Vous êtes ici

Comment répartir le fardeau du désendettement ? Le PS et l'UMP exposent leur solution à quelques mois de la présidentielle. Les emprunts toxiques contractés par les collectivités françaises nourissent le débat politique. À Londres, le Premier ministre britannique a tranché : les marchés financiers de la City ne seront pas taxés par l'Union. Sa priorité reste la compétitivité de la place financière la plus importante d'Europe.

Revenir à l'équilibre, mais comment ?

« Pour 2012, ce sera 4,5% de déficit et 3% en 2013 et rien d’autre », affirme Gilles Carrez (UMP), rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale. «Le problème, c'est que ni l'UMP, ni le PS ne détaillent leur plan pour revenir à l'équilibre à l'horizon 2016».
Pour 2012, le gouvernement table sur 1% de croissance, alors que la Commission européenne pronostique 0,6%. Soit une différence de 5 milliards, à trouver pour maintenir l'objectif de réduction des déficits, selon les administrateurs des commissions des finances.
Quant au rééquilibrage des finances à l'horizon 2016, c'est plus de 40 milliards d'économies qu'il faudra réaliser, soit l'équivalent d'une année d'impôts sur le revenu. Sans compter les intérêts payés par l'Etat pour emprunter sur les marchés. Aux commissions des finances, les administrateurs estiment la combinaison d'une réduction des dépenses et d'une hausse des impôts inéluctable.

  • La position du PS et de l'UMP sur la réduction de dépenses

 

  • Et sur la hausse des impôts

Benjamin Edgard À paris et Guillaume Clere À bruxelles

 

 

 

A priori, rien ne prédestinait Saint-Maur-des-Fossés à devenir l’une des communes les plus endettées de France. Lovée dans un méandre de la marne, au sud-est de Paris, la ville abrite environ 76 000 habitants. Ici, pas de chômage endémique, ni de passé industriel difficile à gérer.
Entre 2001 et 2008, le maire a contracté plusieurs emprunts, notamment auprès de Dexia, l’ancienne banque franco-belge des collectivités locales, en voie de démantèlement suite à la crise des subprimes. Sur cette période, la dette a cru de 13% par an. A tel point que fin 2008, elle représentait 248 millions d’euros, soit 3293 euros par habitant, selon un rapport de la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France. Un chiffre presque deux fois supérieur à la moyenne.

« Une véritable drogue »

Plus embêtant encore est la nature de cette dette. Elle est composée à 89 % d’emprunts  dits «structurés», c’est-à-dire d’emprunts composés de plusieurs phases. La première période est à taux fixe, souvent très alléchant. Puis viennent une ou deux phases avec des taux variables suivant des formules parfois très complexes. L’évolution du taux d’intérêt, basée notamment sur la variation des grandes monnaies mondiales, est difficile à prévoir.

L’emprunt structuré devient « toxique » quand la commune ne parvient plus à le rembourser. A Saint-Maur-des-Fossés, certains prêts, souscrits sur la base d’un taux d’intérêt de 1%, pourraient, en 2014, atteindre un taux de 22,5 %, selon le compte-rendu de la commission d’enquête sur les produits financiers à risques souscrits par les acteurs publics locaux daté du 21 septembre 2011. Comment une ville sans difficultés économiques a-t-elle pu s’endetter à ce point ?

Refiler le fardeau

Arrivé aux commandes de la mairie en 2008, Henri Plagnol (UMP) rejette la responsabilité sur l’équipe précédente. «Cette ville tranquille de la petite couronne ne se serait jamais trouvée dans une telle situation s’il n’y avait eu la rencontre entre une gestion administrative sérieusement défaillante et un produit extraordinairement séduisant», déplore-t-il lors de son audition par la commission d’enquête pilotée par le député Claude Bartolone.

A Saint-Maur, «ces emprunts ont permis de bénéficier d’une manne financière sans avoir à augmenter les impôts. C’était une véritable drogue», analyse Jacques Leroy, premier adjoint et chargé des finances. Aujourd’hui, les élus appellent l’Etat à la rescousse.

Mais Saint-Maur n’est pas un cas isolé. Depuis les années 2000, plus de 10 000 prêts structurés ont été signés par les collectivités territoriales françaises, selon le rapport final de la commission parlementaire paru le 15 décembre. L’encours total de ces emprunts est estimé à 14 milliards d’euros.

 

La banque Dexia a vendu 70% de ses prêts toxiques à des collectivités. (CUEJ/DR)

Ces prêts ne sont pas forcément le résultat d’une gestion irresponsable. Certaines communes n’avaient pas les services financiers adéquats pour comprendre les contrats complexes proposés par les banquiers, d’autres leur ont simplement fait confiance.

Le dessus de l’iceberg

Quoiqu’il en soit, le pire serait à venir. Selon Jacques Descourtieux de Finance Conseil, plus de la moitié des prêts structurés étaient encore dans la période à taux bonifié fin septembre 2011. Donc seuls 45% des emprunts étaient entrés dans la seconde phase à taux variable. En 2012, c’est 77 % des emprunts structurés qui seront à taux variables et la proportion atteindra 87% en 2013.

Dans ces conditions, qui doit payer ? Pour le médiateur chargé du dossier des emprunts toxiques Eric Gissler, une chose est sûre  : «ce sera toujours le contribuable, local ou national, qui paiera.» Dexia, la banque qui a fabriqué et vendu 70 % des prêts structurés contractés par les collectivités, ne pourra pas tout assumer puisqu’elle est en cours de démantèlement. Désormais, une «bad bank» franco-belge rassemble ses actifs toxiques. Cette structure de défaisance est garantie par l’Etat à hauteur de 33 milliards d’euros. Donc faire payer Dexia, c’est indirectement faire payer le contribuable français.

A Saint-Maur, ce dernier pourrait bien mettre la main à la poche deux fois. Une fois pour les erreurs de ses élus via les impôts locaux et une autre en tant que contribuable national pour le sauvetage de Dexia.

Eléa François

 

La City a obtenu le soutien du Premier ministre britannique, David Cameron. (CUEJ/Anna Benjamin)

David Cameron a choisi de défendre les intérêts de la finance londonienne. En échange de sa signature pour inscrire le renforcement de  la discipline budgétaire dans un  traité européen , il exigeait d'y annexer deux protocoles : la garantie de son droit de regard sur le marché unique, mais surtout la protection la City contre la supervision et la réglementation financière européenne.

Les activités financières de Londres contribuent à 10% du PIB britannique. Sur ses 2,9 km2, 12 755 entreprises emploient 316 700 personnes directement et 1,1 millions indirectement. Avec 500 banques dont 241 banques étrangères, elle est le plus grand centre bancaire mondial. Le profit du secteur : 35 milliards de livres en 2010.

«Les européens doivent comprendre que l'on a besoin de protéger la City contre la régulation, contre les taxes qui ferait perdre sa compétitivité à Londres par rapport aux autres places financières. Une quarantaine de propositions de l'Europe nuiraient à la City, surtout celle sur les transactions financières», explique Michael Fallon, député conservateur. 

Mais avec ce véto, le Royaume-Uni se retrouve plus que jamais isolé en Europe. Dès le 11 décembre Jonathan Powell, ancien chef de cabinet de Tony Blair,  écrivant dans le Financial Times, ne cache pas son inquiétude : «Le Royaume-Uni va être exclu de tous les processus de décision sur les politiques économiques de l'Europe. Nous serons liés aux décisions européennes mais incapables de les influencer». Charles Grant, du Centre pour la réforme européenne confirme que ce choix «est un désastre pour le Royaume-Uni qui menace l'intégrité du marché unique». Les décisions européennes sur le marché unique resteront prises à 27. Mais à 1 contre 26 imossible de bloquer un vote à la majorité qualifiée. Or c'est précisément la procédure en vigueur pour les législations qui peuvent affecter la City. « Si le Royaume-Uni veut gagner des votes, il aura besoin d'alliés », explique Charles Grant.

La City veut rester dans l'Europe

Pas sûr, donc, que le calcul de Cameron profite  aux intérêts économiques et financiers britanniques. «Le Royaume-Uni ne faisant plus partie du premier cercle, les intérêts qu'elle tentait de préserver pourraient être mis à mal», s'inquiète le Financial Times. Une situation qui pourrait nuire à la place financière londonienne. « La City veut rester dans l'Europe car c'est dans son intérêt. La moitié de ses investissements et de son commerce se fait avec des Etats membres. Le seul contentieux avec l'Europe reste la taxe sur les transactions financières », insiste Martin Horwood, député Libéral-démocrate. Pour lui « réouvrir ce débat sur l'appartenance à l'Europe dans cette période de crise est opportuniste et destructeur. L'instabilité est la dernière chose que veulent les marchés. Cela va nuire à l'économie britannique ».

Dans une interview à la BBC, John Cridland, président du CBI, la confédération des entreprises britanniques, a reconnu qu'il n'était pas sûr que la City sera mieux protégée en ne participant pas aux négociations européennes, et surtout s'est inquiété pour l'attractivité de l'économie britannique.

Ardoise supplémentaire pour le premier ministre britannique, la City est plus impopulaire que jamais chez les électeurs britanniques. «Il y a deux points de vue quant à son importance, nuance Michael Berlin, historien. Il n'y a pas de vraie industrie dans le pays donc son existence serait très positive sur l'économie britannique. L'autre point de vue est de dire que la City est un parasite car elle est surtout bénéfique pour le petit cercle de gens qui travaillent les uns pour les autres. Si vous allez dans le nord de l'Angleterre, si la City était sur la lune ce serait le même chose».

Anna Benjamin et Victor Pâtenotre À londres

 

Au cœur de Londres, le cœur n'y est plus


Le faste d'avant la crise a déserté la place financière londonienne. Ambiance au pied des tours de la City.

(CUEJ/Anna Benjamin et Victor Patenôtre)

Six dossiers qui fâchent

  • La taxe sur les transactions financières


Le Royaume-Uni considère cette taxe comme une attaque directe contre la City, qui abrite l'essentiel de ces transactions et que l'Eurozone ponctionnerait ainsi à peu de frais. Les Britanniques sont donc très remontés contre le projet de « contribution » franco-allemande sur ce sujet annoncé par François Baroin pour le 23 janvier.

  • La régulation des infrastructures de marché

L'Europe veut remettre à plat le marché des produits dérivés de gré à gré en l'obligeant à transiter par des chambres de compensation. La bourse de Londres, qui accueille aujourd'hui la plupart de ces chambres spécialisées, s'inquiète d'une réglementation de la concurrence tatillonne qui limiterait leur compétitivité. 

  • La directive Mifid II

Londres est favorable à son but qui est d'encadrer et de rendre plus transparentes les transactions de gré à gré sur les actions et les produits dérivés. Néanmoins les enjeux sont très importants pour la City qui abrite l'essentiel des marchés de gros dans ce domaine. La volonté de mettre au pas le trading à haute fréquence l'indispose particulièrement. 


  • La directive fonds propres IV

Les régulateurs britanniques reprochent à Michel Barnier de vouloir imposer en Europe un plafond uniforme qui les empêcherait de fixer des normes plus sévères. Les diplomates soupçonnent aussi le commissaire français de vouloir tailler la définition des fonds propres à l'aune des intérêts des banques françaises et allemandes.

  • L'Autorité européennes des Marchés financiers


L'AEMF, le régulateur européen, est basée à Paris. Après avoir soutenu sa création, le Royaume-Uni craint un renforcement de ses pouvoirs sur les superviseurs nationaux. L'AEMF est en effet compétente en matière de banque d'affaire, de chambre de compensation et de dépositaire de données électroniques, autant de domaines sensibles pour la City.

  • La limitation des ventes à découvert 


Le Royaume-Uni a perdu un combat contre l'imposition de limitation sur les ventes à découvert d'actions et sur les CDS "à nu".

Anna Benjamin et Victor Patenôtre à Londres

 

Article précédent                                   Article suivant

Imprimer la page