En automne, les rives humides du Rhin Tortu attirent encore leurs habitués de la Meinau et des alentours. Certains y jouent à la pétanque, d'autres y promènent leur chien ou y font leur jogging. Rencontres sur les berges.
Le bruit répété de la foreuse au stade de la Meinau n’empêche pas les boulistes d’occuper le parc de l’Extenwoerthfeld depuis plus d’une heure. "On se donne rendez-vous, été comme hiver, à 14 h pétantes", affirme Nicole. À deux pas du Rhin Tortu, Krimmeri en alsacien, les retraités des quartiers de la Meinau et de Neudorf jouent hors club, entre passionnés.
Bien équipés, ils récupèrent leurs boules à l’aide de ramasseurs magnétiques. Ils se placent au centre d’un cerceau jaune, pointent tour à tour sous le regard attentif de leurs adversaires et se taquinent à mesure que la boule se rapproche du cochonnet. Deux cents mètres plus loin, les aires de jeux, elles, sont tristement vides. En ce mois de novembre, aucun enfant n’a eu le cœur à glisser le long des toboggans ou à se balancer sur les jeux à ressort.
Chaque soir, une quinzaine de propriétaires de chien se retrouvent pour une balade. © Lucie Campoy
© Liza Hervy-Marquer
Aux alentours de 18 h, un autre groupe prend possession du parc à peine éclairé et entame sa balade quotidienne. Une dizaine de personnes, en baskets et parka, se saluent et détachent leur animal. Les chiens se défoulent, s'ébrouent, reviennent vers leur maître avant de courir chercher leur jouet. Les colliers bleus, jaunes et orange s’éclairent dans la pénombre.
Le chien-chien quotidien
Pipo, un braque français de 5 ans, renifle les chaussures de son propriétaire Jean-Claude Drzewinski. "Vu mon âge, c’est lui qui me promène. Il faut me faire sortir du canapé", sourit le retraité de 78 ans qui habite le quartier Villas depuis les années 1970.
C’est Alban Klein, le petit nouveau de la bande avec son retriever de la Nouvelle-Écosse de 5 mois nommé Kaaris, qui lance le mouvement : "On va faire un petit tour vers chez toi, Jean-Claude !" Les promeneurs empruntent le chemin boueux qui longe le Rhin Tortu, en direction de la rue du Général-Offenstein. Le sol jonché de feuilles mortes se dévoile à la lumière des lampes frontales.
Dans la nuit, l’eau ressemble à une nappe de pétrole. Difficile d’imaginer "la thalasso de la Meinau" dont parle Jean-Claude. L’été, tous les chiens se rafraîchissent dans ce bras de la rive droite de l'Ill. Rudy, le golden retriever, est le seul à plonger en janvier par -5 °C. "Quand il revient de la balade, il a des stalactites partout sur le torse", s’amuse son maître Sébastien Gillet.
"Ça a multiplié par dix mon réseau de connaissances à la Meinau"
Le géomètre de 45 ans se réjouit d’avoir intégré le groupe : "Ça fait 15 ans que je suis dans le quartier et, à part les parents d’élèves de la classe de ma fille, c’est vraiment ici que j’ai commencé à rencontrer du monde. Le parc à chiens a multiplié par dix mes connaissances à la Meinau." Alban Klein, qui est agent immobilier, renchérit : "C’est une belle vitrine sociale. Il y a de l’ambiance et beaucoup de bienveillance." En 2021, après la longue période de confinement, Dora Kecelioglu a créé un groupe WhatsApp pour organiser ces sorties. Aujourd’hui, le fil réunit une trentaine de propriétaires de chiens. "Quand quelqu’un est absent depuis longtemps, on s’inquiète, donc on demande sur la discussion", complète Justine Bru, emmitouflée dans son imperméable rose.
De l’autre côté de la rue du Général-Offenstein, le Rhin Tortu continue de s’écouler, entraînant poules d’eau et ragondins.
Anne Muller, une quadragénaire de Neudorf, marche d’un pas rapide. Le maximum qu’elle s’autorise avec sa grippe du jour. Elle court chaque semaine sur les rives bordées de chênes, d’érables et de châtaigniers : c’est bien mieux que de transpirer sur le bitume. "L’été, je peux y aller après le travail vers 21 h. L’hiver, j’y vais plus tôt parce que je cours seule." C’est aussi le cas d'Auriane Schmitt, une auto-entrepreneuse de 34 ans, qui parcourt les 6 km aller-retour jusqu’au lac du Baggersee. En chemin, au niveau du parc Schulmeister, trois jeunes sont affalés sur un banc. Rap français en fond sonore, ils discutent les yeux tournés vers l’aire de jeux déserte.
Lucie Campoy
et Liza Hervy-Marquer
En automne, les passants se font rares sur les rives du Krimmeri. © Liza Hervy-Marquer