La pénurie fait l'affaire de compagnies privées, qui fournissent les paysans du Maharashtra par camions-citernes.
Sur les routes défoncées du district de Jalna, le ballet des citernes est incessant. Tirés par de gros camions ou de petits auto-rickshaws, ces réservoirs d’eau montés sur essieu maintiennent sous perfusion 7 500 kilomètres carrés de terre altérée. Ils multiplient chaque jour les va-et-vient entre points d’eau et villes, villages ou entreprises et exploitations.
Un marché prometteur
Dans une des zones industrielles de Jalna, un alignement de panneaux affiche la spécialité de petits ateliers : fabricants de citernes. En construire une de 10 000 litres coûte près de 30 000 roupies. Elle sera vendue le double. Ces ateliers se comptaient sur les deux mains l’an dernier. En 2013, Amit Kulkarni, journaliste local au Daily Pallavrang affirme en avoir dénombré près de 100. Ils tournaient encore à plein régime mi-avril. Mais à l’approche de la mousson, la demande a chuté, et une atmosphère de désoeuvrement annonce la fin de saison. Elle aura été bonne. Prasad Tanpure, ancien député du Maharashtra, estime que la barre des 50 000 tankers construits a sans doute été franchie cette année, soit un profit de 2 milliards de roupies, réalisé sur les acheteurs publics et privés.
Incapable de satisfaire au droit d’accès à l’eau potable que la loi reconnaît aux quelque 1,6 million d’habitants éparpillés dans ce district rural, l’administration a concédé cette mission à deux compagnies privées, en partageant équitablement le territoire. Leurs quelque 600 camions-citernes font chacun deux à trois trajets par jour. Il faut parfois 160 km pour un aller-retour. Certains villages éloignés ne les voient qu’une fois par semaine. L’Etat, par l’intermédiaire du préfet de district, leur verse 135 roupies pour 1000 litres livrés. L’eau est mise gracieusement à disposition dans des réservoirs publics souvent creusés dans le sol d’immenses lacs artificiels desséchés.
Business as usual
S’il répond ainsi aux besoins essentiels, le service public est loin de satisfaire la demande inextinguible suscitée par la canicule, qui a éveillée la vocation d’une armée de petits entrepreneurs opportunistes. En réalité, c’est le secteur privé qui permet à la population du district de Jalna de boire -presque- à sa soif. Mais pas à moindre coût. Les marchands d’eau négocient les tarifs au téléphone. Et c’est surtout la distance avec le puits le plus proche qui détermine la facture. Si le prix moyen pour 1 000 litres oscille entre 250 et 350 roupies, des villageois du sud du district disent acheter la même quantité plus de 600 roupies.
Ramanlal Nand est dans la partie depuis 2003. Entre janvier et mi-juin, il approvisionne chaque jour une cinquantaine de familles à Jalna. Pour augmenter sa marge, il a investi, en 2007, dans le creusement d’un puits au pied de sa maison, en contractant 1 million de roupies d’emprunt auprès d’une banque et de prêteurs privés. Le jeu, dit-il, en vaut la chandelle. Grâce à la forte demande cette année, il a presque doublé son chiffre d’affaires. Revers de la médaille, son puits est maintenant presque à sec et il ne peut plus honorer ses commandes. Seule une bonne mousson lui permettra de relancer son business l’année prochaine.
Maxime Coltier, Rémy Dodet
Les camions-citernes peuvent contenir jusqu'à 20 000 litres. Ici, à Jalna, un camion réapprovisionne une cuve d'immeuble. © Rémy Dodet/Cuej