Alors que la cérémonie des Oscars n'a pas encore débuté, la comédie musicale Emilia Pérez voit encore sa cote chuter après avoir accumulé un grand nombre de polémiques.
Malgré 13 nominations aux Oscars, l’équipe du film de Jacques Audiard pourrait repartir de la cérémonie sans statuette. Photo Pixabay / Mirko Fabian
Alors qu’Emilia Pérez se place comme le grand favori des Oscars dans un mois, avec pas moins de 13 nominations, l’actrice principale Karla Sofia Gascon a disparu des campagnes de communication de Netflix depuis une semaine. Les magazines américains Variety et The Hollywood Reporter rapportent également que l’actrice espagnole ne participera pas au gala des Critics Choice Awards où elle était invitée vendredi 7 février. Webex revient sur les controverses qui gravitent autour du film de Jacques Audiard.
Les propos racistes de Karla Sofia Gascon
À l’origine de cette prise de distance de Netflix, des posts islamophobes et racistes exhumés du compte X de l’actrice espagnole par la journaliste Sarah Hagi, le 29 janvier. Dans ses publications, elle qualifie notamment l’islam de “foyer d’infection pour l’humanité qu’il faut soigner d’urgence”, et s’attaque à la communauté chinoise par des stéréotypes xénophobes pendant la pandémie de Covid-19.
Après la découverte de ces posts, Karla Sofia Gascon a présenté ses excuses lors d’une interview pour Vanity Fair le 30 janvier : “En tant que personne issue d’une communauté marginalisée, je connais trop bien cette souffrance et je suis profondément désolée envers ceux à qui j’ai fait du mal.” Ce mea culpa n’aura pas suffi à calmer la polémique, qui vient s’ajouter à une longue liste de controverses autour du film Emilia Pérez.
Une représentation “presque fétichiste” du narcotrafic mexicain
L’histoire avait pourtant bien commencé pour la comédie musicale de Jacques Audiard : après avoir reçu le prix du Jury et le prix de la meilleure interprétation au Festival de Cannes, le film est auréolé de quatre récompenses aux Golden Globes, le 6 janvier.
Si les médias français et hollywoodiens saluent le récit fantasque d’une narcotrafiquante mexicaine transgenre, de nombreux cinéastes et internautes mexicains fustigent la représentation caricaturale que véhicule le film sur leur pays. Tourné en banlieue parisienne, le film ne présente qu’une seule actrice mexicaine au casting, la danseuse Adriana Paz.
"Tout semble inauthentique, surtout quand le sujet est si important pour nous les Mexicains", explique le chef opérateur renommé Rodrigo Prieto à la revue Deadline. Le traitement léger de la guerre de la drogue (à l’origine de 30 000 homicides chaque année et de dizaines de milliers de disparus) a été qualifié de “blessant” et “frivole” par la journaliste mexicaine Cecilia Gonzalez sur X.
Dans un TikTok cumulant près d’un million de likes, l’influenceur mexicain Jezzini dénonce une “obsession presque fétichiste de la France avec le Mexique” : “Si un jour, tu te réveilles, et tu vois à la télé que Alfonso Cuarón [...] dit “Je vais faire un film qui s’appelle Bataclán” [...] et en plus de ça il annonce que tous les comédiens sont mexicains [...] et la protagoniste du film c’est une Belge [...], tu dirais [que] c’est pas cool [...]. Il prend notre culture, il prend une douleur de notre société, et il en fait un spectacle.”
Suite à ces critiques, Jacques Audiard s’est défendu lors d’une présentation d’Emilia Pérez à Mexico : “Au départ, c'est un opéra, et un opéra, ce n'est pas très réaliste.” Le réalisateur a également affirmé être “prêt à [s]’excuser si des choses paraissent choquantes dans Emilia”, mais n’a pas fait de déclaration concernant les tweets racistes de Karla Sofia Gascon.
Une vision “erronée” de la transidentité
Même si la prestation de Karla Sofia Gascon marque la première nomination d’une comédienne ouvertement transgenre pour l’Oscar de la meilleure actrice, la représentation de la transidentité a été largement décriée par des associations luttant pour les droits des personnes trans.
Le scénario du film “participe à diffuser l’existence d’une transidentité utilitaire, soit pour devenir prédateur, soit pour gagner des compétitions sportives, soit [...] pour échapper à la justice”, selon la directrice de OUTrans Anaïs Perrin-Prevelle. Auprès de France Info, elle regrette l’abondance de l’imagerie chirurgicale au début du film, “une vision erronée” de la transidentité qui colporte l’idée que “la transition ne puisse pas se faire sans opération”.
Pour Karla Sofia Gascon, ces critiques sont infondées dans la mesure où “l’expérience transgenre n’est pas la même pour tout le monde” : “Mon expérience en tant que femme trans est différente des autres”, souligne-t-elle auprès de Vanity Fair. La comédienne a également rapporté faire l’objet d’une “campagne de haine terrible” de la part de détracteurs transphobes.
Toutes ces controverses auraient contribué à faire chuter drastiquement la note qui était attribuée au film sur le site de critiques cinématographiques IMDb : l’hebdomadaire britannique The Economist rapporte une baisse de 3,3 points entre le 17 et le 27 janvier, faisant d’Emilia Pérez le film le plus mal noté des Oscars avec une note de 5,7/10. Il faudra attendre le 2 mars pour savoir si des statuettes lui seront décernées malgré tout.
Anna Chabaud
Édité par Liza Hervy-Marquer