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Après le déclenchement de la crise grecque, la zone euro crée le Fonds européen de stabilité financière (FESF), pour venir en aide aux pays fragilisés. Nous l'avons rencontré à Luxembourg. Construit sur un montage jugé par certains aussi risqué que ceux qui avaient déclenché la crise, il sera remplacé par une instance permanente, le Mécanisme européen de stabilité financière (MES), qui ambitionne de faire figure de FMI bis. Autre solution envisagée par les dirigeants européens pour endiguer la contagion : le recours aux ressources illimitées de la BCE. Il faudrait pour cela faire violence aux traités. Pour contourner cet obstacle, ils entendent passer par le FMI.

C'est dans un immeuble gris sans faste, en périphérie de Luxembourg que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) a ses   appartements. Un logo discret sur une boîte aux lettres permet de repérer la société de droit privé luxembourgeois chargée de sauver la zone euro. Le FESF partage l'immeuble avec la Banque et caisse d'épargne du Luxembourg, un cabinet d'investissement immobilier et une entreprise de financement agricole. Le fonds occupe le deuxième étage : 400 mètres carrés loués à la Banque européenne d'investissement. Dans les couloirs, on est loin de la ferveur des salles de marché. Les bureaux ont portes closes.

Pour l'instant, l'équipe du FESF n'occupe que deux tiers du plateau. «C'est une institution plutôt petite si on la compare à des banques ou des fonds d'investissements, surtout au regard de la mission qui nous a été confiée», admet Kalin Anev, secrétaire général. En réalité l'équipe du Fonds n'agit pas seule.

Pour emprunter sur les marchés, il fait appel à la Finanzagentur, l'agence de la dette allemande, ainsi qu'à la Banque européenne d'investissement. Ces deux institutions financières jouent le rôle d'intermédiaires. Elles appuient le FESF d'un point de vue administratif (ordre de paiement, vérification des opérations et comptabilisation...) et stratégique (analyse du marché). Le Fonds européen fait également appel à des banques privées (BNP, Société Générale, HSBC,etc.). A l'instar des spécialistes en valeur du Trésor, elles doivent s'assurer, en sollicitant leur clients, que les émissions sont complètement souscrites.

«Nous sommes prêts»

En ce moment, les investisseurs ne manquent pas. Le FESF vient de lever 1,9 milliards d'euros d'obligations à trois mois avec un taux d'intérêt de 0,2%. Les demandes ont été trois fois plus élevées que le montant prévu. Jusqu'ici le FESF n'avait réalisé que des émissions à long terme. Entre janvier 2010 et novembre 2011, il a levé seize milliards d'euros pour en prêter une moitié à l'Irlande et l'autre au Portugal.

Dès fin décembre, le Fonds devrait aussi être en mesure d'intervenir sur le marché primaire, au moment des émissions, en assurant les investisseurs qui achètent de la dette des Etats en difficulté. De nouvelles responsabilités auxquelles la structure s'est préparée : « Nous sommes actuellement à la fin d'une phase de construction. La stratégie est fixée. Avant janvier 2012 nous embaucherons cinq personnes supplémentaires. Seuls quelques petits détails techniques restent à régler. Mais nous sommes prêts », affirme Kalin Anev.
Dès le mois de janvier, l'organisation pourra également intervenir sur le marché secondaire pour  y racheter des bons du Trésor en circulation.

Changement de casquette

Le FESF nouvelle version n'est pas encore tout à fait opérationnel mais doit déjà anticiper de nouveaux chamboulements. Il sera définitivement remplacé en juin 2013 par le Mécanisme européen de stabilité financière (MES). « Le FESF est une société anonyme de droit luxembourgeois qui appartient aux 17 Trésors de la zone euro. C'est un concept étrange qu'un Etat puisse posséder une société qui aide d'autres Etats. Le changement de statut aura beaucoup d'avantages. Le MES sera régi par le droit international, qui lui donnera une immunité et certains privilèges. Il correspondra mieux à nos activités et aux attentes des investisseurs. » A partir de juillet 2012, date de la création du MES, les deux entités cohabiteront dans les mêmes locaux. Les employés du FESF auront encore quelques mois pour changer de casquette.

Valentine Joubin et Arthur de Laborde-Noguez À luxembourg

 

 

Le principe du FESF a été adopté par les ministres des finances de l'eurozone le 9 mai 2010. (CUEJ/Arthur de Laborde-Noguez)

 

 

 

 

 

On prend les mêmes montages et on recommence.

Gilles Lejeune, manager d'actifs et analyste de taux d'intérêts chez Dexia, décrypte le mécanisme du FESF et ses faiblesses.

(CUEJ/Arthur de Laborde-Noguez)

 

 

Le FESF, comment ça marche?

 

 

 

Vers un fonds monétaire européen

Dès juillet 2012, les Etats en détresse financière pourront être aidés par le mécanisme européen de stabilité (MES). Il s’apparentera à un fonds monétaire européen relevant du droit international, là ou son prédécesseur, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) était une société anonyme de droit luxembourgeois. Lors du Conseil européen des 8 et 9 décembre, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé d’avancer l’entrée en vigueur du MES d’un an par rapport à la date initialement prévue. 

 

Il cohabitera donc avec le FESF jusqu’en juillet 2013, date à laquelle ce dernier disparaîtra. Pendant cette phase transitoire, les deux organisations auront une capacité commune de prêts plafonnée à 500 milliards d'euros. Un montant dont la  renégociation est prévue pour mars prochain, mais Angela Merkel, la chancelière allemande, a d’ores et déjà fait savoir qu’elle s’opposera à toute augmentation du plafond.

Procédure simplifiée

A la différence du FESF, qui ne bénéficie que de garanties publiques sur ses émissions, le MES sera doté à terme d'un capital de 80 milliards d'euros, apportés par les Etats. La France y contribuera, par exemple, à hauteur de 16 milliards d’euros (soit 20% du capital). La montée en charge sera progressive, mais l’effort pèsera donc sur les finances publiques des Etats. Les débats parlementaires promettent d’être animés dans plusieurs pays lors de la ratification du traité.

 

Sur le fond, des changements importants au projet de traité approuvé en juillet 2011 ont été décidés lors du sommet de Bruxelles des 8 et 9 décembre.

Le mode de décision du MES a été modifié. Le but : réagir d’urgence sans être entravé par le poids de l’unanimité. L’intervention du MES pourra être déclenchée par un vote positif ayant réuni 85% des voix du conseil des gouverneurs. Chaque Etat membre du MES disposant d’un nombre de voix correspondant au capital qu’il apporte, la France et l’Allemagne auront donc un droit de véto (respectivement 20% et  27% du capital).

 

«La BCE apportera un soutien technique et logistique»

Le principe d'une participation systématique des créanciers privés au coût d'une éventuelle restructuration de dette publique qui, à l'insistance de la chancelière allemande,  figurait dans la première mouture du traité, a finalement était abandonné par les chefs d’Etat et de gouvernements, au grand soulagement de la BCE. Le MES, précisera son préambule,  s'alignera en la matière sur les usages  du Fonds monétaire international (FMI). Les dirigeants européens ont ainsi voulu envoyer un signal fort aux investisseurs privés, douchés par l'expérience grecque: ils ont du accepter le principe d'une décote de 50% des titres de dette publique grecque en leur possession dont les modalités sont en cours de négociation (l). Le cas grec, c'est promis, est une exception qui se reproduira pas . Toutefois,la décision d’assortir des «clauses d'action collective» tous les bons du trésor émis par les Etats de la zone euro n’a pas été abandonnée. De telles dispositions visent à définir contractuellement, au cas par cas, les conditions de participation du secteur privé en cas de défaillance d’un Etat.

 

Cerise sur la gâteau: la Banque centrale européenne (BCE), pour donner des gages de confiance aux investisseurs, a accepté d'être « l’agent des opérations de marché du MES», et de le devenir dès maintenant pour le FESF. Cette formule signifie, selon un diplomate, que la BCE « apporter un soutien technique et logistique au MES. La BCE pilotera les opérations de levée de fonds. Elle mettra sa salle de marché et ses spécialistes à disposition du MES mais les deux organisations conserveront des mandats bien distincts ». De fait, la plaquette du FESF diffusée le 13 décembre annonce que la BCE interviendra en son nom sur les marchés primaires et secondaires de la dette publique.

 

Néanmois, la proposition d’ Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, n’a pas été retenue. Il souhaitait voir octroyer une licence bancaire au MES. Ce statut lui aurait permis d’accéder au réservoir de liquidités de la BCE pour racheter massivement de la dette publique. Il aurait alors bénéficier de ce qu’on appelle l’effet bazooka, c’est-à-dire une capacité d'intervention illimitée sur les marchés.

 

Valentine Joubin et Arthur de Laborde-Noguez

 

 

Lors du Conseil européen des 8 et 9 décembre, des modifications ont été apportées au traité MES. (DR )

 

 

   L'implication du secteur privé  
   effraye les marchés financiers

  • Mai 2010: Les gouvernements écartent toute implication du secteur privé dans le plan de sauvetage de la Grèce. Le pays ne fera pas défaut.
  • 28 et 29 octobre 2010 : L'éventualité d'un défaut est évoqué. En cas de défaut après 2013, les interventions du Fonds européen de stabilité financière (FESF) s’accompagneront d’une restructuration de la dette des pays aidés, les détenteurs de cette dette devant renoncer à une partie de leur capital.
  • 21 juillet 2011: Le secteur privé doit accepter une perte sur les obligations grecques de 21%.
  • 26 octobre 2011: Nouvel accord sur le sauvetage de la Grèce : la perte sur les créances grecques s'élève à 50%.
  • Le 8 décembre 2011 : Tout nouveau PSI (Private sector involvement) est écarté. Mais l'Eurozone s'aligne sur les règles internationales du FMI en cas de défaut. Le Mécanisme européen de stabilité intègrera des clauses destinées à faciliter les restructurations.

     Clothilde Hazard

 

 

 

 

 

 

 

 

©CUEJ/Marion Kremp

(CUEJ/Fabienne Hurst)

A l'issue du sommet européen du 9 décembre, les Etats de l'Union européenne ont annoncé un accord sur le refinancement du Fonds monétaire international (FMI) à hauteur de 200 milliards d'euros. Un véritable pied-de-nez à la Banque centrale européenne, gardienne d'un traité qui interdit tout renflouement d'un Etat membre. Car le but de ce renflouement est ouvertement de venir en aide aux pays de l'Eurozone les plus menacés, à savoir l'Espagne et l'Italie. Le FMI endosserait ainsi le rôle de prêteur en dernier ressort.
Selon le FMI, 150 milliards seraient apportés par les pays de la zone euro, le reste par les autres pays de l'Union européenne. Ces nouvelles ressources proviendraient directement des banques centrales nationales.

La Bundesbank, banque centrale allemande, a fait savoir dès le 11 décembre  que sa part s'élèverait à 45 milliards d'euros. Elle a cependant posé une condition : que les autres grands pays de l'UE mais aussi d'autres pays non européens, comme les Etats-Unis ou la Chine, contribuent au renflouement du fonds.

Pour ce qui est des autres pays de l'Union européenne, le Royaume-Uni a déjà averti de ne pas compter sur les 30 milliards qu'on attendait de lui. David Cameron serait néanmoins prêt, à l'occasion du prochain G20, à mettre 10 milliards sur la table, déjà autorisés par son Parlement. Le Premier ministre danois, Helle Thorning-Schmidt, a annoncé que son pays se tenait prêt à contribuer à hauteur de 5,4 milliards d'euros.

Le conduit du FMI

Les objectifs recherchés sont multiples : premièrement, utiliser le FMI comme un conduit  pour canaliser les réserves de change venant des banques centrales nationales, avant de les réinjecter sur le dispositif européen d'intervention. L'opération permettrait de contourner les traités européens qui interdisent à la banque centrale européenne (BCE) et à ses membres de renflouer un Etat. Mario Draghi, président de la BCE, a manifesté son irritation devant cette manœuvre: ''N'oublions pas que la BCE n'est pas membre du FMI...plus généralement, le mécanisme par lequel l'argent est canalisé vers les pays européens ne doit pas masquer le fait que nous avons un taité qui dit: pas de financement monétaire des  gouvernements".  En exposant leurs réserves, les banques centrales nationales prennent de gros risques, que les marchés savent parfaitement anticiper. Car si cette opération n'a aucun effet  comptable sur le budget des Etats, ce serait à eux en dernière instance et donc aux contribuables de recapitaliser les banques centrales en cas de défaut sur les prêts du FMI.

Deuxièmement, accroître les ressources appelables en cas de nécessité de secourir l'Espagne ou de l'Italie. Avec 290 milliards d'euros, le FMI ne dispose pas aujourd'hui des moyens de faire face aux côtés du FESF, pour les soustraire au marché. Or les deux pays auront besoin de lever au moins 600 milliards d'euros dans les deux ans à venir pour refinancer leur dette.

Senior creditor

Troisièmement, bénéficier de la crédibilité du FMI. Le Fonds ne prête d'argent qu'en imposant des mesures strictes de réduction des dépenses publiques. C'est une garantie pour les pays contributeurs. Il bénéficie également du statut de « senior creditor », c'est à dire qu'il est le premier des prêteurs à être remboursé. Agir à travers lui, c'est minimiser les risques par rapport aux autres bailleurs.

Quatrièmement,  s'appuyer sur cette crédibilité pour susciter un effet d'entraînement. L'objectif est d' inciter les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et d'autres puissances à emprunter ce canal, pour venir soutenir les moyens du FESF. La méthode choisie répond à la demande de garantie qu'ils avaiant réclamé lors d'une précédente tentative d'augmenter grâce à leur aide la force de frappe du FESF. Le Brésil, la Chine, la Russie et l'Inde ont annoncé leur participation sans en préciser les modalités.

Les Etats-Unis et  le Canada ont, quant à eux,  d'ores et déjà fait connaître qu'ils ne  participeraient pas à cette opération, estimant que les européens sont assez riches pour résoudre la crise seuls. Le Japon, lui, a déclaré qu'il ne s'y joindrait pas tant que les européens ne présenteraient pas un plan plus convaincant..


Brice Lambert et Jessica Trochet

 

 

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