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Génération bidouillage

Les fondateurs de Cyber Threat Defense, Remus Munteanu, comme « Iceman », n’avaient ni ces certifications, ni pléthore de ressources à disposition pour apprendre à devenir hackers – encore moins hackers éthiques. Ils sont de la génération bidouillage. « Dans cette industrie, tout le monde dans notre génération a un peu de bagage [dans le hacking illégal] ... On a bien dû apprendre quelque part », sourit Andrei Pușoiu. La génération de self-made hackers, née sous la répression communiste de Nicolae Ceaușescu, a porté la Roumanie sur le devant de la scène cyber.

Presque en adoubement de cette particularité roumaine, la première institution européenne à s’installer dans le pays n'est autre que le Centre de compétences en matière de cybercriminalité.  « Différents facteurs ont parlé pour la Roumanie, explique Martin Übelhör de la Commission européenne, chargé de cette institution cyber à Bruxelles. La Roumanie est connue pour ses diplômés universitaires qualifiés, ses spécialistes en cyber et un écosystème dynamique avec de grandes et petites entreprises spécialisées dans ce domaine. »

La Roumanie, riche en cybersécurité, mais pas cybersécurisée

Le fonctionnaire européen nomme à titre d’exemple BitDefender. Spécialisée dans les solutions de cybersécurité, la société née au début des années 2000 est présente dans près de 200 pays et se place comme l’une des leaders dans son domaine. 

Les entreprises cyber roumaines prospèrent. Cluj IT, un cluster d’entreprises spécialisées dans les technologies de l’information dont Risktronics fait partie, est passée d’une trentaine d'entreprises à sa fondation en 2012 à plus de 70 – sans compter les acteurs de la recherche universitaire. « La dynamique est très positive, notre expansion suit celle de la Roumanie dans ce domaine », témoigne l’une de ses administratrices. Le problème ? Les experts de la cybersécurité roumains travaillent principalement pour des clients étrangers. Seulement un client sur dix de CTD est Roumain. « Rien que dans les dernières semaines, beaucoup de sites essentiels en Roumanie ont été attaqués. Mais avec des attaques très rudimentaires de type DDOS [attaque par déni de service, qui consiste à surcharger un site pour le rendre indisponible, NDLR], se désespère Remus Munteanu de Risktronics. N’importe qui peut les utiliser moyennant quelques crypto-monnaies. La Roumanie doit plus investir dans sa propre cybersécurité. »

Emma Bougerol et Laure Solé

En célébrant ses martyrs, Marius Visovan pense aussi à son père, Aurel Visovan, qui a « souffert seize ans dans les prisons communistes. Avant d’être arrêté, il dirigeait un groupe de résistants armés dans les montagnes dans les années 1950 ». Au Mémorial, sa cellule, la 74, est aujourd’hui dédiée aux résistants de la région du Maramureș. 

Quelques nostalgiques d'un passé fantasmé

Le fils de l'ex-prisonnier politique juge que « les politiques et la société roumaine dans son ensemble ne cultivent pas la mémoire ». Certains affirment même regretter cette époque. « Beaucoup de personnes âgées, qui étaient jeunes dans les années 1960 et 1970, gardent une bonne image de leur enfance et sont nostalgiques du communisme », estime l’historien Virgiliu Ţârău. « Cette nostalgie est comparable à l’ostalgie », ressentie en Allemagne à l'égard de la RDA, après la dissolution du régime communiste. « En pensant à leur enfance durant l’âge d’or du communisme roumain, des personnes âgées se disent aussi qu’à l’époque, leur destinée n’apparaissait pas si terrible. »

Deux lieux symboliques : « Nos évêques martyrs sont morts tués par le régime communiste dans cette ancienne prison. Le cimetière des pauvres est le lieu présumé de leur enterrement. Dans quelques mois, un sanctuaire et une église qui leur seront dédiés sortiront de terre », explique le prêtre Marius Visovan. Dans cette foule chantante où l’habit fait le moine, la nonne et l’évêque, celui de Marius, composé d’une simple toge noire et d’une étole argentée, indique qu’il est un curé local.

Sighet, symbole des horreurs du communisme

De 1945 à 1989, environ 600 000 Roumains ont été arrêtés et condamnés pour leurs opinions politiques. Parmi les plus de 230 centres de détention de la dictature, celui de Sighet est loin d’être le plus grand ou le plus mortifère. Mais il est devenu un symbole de la répression politique, qui a atteint son paroxysme dans les années 1950, lorsque 200 anciens ministres, parlementaires, journalistes, militaires et religieux y ont été enfermés. Une cinquantaine y sont décédés, parmi lesquels quatre évêques gréco-catholiques.

Christian Rosu, administrateur général de l’entreprise confirme : « On est sur une phase descendante, l’horizon, c’est la fin du charbon. »  Contrairement à la France, où les mines ont fermé car les veines devenaient trop difficiles d’accès et les coûts croissants, dans la vallée de Jiu, le charbon, il y en a encore. « Les réserves resteront présentes, même après 2032. Les dernières tonnes seront extraites en 2030. Et les deux années suivantes serviront à s’occuper de la fermeture des galeries souterraines », planifie l’administrateur général. Mais si un nouveau choc mondial venait changer la donne ?

« Le plus grand esprit collectif qui existe »

Moins de charbon certes, mais la vie n’en devient pas plus heureuse pour les habitants. Au contraire. En 2020, la société Hunedoara Energy Complex, endettée à hauteur de 1,5 milliard d’euros, a licencié 1 500 salariés, en grande majorité des mineurs proches de la retraite. 350 licenciements sont prévus en 2022. Ces dernières années, des mines ont déjà fermé leurs portes. Celles encore en activité n’emploient plus que 2 400 personnes aujourd’hui. Ils étaient 45 000 mineurs pendant la décennie 1990. En s’enfonçant dans la vallée, une route centrale traverse les villages, anciens fleurons de l’extraction du charbon.

Les pirates du net ne sont plus sexy

Attablé dans son immense jardin, un verre de lait cru de bisonne à la main, Remus Munteanu s’est désormais mis au vert. Il ne supportait plus la ville, alors il a acheté un ancien château saxon pour en faire son quartier général. Et puis d’autres maisons alentour. Et puis un village entier. Même l’église d’en face lui appartient. Il en a acheté trois autres comme ça dans la région, les rénovations lui coûteront « des millions ». Autant dire que son business fonctionne bien. Pour autant, il déclare n'éprouver que peu d'intérêt pour faire grandir son entreprise, ou pour « mettre la Roumanie sur la carte ». Tout comme Robert Butyka, il regarde avec circonspection le nombre grandissant de diplômes pour devenir expert en cybersécurité. Pour lui, une seule école : l'intrépidité et l'expérience.

Face à ceux qui se revendiquent self-made men, un tout autre modèle fleurit, sur les pavés de la ville cette fois. Cyber Threat Defense (CTD) en est un exemple. Cette entreprise de cybersécurité, basée à Cluj-Napoca, se porte tout aussi bien. CTD est aussi spécialisée dans le hacking éthique. L’année dernière, la jeune entreprise a réalisé son premier million de chiffre d’affaires. Cette année, ils comptent doubler ce montant. « Depuis notre création en 2017, notre chiffre d’affaires est multiplié par deux chaque année », se félicite son cofondateur, Andrei Pușoiu.

La croissance de l’entreprise les pousse à embaucher une à deux personnes par mois. Mais, à l’inverse de Risktronics, l’entreprise roumaine ne se vante pas d’avoir d’anciens pirates dans ses rangs. « Au contraire, affirme son directeur général. Avant, c'était quelque chose de sexy d'avoir des hackers dans sa société. Depuis quelques années, c’est de plus en plus mal vu. C’est mauvais pour les affaires. » Hors de question d’afficher un quelconque lien avec le hacking illégal. CTD affirme avant tout chercher des jeunes « talents », quitte à débaucher un ancien livreur de pizzas, et à le blinder de certifications internationales, aux frais de l'entreprise. « Ces labels sont des marques de confiance pour nos partenaires », affirme le cofondateur. 

Pour être tamponné de la certification la plus connue, Offensive security certified professional (OSCP) par exemple, il faut débourser près d’un millier de dollars – sans compter le prix des cours. Il existe des dizaines de certifications de ce type, sans qu'aucune évaluation impartiale et fiable ne puisse les départager pour l'instant.

Quelques centaines de pèlerins, menés par de jeunes villageois en habits traditionnels et sous les chants des chœurs traversent le centre de Sighetu Marmației. La petite ville frontalière de l’Ukraine, au nord de la Roumanie, accueille chaque année le pèlerinage des adeptes du culte gréco-catholique, minoritaire dans un pays à majorité orthodoxe. Ils sont partis de l'ancienne prison communiste de Sighet, devenue en 1997 « Mémorial des victimes du communisme et de la résistance », et marchent jusqu’au cimetière des pauvres.

Ne pas oublier la dictature. À Sighetu Marmației, ville symbole des victimes du communisme, on œuvre à garder vivace ce souvenir alors que la nostalgie du régime guette.

Le hacking éthique : le plan B des pirates

Le fondateur de l’entreprise de cybersécurité Risktronics a obtenu la liberté conditionnelle de Robert Butyka en lui procurant un appartement et en l'embauchant pour qu’il devienne « hacker éthique » dans son entreprise. Éthique, parce que les sociétés payent pour être piratées. Un genre de test de leur sécurité, pour pouvoir ensuite colmater les failles. « Je ne travaille qu’avec les meilleurs », affirme Remus Munteanu. Il cherche en permanence des « talents », des personnalités exceptionnelles, pour rejoindre sa petite équipe. Il ne se cache d'ailleurs pas d'employer des personnes au passé au mieux tumultueux, au pire criminel.

Le parcours des deux hommes exprime des similarités, celles de toute une génération de jeunes qui sont tombés dans le hacking encore enfants. « Dans les années 1980, on n’avait qu’une seule chaîne de télévision disponible, quelques heures par jour. Il n’y avait pas grand-chose à faire, raconte Remus. J’ai eu de la chance, mes parents ont acheté un ordinateur. J’avais 12 ans. Avec des copains, on passait notre temps à recopier des lignes de code qu’on trouvait dans des revues, et puis on les changeait pour essayer des trucs. » La première chose qu’il a hackée ? « Mon propre ordinateur, sourit-il. Notre état d’esprit, c’était d’être curieux, rebelles. »

À la chute du régime de Ceaușescu, la Roumanie s’est ouverte, et le jeune Remus Munteanu a troqué un temps son clavier pour des livres de philosophie et une guitare. « Et puis, j’ai fini par revendre ma guitare pour m’acheter mon premier ordinateur, nouvelle génération. » Il lance plusieurs start-up, essuie quelques banqueroutes, pour finalement s’intéresser à la cybersécurité. « Au début, on n’avait même pas compris qu’on pouvait en tirer de l’argent, raconte le dirigeant. On le faisait gratuitement pour des entreprises qui valent maintenant des milliards, juste pour montrer qu’on pouvait. »

[ Plein écran ]

À Petrila, la reconstitution d'une mine a longtemps servi d'école pour les travailleurs souterrains. Aujourd'hui, 2 400 habitants de la vallée de Jiu travaillent encore dans les quatre mines ouvertes. © Séverine Floch

Rapides et onéreuses, les cliniques privées pullulent

Le manque de moyens du secteur public a favorisé ces dernières années le développement des cliniques privées (voir ici). Après avoir été patient du Dr Dulau, Ovidiu Stoika, 37 ans, s’est tourné vers les cliniques privées à son retour en Roumanie, après 15 ans passés en France. Cet ancien habitant de Valea Lungă venu rendre visite à ses parents explique payer plus cher pour être rapidement pris en charge. Souffrant d’une hernie discale, cet ancien bûcheron a déboursé 161 euros pour son scanner, passé le jour même. « Pour un contrôle à l'hôpital public, j’aurais attendu trois semaines », avance l’intérimaire.

Dans un pays où le revenu moyen net ne s’élève qu’à 795 euros, se soigner dans le secteur privé reste inaccessible pour les bas salaires. Créant une médecine à deux vitesses, les cliniques privées assurent une prise en charge rapide moyennant des dépenses élevées. Dans les campagnes, le médecin de famille reste pourtant primordial pour maintenir l’accès aux soins : les consultations, fondées sur le principe du tiers payant, évitent aux patients assurés d’avancer les frais. Leur proximité facilite également le traitement rapide des urgences. « On a eu à gérer des accouchements au cabinet, des chocs anaphylactiques, une personne fauchée par un train…», liste Elena Dulau.

Le médecin de famille est aussi un pilier pour certains habitants. « Ils jouent un rôle important dans la communauté, spécialement auprès des plus âgés », explique Iuliana, 30 ans, propriétaire d’un magasin de construction à Valea Lungă. Durant la pandémie de Covid, certains patients positifs ont refusé d’aller à l'hôpital, préférant être suivis chez eux. « La plupart des personnes s’attendent à ce que leurs problèmes soient résolus directement au cabinet. Mais surtout, les gens veulent avoir du temps pour parler », résume Elena Dulau.

Hadrien Hubert et Leïna Magne

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