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Etat de droit bafoué : la Grèce sur le banc des accusés


09 février 2024

Le Parlement européen a vivement condamné les reculs de l’Etat de droit et de la liberté de la presse en Grèce. Un message politique fort à l'encontre du gouvernement de Kyriákos Mitsotakis.

Les eurodéputés au moment du vote de la résolution dans l'hémicycle, le 07 février 2024 ( Strasbourg) ©Clara Lainé 

Sylvie Guillaume (S&D, sociaux-démocrates) ne cache pas son soulagement : « L'accumulation de violations de l’Etat de droit en Grèce nous a finalement permis de convaincre suffisamment de parlementaires », expose-t-elle, à la sortie de l’hémicycle. Ce mercredi 7 février, une majorité de députés a condamné les menaces qui pèsent sur l'Etat de droit en Grèce, mais les débats ont été animés. La résolution a été adoptée avec une courte majorité : 330 voix contre 254. 

L'état de la liberté de la presse est au cœur des préoccupations. Plus mauvais élève de l’Europe, le pays est classé 107e sur 180 du classement de la liberté de la presse de Reporter Sans Frontière (RSF), soit une chute de 37 places par rapport à 2019. « Depuis quelques années, il y a un vrai climat d’intimidation envers les journalistes », dénonce Julie Majerczak, directrice du bureau européen RSF de Bruxelles. 

Des députés ont rappelé l’assassinat du journaliste Giorgos Karaïvaz en 2021, alors qu’il travaillait sur des dysfonctionnements au sein de l’État. L’enquête sur sa disparition en est toujours au point mort. En parallèle, les « procédures baillons » se multiplient. Dernière en date : le procès pour diffamation intenté par le neveu du Premier ministre Kyriákos Mitsotakis, contre des journalistes. Au total, il leur réclame 550 000 euros pour avoir révélé l’espionnage d'opposants par le gouvernement. « Pour les petits médias indépendants, c'est très intimidant », résume Julie Majerczak. 

Mais la liberté de la presse n’est pas la seule atteinte à l’Etat de droit en Grèce, qui est « sous pression sur tous les domaines », d’après Sophie In’t Veld (Renew, libéraux). Le gouvernement  de Mitsotakis a notamment été rappelé à l’ordre par le Parlement sur la manière dont il traite les migrants. Outre les menaces qui pèsent sur les ONG qui s’emploient à les défendre, la normalisation du pushback inquiète les eurodéputés. Cette pratique illégale consiste à empêcher brutalement les migrants d’entrer sur le territoire national.

Une « orbanisation » de la démocratie européenne 

Si la résolution adoptée par le Parlement n’a pas de portée contraignante, il n’en reste pas moins un avertissement adressé à la Grèce, mais aussi, à l’ensemble des États membres de l’Union. « On essaie d’éviter une orbanisation de la démocratie européenne », affirme l’eurodéputée Sylvie Guillaume, (Les Verts, écologistes), qui a cosigné la résolution. Derrière ce néologisme, le spectre de la Hongrie,  épinglée à maintes reprises par le Parlement et la Commission européenne. Le pays s’est vu bloquer plusieurs milliards d’euros d’aides pour ses atteintes à la démocratie. 

Chaque année, depuis 2021, l’Union recense les évolutions dans l’ensemble des États membres : « Le rapport montre peu à peu que l’Etat de droit fait partie des valeurs les plus agressées dans de nombreux pays de l’UE », déplore Sylvie Guillaume. Dès lors, la situation en Grèce s’inscrit dans un contexte global, résumé par cet implacable constat de Gwendoline Delbos-Corfield (Les Verts, écologistes) : « Notre démocratie semble vraiment fragile en Europe ces jours-ci ».

Des sanctions économiques soumises au jeu politique 

Fragile, mais pas enterrée. Car les députés ont trouvé une position commune, malgré l’hostilité manifeste du Parti populaire européen (PPE, droite), le plus grand groupe politique dans l'hémicycle. Les causes de sa frilosité sur le sujet ont un nom : le dirigeant grec Kyriákos Mitsotákis, dont le parti est affilié au PPE. Une situation révoltante pour Sophie In’t Velt (Renew, libéraux)  : « Il y a cette culture du silence, de se protéger », dénonce-t-elle.

Après les discours, l’action ? Garante de l’Etat de droit et gardienne des traités, la Commission peut  prononcer, si elle l’estime nécessaire, des pénalités économiques. Pour Lefteris Papagiannakis, membre du conseil de la ligue grecque des droits de l’Homme, « si la résolution peut mettre la pression au gouvernement, le seul moyen de le faire agir, ce serait des sanctions économiques ».

Joëlle Dalègre, maîtresse de conférences et spécialiste de la Grèce contemporaine, se montre plus sceptique : « J’ai du mal à croire que l’Union prenne des mesures aussi fortes que des gels de crédit juste avant les élections, face à un Premier ministre grec qui paie ses dettes en avance et se déclare à 1000% européen ! ». Un scénario d’autant moins probable pour la chercheuse qui considère qu'il n’existe pas de limite précise sur le moment où un pays sort de l’Etat de droit, avant d’ajouter, désabusée : « Ce flou arrange tout le monde ».

Fanny Lardillier et Clara Lainé

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