Un monde complexe, la frustration dans l’attente d’un film… À l’occasion de la Nuit des livres à la librairie Kléber, les fans de Harry Potter ont tenté de poser des mots sur ce qui les unit.
Dans l'Échoppe magique les apprentis sorciers peuvent se procurer cape et baguette. Photo Mariella Hutt / Cuej
Ils plaisantent sur le manque de réalisme de leur costume. Qu’importe, les non-initiés n’y voient que du feu. Jeudi 6 février à Strasbourg, la communauté des fans d’Harry Potter s’est donné rendez-vous à la librairie Kléber. Un événement auquel 850 personnes avaient répondu présent l’an dernier.
Car la capitale alsacienne compte des adeptes de sorcellerie. L’équipe strasbourgeoise de quidditch, sport collectif sur balai de la saga, s’est qualifiée pour la Coupe de France. Des associations organisent des événements thématiques et un lycée a même, depuis septembre 2019, instauré une promotion « Poudlard », du nom de l’école des sorciers.
Une communauté hiérarchisée
La concurrence est rude pour décrocher le graal lors de cette soirée, le meilleur score au quiz sur la saga, en vue de gagner un voyage. Ceux que l’on appelle les « Potterheads » ont - depuis 22 ans et la parution des sept tomes aux 500 millions d’exemplaires vendus - emmagaziné un nombre incalculable de connaissances. Et comme dans tous les groupes avec une ancienneté, « il y a une hiérarchie, des règles tacites », note Boris, 21 ans.
Ce soir, il arbore la couleur émeraude de la maison Serpentard. « Vous êtes tombées sur la bonne personne ! » plaisante-t-il. Une façon de rappeler son investissement au sein de la communauté. Membre de l’équipe de quidditch, ce « geek » s’est aussi illustré sur le Net. Avec l’animation d’une émission Youtube sur la saga, la participation à un court-métrage amateur à 2 millions de vues intitulé « Le maître de la mort », il a acquis une petite notoriété. « Mais quand on a commencé à proposer ce contenu, on a été mal accueillis par l’ancienne génération, tempère-t-il. Si on aborde des détails pointus de l’histoire, on se retrouve face à des gens qui la connaissent vraiment. Ils chipotent sur des dates, des interprétations, c’est là qu’on voit que l’oeuvre est complexe. »
Trois générations de Potterheads
Dans sa boutique L’Échoppe magique, ouverte en avril 2019 à Strasbourg, Marine aussi s’est pris une claque. « Je pensais que j’étais calée, mais quand je vois les clients, je me dis que j’ai encore plein de choses à apprendre. » Elle s’étonne encore de la diversité des profils, des enfants et même « une femme de 76 ans, fan depuis le début ». Plusieurs générations se succèdent, la première ayant grandi avec les livres, la seconde et la troisième avec les films, dont Les animaux fantastiques pour les plus jeunes. Lucie 9 ans, a déjà tout lu, et voue beaucoup d’admiration à la « géniale » autrice J. K. Rowling qui a « inventé plein de trucs ».
Des idées qui permettent à Marine de vendre des objets dérivés, du simple porte-clef à la cape en passant pour le balais à 299€. Des fois, des clients arrivent déjà costumés. Elle s’interroge : « Vous pensez qu’ils s’habillent comme ça tous les jours ? » Pour vivre leur passion, quelques fans sont prêts à débourser des sommes exorbitantes. « Ça me met mal à l’aise parfois. Certains ont peu de moyens, mais ils se consacrent en priorité à l'univers de Harry Potter. » D’après Louison, organisatrice de la Nuit des livres à Kléber, les fans sont issus de toutes les classes sociales. « Dans la saga, un mec orphelin devient le plus important de son école. À côté, son pire ennemi vient d’une famille hyper noble. Ron est issu d’une milieu plus que modeste, Hermione est assez aisée. On peut s’identifier, s’approprier l’histoire. »
Marine de l'Échoppe magique. Photo Thémïs Laporte / Cuej
« Entrer complètement dans cet univers »
Nés moldus - comprendre sans pouvoirs magiques - les fans tentent d'instiller une dose de fantastique dans le monde bien tangible des humains. Mélissa, étudiante en communication de 24 ans grimée en professeur de voyance, analyse : « J. K. Rowling a réussi à créer un monde très particulier, comme l’avait fait Tolkien avant elle. Les lecteurs ont envie d’en savoir plus, on peut entrer complètement dans cet univers. »
Enfin, pas tout à fait. « J’aimerais vraiment aller à Poudlard mais bon… Je sais que c’est impossible », sourit Syl, lycéenne. L’envie d’expérimenter cette magie, « dans laquelle on ne peut pas vivre au quotidien » la pousse à faire du loisir solitaire qu’est la lecture une activité sociale. « S’il y a un événement Harry Potter, je sais que je vais aimer, c’est bon ! J’y vais direct. »
La fiction devient réalité
« Tout le monde vit sa passion différemment, c’est ça la magie ! témoigne Boris, le plus geek de ces Potterheads. Pour le milieu des fans que j’ai côtoyé, ça peut être un échappatoire. Certains sont seuls, y trouvent un refuge ou un moyen de communiquer sur un intérêt commun. » Les interprétations et objets de collection se partagent sur les réseaux sociaux, des amitiés se créent lors des événements.
Pourquoi transposer cette fiction dans le réel ? « Le manque ! », répond Marine dans sa boutique. Dans l’attente de livres, de films, la frustration se fait sentir et les fans de la première heure écrivent à leur façon, la suite de l’histoire.
Mariella Hutt et Thémïs Laporte
Portrait chinois de Potterheads :
Son: sound-fishing