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23/02/17
09:48

"Tu articules mieux quand tu parles allemand”

Le temps d'une soirée, au Kitsch'n Bar à Strasbourg, deux versions du slam se sont partagées la scène: une française et une allemande. Cuej.info est allé rencontrer des poètes locaux.

Au Kitsch’n Bar à Strasbourg, mardi soir, les chaises sont occupées par des spectateurs de tous âges. Ce soir, il y a un slam. Une scène ouverte où on peut présenter des textes et des poèmes. Bruno est le premier à s’y essayer. Le grand homme, au long manteau noir et au chapeau de Cowboy, ajuste le micro. “Je vais présenter pour la première fois un texte allemand.” Dans le public, une femme réagit vivement : “Bah non, ça fait chier!”, avant de comprendre qu’il s’agit d’une soirée franco-allemande.

Silence, s’il vous plaît – Ruhe bitte!”, crie Bruno, avant de déclamer son texte. Il scande une histoire d’amour. La sienne, avec une femme dont il est tombé amoureux et qu’il a dû quitter. La performance de Bruno surprend et ravit l’audience : “Mais Bruno, tu articules même mieux quand tu parles allemand!

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Bruno, 50 ans, parle français, allemand, anglais, alsacien et la langue africaine sango. 
Photo: Cuej/Simone Ahrweiler

Bruno participe à tous les slams qui sont organisés par l’association Oaz’art depuis des années. Le slam est une discipline qui consiste à interpréter au micro des textes poétiques, écrits par soi-même. La thématique est différente à chaque fois et ce soir, c’est un slam franco-allemand. Ça tombe bien pour Bruno, qui parle les deux langues mais utilise moins l'allemand pour ses textes de slam : "En allemand, je suis moins à l’aise car ce n'est pas ma langue maternelle". Trois thèmes majeurs l'inspirent : "la vie, l’amour et le bonheur. Simplement, parce que sinon, il n’y a rien."

La scène slam à Strasbourg

L’association Oaz’art porte la scène slam à Strasbourg depuis presque 10 ans. “Nous faisons des scènes ouvertes, des tournois de slam et des ateliers d’écriture”, raconte l'organisateur de la soirée, Florent Schmitt, 31 ans. Sur son temps libre, l’animateur jeunesse organise des rencontres entre slameurs. “Ce que j’aime particulièrement, c’est que les gens viennent, s’assoient et t’écoutent. Mais il faut quand même les captiver. C'est pour ça que je fais de mon mieux dans la manière de présenter mon texte.” La langue allemande, il l’a appris à l’école. Depuis plusieurs années déjà, il fait du slam en équipe avec une amie allemande. De cette coopération est née l’idée de faire un slam bilingue.

A l'intérieur du bar, l’ambiance est animée. La salle s’est encore remplie. Installés autour du micro, assis et debout, certains écoutent attentivement les poètes, d’autres bavardent, lèvent la tête de temps en temps. Leurs conversations sont parfois interrompues par des applaudissements. Les artistes quittent la scène, se fraient un chemin dans la foule, pour prendre une boisson offerte au bar.

Le slam des deux côtés du Rhin

D'habitude en Allemagne, le slam prend des allures de rencontre sportive et requiert la participation du public. Un jury désigné dans le public présent note la performance de chaque poète. Les meilleurs gagnent le droit de déclamer un deuxième poème. Le meilleur slameur du soir sera élu à l'applaudimètre. Ce soir par contre, pas de jury; tout le monde peut participer. Un des slameurs oublie son texte. Au milieu d’une phrase il s’arrête, réfléchit, recommence, mais les paroles ne reviennent plus. Les applaudissements sont d’autant plus chaleureux. En Allemagne, quand cela arrive à un slameur, le public crie “Heavy metal” pour permettre au candidat de se rattraper.

Le slam en France et en Allemagne ont chacun leurs codes : “En général, les Allemands font des slams plus longs, jusqu’à dix minutes. En France, on a gardé les trois minutes. Ce qui fait que les Allemands sont souvent plus dans la narration”, raconte Florent Schmitt

“En Allemagne le slam est plus professionnalisé. Les artistes vont plus de scène en scènes, les slams sont payants. A Strasbourg, on propose plutôt du slam social. L’entrée est libre et on veut un mélange entre slameurs professionnels et débutants”, raconte Florent Schmitt avant d'ajouter : “J’ai l’impression que les Allemands sont plus dans la performance. Ils vont plus bouger, vraiment mettre des textes à l’oral. En même temps, il y a un contre-exemple: le groupe Großraumdichten où la slameuse Pauline Füg crée de l‘énergie sans grande performance. Elle arrive à trouver un ton sur scène, qui capte l’attention du public.” Depuis 1997, l’Allemagne organise un championnat annuel de cette discipline. En 2011, l'événement a pu rassembler à peu près 15.000 spectateurs. 

Au Kitsch’n Bar, c’est d’abord les deux langues qui font une différence. Pour Bruno, dont la langue maternelle est le français, l’allemand est “beaucoup plus riche en vocabulaire mais laisse moins de place pour l’imaginaire. Le français offre plus de possibilités pour les poètes.” Il fait partie d’une minorité: “Beaucoup de Français disent que l’allemand est une langue moche, mais moi, je la trouve belle, très belle”.

Florent, qui fait ce soir un texte moitié en allemand, moitié en français, raconte comment il a vécu le processus d’écriture bilingue: “Dans le texte que j’ai écrit avec Iris Keller, une slameuse allemande, on s’est amusés à passer d’une langue à l’autre, à faire des jeux de mots. Le plaisir, pour nous, était de jouer un peu sur les faux amis. Et de voir quand on a une idée ce qui émerge dans une langue et ce qui émerge dans l’autre et parfois c’est complètement différent”. Entre les deux langues, il y a plein de particularités qui invitent à jouer avec: “Nous avons aussi écrit un texte sur un train et on a joué avec le mot composter. En allemand, ça n’existe pas. Le mot allemand 'kompostieren' signifie faire du compost, on pense à des légumes pourris. C’est marrant! Le fait d’écrire dans plusieurs langues crée une richesse."

Pour Florent Schmitt, le slam est aussi une occasion d'unir les gens: “En Alsace, il y a toujours cette frontière dans les têtes, bien que la traverser est simple. Avec notre slam franco-allemand, les gens des deux côtés se rencontrent”.
​Bientôt, le slam va réunir encore plus de gens à Strasbourg. La Coupe de la Ligue Slam de France aura lieu à Strasbourg grâce au slameur Cartouche. L’événement se tiendra du 22 au 28 mai sur plusieurs scènes.

Nina Zeindlmeier et Simone Ahrweiler
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