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Ingérence russe: un nouveau scandale et une réponse sans appel


09 février 2024

À quatre mois des élections européennes, l’ingérence russe dans les processus démocratiques européens est une menace prise au sérieux par le Parlement. Dernier scandale en date, une eurodéputée lettone aurait partagé des informations avec les services secrets russes pendant plus de vingt ans.

Jeudi 8 février, les eurodéputés ont voté une résolution forte face au « caractère exceptionnel »  des tentatives d’ingérence russe dans les démocraties européennes. Dans sa résolution, le Parlement européen appelle les États membres et la Commission à muscler leur attirail en matière de transparence, d’éthique et de bonne conduite des responsables politiques.

 

Une espionne au Parlement

Une nouvelle affaire secoue les institutions européennes. Elle concerne Tatjana Ždanoka, une eurodéputée lettone, ancienne membre du Parti communiste de l’Union soviétique qui siège au Parlement européen depuis 2004. Une enquête du média d’investigation «The Insider» l’accuse d’être une agente russe et d’avoir aidé à diffuser l’idéologie pro-Poutine en Europe entre 2004 et 2017.

Il y a deux semaines, le média a révélé que l’eurodéputée aurait fourni des informations aux services secrets russes (FSB). Des échanges réguliers d’e-mails attesteraient de rapports détaillés, de demandes de financements pour des événements politiques pro-russes, ou de contacts avec d’autres personnes reliées au FSB.

Tatjana Ždanoka au Parlement européen, 05/12/2019. ©️ European Union 2019 - Source : EP

Les soupçons à l’encontre de Tatjana Ždanoka ne datent pas d’hier. Ses positions et ses votes au Parlement, notamment contre la résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, lui avaient déjà valu une exclusion du parti Les Verts/ALE. « On dit : Tatjana Ždanoka est agent. Oui, je suis un agent de la paix. Un agent de la lutte contre le fascisme, pour le droit des minorités, pour une Europe unie de Lisbonne à l’Oural. » assume-t-elle devant le Parlement cette semaine. »

Cette affaire survient deux ans après l’attaque russe et à l’approche des élections européennes. Le Parlement s’en est saisi pour dénoncer la porosité des institutions face aux tentatives d’ingérence russe et le cas Ždanoka n’est que le dernier épisode d’une longue série.

Une réponse forte mais pas à l'unisson 

La présidente du Parlement européen a annoncé une investigation visant Ždanoka, mais la majorité de parlementaires veut aller plus loin. La résolution demande « une enquête interne rigoureuse pour recenser tous les cas possibles d’ingérence étrangère dans le travail du Parlement européen ». Les eurodéputés ont appelé aussi la Commission à créer un organisme indépendant consacré à l’éthique, qui contrôlerait l’ensemble des institutions de l’Union - une demande répétée depuis trois ans, en vain.

Malgré l’adoption de la résolution, quelques divergences persistent dans l’hémicycle. Les partis d’extrême-gauche (The Left) et d’extrême-droite (ID) ont refusé de s’associer au texte même si certains de leurs membres l’ont voté à titre individuel. Anders Vistisen, eurodéputé danois (ID, extrême-droite) s’est inquiété d’une atteinte à la liberté d’expression des parlementaires: « On a l’impression que vous essayez d’empêcher ceux qui veulent voter autrement. »

À gauche, on considère que le texte ne va pas assez loin et on pointe du doigt l’hypocrisie des eurodéputés. « La vérité, chers collègues, c’est que la majorité d’entre vous refuse des règles et des contrôles sérieux » a lancé Manon Aubry, co-présidente du groupe d’extrême-gauche. Elle fait tout de même partie des quelques membres de The Left ayant finalement voté pour, et se félicite d’avoir fait passer l’interdiction, pour les eurodéputés, d’accepter des emplois annexes rémunérés « au nom de pays tiers ».

Fragilité des démocraties européennes

L’affaire Ždanoka a une fois de plus rappelé la fragilité des démocraties européennes. Raphaël Glucksmann, eurodéputé français (S&D, socio-démocrates) a tiré la sonnette d’alarme dans l’hémicycle: « Si nous ne sortons pas de notre apathie, nous allons assister tels des sénateurs romains impotents à la chute de la maison démocratique commune.»

Si le Parlement européen condamne, il n’a pas forcément les moyens d’agir. Sur la question des financements des partis politiques, seuls les États membres peuvent prendre des mesures efficaces. « Certains pays autorisent encore le financement des campagnes nationales par des pays tiers », rappelle Etienne Soula, chercheur à l’Alliance For Securing Democracy, en soulignant qu’ « au moins cinq partis du groupe d’extrême-droite sont impliqués dans des scandales avec la Russie.»

Apolline Lehner et Abel Berthomier

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