issue du sommet. Une option prise sans concertation avec les autres Etats membres de l’Union.
En réaction, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont annoncé leur intention d’inviter les pays du groupe de Visegrad (Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie) afin de discuter à leur tour du futur de l’Union. « Certains hommes politiques d’Europe de l’Ouest pensent pouvoir nous imposer leurs vues et nous dire de nous taire et de suivre », a protesté la Première ministre polonaise Beata Szydlo, le 10 mars, en réaction à l'initiative de Versailles.
« Les Polonais craignent qu’on veuille les pousser vers la périphérie », commente un diplomate français ui défend le projet des « quatre grands pays » : « Il s’agit d’une Europe différenciée, avec plus de coopération dans des secteurs clés comme l’union bancaire, la défense, l’harmonisation fiscale. »
Pour une intégration européenne plus poussée
Pendant la session plénière de mars à Strasbourg, Gianni Pittella, président du groupe S&D (sociaux-démocrates), a expliqué ne pas voir en l'Europe à deux vitesses une solution. « L'Europe ne doit pas être divisée entre des clubs de Série A et des clubs de Série B », a-t-il insisté. Un sentiment partagé par l’eurodéputée allemande Gabriele Zimmer, présidente du groupe de la GUE/NGL (gauche radicale), qui a regretté « certains égoïsmes nationaux ». Le groupe Verts/ALE a quant à lui défendu le scénario d'une intégration européenne plus poussée, notamment dans le domaine fiscal et social, quitte à forcer la main de certains Etats membres. « Nous sommes contre l’idée que l’Europe se mette au pas du plus lent », a développé Philippe Lamberts (Verts/ALE), visant implicitement la Pologne. Quasiment tous les groupes ont rejeté sans ambiguïté le scénario de l’approfondissement du marché unique comme seule direction à suivre, à l’instar de l’eurodéputée française Pervenche Bérès (S&D) : « Le marché intérieur n’a jamais fait rêver personne. »
Devant les eurodéputés, le président du Conseil européen Donald Tusk a confirmé que le scénario d’une « Europe à plusieurs vitesses sera au cœur des débats » lors du prochain sommet de Rome. Il a toutefois mis en garde contre la désunion des 27 : « Si vous voulez aller vite, allez seul. Si vous voulez aller loin, allez ensemble. »
« L’Europe avance déjà à plusieurs vitesses »
Le malaise suscité par le projet d’Europe à deux vitesses est particulièrement fort chez les élus d'Europe centrale qui craignent d'être mis à l'écart. L'eurodéputé bulgare Peter Kouroumbashev (S&D) a le premier jeté un pavé dans la mare le 5 mars sur le site d’actualités européennes euractiv.fr en comparant « l’Europe à deux vitesses » à l’ « apartheid ». Il se justifie : « La réponse à la crise que nous traversons actuellement ne peut se trouver dans la division. Au contraire, il faut encourager l’Union à s’élargir encore. » Si les économies de certains pays comme la Bulgarie sont loin de converger vers celles des Etats de l’ouest, il n’est pas juste, selon lui, d'accentuer encore cet écart. « L’Europe avance déjà à plusieurs vitesses : le groupe de Visegrad, les pays Nordiques, le Bénélux... »
La modification de l’architecture institutionnelle de l’UE n’est désormais plus à l’ordre du jour. « Les conditions ne sont pas réunies pour des bonds en avant institutionnels », a admis le premier ministre italien Paolo Gentiloni, invité à participer aux débats dans l’hémicycle européen. Celui qui accueillera le 25 mars le sommet de Rome a tenté de rassurer : « Il n’y aura jamais une Europe des petits et une Europe des grands. Tous peuvent participer à des formes de coopération renforcées. »
Texte : Arthur Blanc et Paul Boulben
Photos : Maxime Bossonney et Vickaine Csomporow