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Deux fois moins payés que leurs confrères hospitaliers

Ce fléau touche l’ensemble du pays. Dans le comté d’Alba, où se situe Valea Lungă - à deux heures en voiture de Cluj-Napoca - treize communes sont aujourd'hui sans médecin selon le rapport fourni par l’ONG L’Avocat du Peuple. La Roumanie connaît depuis le début du XXIe siècle un fort exode à l’étranger.

La médecine de famille n’attire plus les jeunes diplômés, qui lui préfèrent des branches mieux perçues socialement et mieux rémunérées. Les revenus des médecins de famille varient en fonction du nombre de patients suivis. Les paies sont en général moins élevées que celles des praticiens employés dans les hôpitaux. « 2 020 euros par mois environ en début de carrière », explique la docteure Raluca Zoitanu, présidente de la Fédération des médecins de famille. En comparaison, un médecin de famille roumain gagne en moyenne 1 010 euros. Quant à Elena et Gheorghe, leurs revenus mensuels net n’atteignent que 1 617 euros chacun. Au prix de nombreuses heures supplémentaires. « On fait le travail de trois personnes en étant deux », constate d’un air désabusé la praticienne de 61 ans. La moitié de leurs revenus de base sert aux dépenses de fonctionnement (loyer du local, charges administratives et le salaire des deux infirmières) ainsi qu’à investir dans le matériel médical le dernier achat en date, un électrocardiographe, a coûté 2 000 euros.

Des bénévoles et une petite équipe de travailleurs sociaux de la région métropolitaine de Cluj (ZMC) tentent, tant bien que mal, de compenser l’inertie des politiques locales. Deux fois par semaine, des cours de mathématiques, de langue roumaine et une permanence avec une psychologue sont proposés à une vingtaine d’adolescents de Pata Rât. « Ce sont surtout des élèves dans des classes charnières d’examen », explique une travailleuse sociale.

« Je veux devenir coiffeuse et vivre en ville »

Ce jeudi après-midi, l’activité, habituellement tenue dans des locaux au centre-ville, se délocalise au sein du bidonville. « Nous avons eu beaucoup d'absents récemment. Les cours en ligne et les confinements ont été dévastateurs. On a donc décidé de se rapprocher », justifie Cristina Roman, psychologue. À bord d’un van, l’équipe sillonne Pata Rât pour convaincre les jeunes d’assister à la séance. Aux côtés des membres de la ZMC, Alexandru Feteche est une figure familière dans le ghetto. Après avoir vécu cinq ans à Coastei, l’un des quatre sous-quartiers de la décharge, il est, depuis 2017, un militant actif pour la communauté. « Ils ont refusé l’inscription de ma fille à l’école à cause de notre adresse, est-ce que tu peux faire quelque chose ? », l’interpelle une mère de famille, assise devant une maison aux murs décrépis, une cigarette entre les doigts. « Je suis le pont entre la communauté et les autorités », résume le gaillard à la longue barbe et aux bras tatoués. 

Plus loin, au plus près de l’odorante montagne de déchets, « la rampe »zone la plus pauvre de Pata Rât. Ici, les enfants passent leur journée à errer dans les détritus et les bris de verre, certains consomment déjà des substances. Adela, 16 ans, n’a pas mis les pieds en cours depuis une semaine. « J’ai mal au ventre », justifie l’adolescente aux cheveux emmêlés auprès de Cristina, la psychologue de la ZMC. Pendant une heure, dans le préfabriqué servant aussi de salle de classe, Cristina prend le temps de discuter avec la jeune femme. « On essaye d’élaborer un projet professionnel ensemble », explique celle qui fait aussi office de conseillère d’orientation. Adela rêve de devenir coiffeuse, comme sa soeur aînée, seule membre de sa famille à être sortie des griffes du ghetto. « Je ne veux pas travailler dans la décharge comme mon père. Je veux vivre en ville. Et mes parents veulent que je devienne quelqu’un », assure l’adolescente qui l’a promis, retournera, peut-être, à l’école lundi.

Iris Bronner

Une ferveur religieuse en baisse, après un pic post-communisme

Ovidiu fait habituellement partie de cette foule, malgré quelques réserves : « Je vais à l’église mais je me méfie de l’institution orthodoxe. » Lui y est resté, mais beaucoup de ses amis, comme une partie de la jeunesse roumaine, se sont détournés de ses portes. « Si on s’intéresse aux comportements religieux (assistance aux services, prières, jeûnes, etc.), on constate qu’il y a un affaiblissement plus profond », précise Dani Sandu, qui a cosigné une étude sur la jeunesse de son pays en 2019. Selon cette dernière, 13 % des jeunes assistent à la messe au moins une fois par semaine. C’est deux fois moins que cinq ans auparavant.

Une tendance qui contraste avec l’effervescence religieuse observée chez les jeunes au cours de la décennie qui a suivi la chute du régime communiste. Des milliers d’églises flambant neuves, ainsi que des facultés de théologie, sont sorties de terre et le nombre de pratiquants parmi les jeunes avait doublé : de 17 % en 1990 à 34 % en 1999. « Ces dix dernières années, de moins en moins de jeunes s’investissent dans la vie de la paroisse, même si beaucoup continuent de pratiquer. Ils croient encore mais ne viennent plus », déplore le diacre de la cathédrale, Simeon Pintea. De l’avis de la plupart des sociologues, ce phénomène est une des conséquences de l’influence du monde occidental sur l’évolution de la société roumaine, renforcée par l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007. Et particulièrement à Cluj, comme l’indique Dani Sandu : « Cluj, en tant que grande ville très prospère et universitaire, est beaucoup plus connectée avec l’Europe. L’occidentalisation y est plus rapide. »

En Roumanie, cette spécialité qui assure les soins de base a perdu environ un quart de ses effectifs en dix ans. Rémunération et conditions de travail attirent peu les praticiens. Décryptage et diaporama.

À cinq kilomètres du prisé centre-ville de Cluj-Napoca, les collines verdoyantes de Pata Rât abritent l’un des plus vastes bidonvilles du pays. Entre les centaines de cabanons faits de bric et de broc, des tas d’ordures et des détritus parsèment les chemins boueux. Environ 1 600 Roms dont un millier d’enfants vivent à seulement quelques mètres d’une décharge illégale, sans eau courante, ni chauffage. Symbole de la misère sociale d’une minorité discriminée, à Pata Rât les bambins grandissent exclus et franchissent timidement les portes de l’école. Au collège Traian Dârjan, à deux kilomètres d’ici, trois, peut-être quatre élèves viendront assister au cours ce matin-là, sur une classe d’une vingtaine de têtes. La grande majorité habitent le ghetto. Au fil des dernières années, les enfants roumains non issus de la communauté ont déserté l’établissement. « Ils étaient séparés des Roms dans des bâtiments distincts, mais les problèmes de comportement, les bagarres, ont fait fuir les familles », pointe Sergiu, un enseignant. Aujourd’hui, le collège est aussi ségrégué que vide. 

« C’est un combat quotidien pour convaincre les parents d’envoyer leurs enfants en cours », soupire le professeur qui se rend à Pata Rât presque chaque après-midi. « Ils ne considèrent pas que l’école est importante. Il y a une forte tradition d'éducation intra-familiale. » Gamins sous le bras, les femmes sont souvent cantonnées à un rôle de mère de famille. « Je suis née ici et aujourd’hui, j'élève mes huit enfants. Je dors à même le sol, comme un chat », plaisante une femme âgée d’une quarantaine d’années. Son sourire laisse apparaître une bouche édentée. Les mains abîmées, les hommes travaillent pour la plupart dans la décharge, souvent avec l’aide de leur progéniture. « Une grande partie des adultes ne savent ni lire, ni écrire. Cette génération a subi de fortes ségrégations depuis des décennies et ils ont peur pour leurs enfants, peur qu’ils soient maltraités, analyse la sociologue Cristina Raț. La ségrégation sociale et la précarité causent inévitablement une ségrégation scolaire. » 

En Roumanie, la communauté rom reste fortement ségréguée. Dans le bidonville de Pata Rât à Cluj-Napoca, des enseignants et travailleurs sociaux se battent pour pousser les enfants du ghetto à rejoindre, et surtout rester à l’école. Une lutte peu soutenue par les autorités locales. 

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L'église orthodoxe roumaine est autocéphale : c'est une institution indépendante avec son propre patriarche. © Rafaël Andraud

Dans la salle d’attente où le papier peint synthétique orné de coquelicots se décolle peu à peu, une mère et son enfant attendent patiemment leur tour. Dans la salle d’à côté, Gheorghe et Elena Dulau, un couple de médecins de famille, enchaînent les consultations et ce, depuis 35 ans. Dévoués pleinement à leur métier, ils exercent à Valea Lungă, commune d’environ 3 000 habitants. Ils ont prévu de prendre leur retraite dans deux ans, or personne ne semble vouloir reprendre le flambeau. En Roumanie, la spécialisation « médecine de famille », qui assure les soins de santé de base, peine à attirer. En dix ans, le pays a perdu 2  500 médecins de famille. Assujetti à un rythme élevé, le couple Dulau suit près de 5 000 patients : une conséquence directe de l’absence de confrères dans les environs. À titre de comparaison, un praticien français suit en moyenne 650 personnes.

Livre serré contre la poitrine, t-shirt et baskets noirs, les cheveux ébouriffés, un jeune homme avance solennellement vers le chœur de la cathédrale de la Dormition-de-la-Mère-de-Dieu de Cluj-Napoca. À l’instar des autres qui l’ont précédé, il se signe et embrasse l'icône centrale puis une relique et enfin une image de la Vierge à l’Enfant. Il s’isole ensuite discrètement dans la pénombre, debout et immobile pendant une dizaine de minutes. « Je viens ici pour m’adresser à Dieu et me déconnecter du reste du monde. Ça m'aide à me sentir mieux mentalement, à me détendre », explique Ovidiu, 18 ans. 

Comme 87 % des jeunes Roumains, Ovidiu est chrétien orthodoxe. Avec ses 16 millions de fidèles sur 19 millions d’habitants, l’Église orthodoxe roumaine, dont la juridiction est indépendante, est omniprésente dans la société. « Elle a participé à la construction de la nation roumaine avant et après la période Ceaușescu et est donc fortement liée à l’identité nationale. Ce qui en fait l’un des pays avec le plus de personnes se déclarant religieuses », constate Dani Sandu, sociologue à l’Institut universitaire européen.

La Roumanie possède la deuxième plus grande communauté orthodoxe du monde et est l’un des pays les plus religieux en Europe. Mais à Cluj-Napoca, les influences occidentales et les scandales de corruption ont détourné une partie de la jeunesse de l’institution.

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