La plateforme de streaming Salto n’accepte plus les nouveaux abonnés depuis lundi. Après moins de trois ans d’existence, la création conjointe de TF1, M6 et France Télévisions s’apprête à tirer sa révérence.
Depuis son lancement en 2020, la plateforme Salto a preféré capitaliser sur des contenus américains, alors qu'elle visait le « rayonnement de la création audiovisuelle française ». © Unsplash / Glenn Carstens Peters
« Merci à tous les abonnés Salto d’avoir partagé avec nous leur envie et leur enthousiasme pour une plateforme de streaming Made in France ». Pas d’annonce officielle pour l’instant, mais le message sur la page d’accueil est clair : Salto va bientôt disparaître. Une dissolution imminente qui concerne 42 employés et près de 900 000 abonnés.
Pensée comme une plateforme payante de vidéo par abonnement menée par les principaux acteurs de la télévision gratuite, Salto n’a pas su s’imposer dans le paysage SVOD malgré « une première base qui était pas mal, une communication marketing bonne, mais une deuxième partie qui aurait dû être de la production de contenus », souligne Olivier Thuillas, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-Nanterre.
Un manque d'investissements
Ce spécialiste des industries culturelles soulève deux problèmes majeurs : les tensions et le manque d’investissements. « C’est de la tension “ coopétitive ” : les entreprises tentent de faire de la coopération en même temps que de la compétition. On se retrouve dès le début avec la question de savoir ce que chacun va mettre sur la plateforme. Il aurait fallu par exemple arrêter MyTF1 et tout mettre dans Salto. » Un pari que les chaînes n’ont pas voulu tenter, préférant alimenter leur propre service de streaming par la rediffusion de leurs contenus (Dix pour cent, Demain nous appartient, Ici tout commence).
Le lancement tardif de Salto, en octobre 2020, combiné à la frilosité des investissements dans la « création d’originals » comme le font les concurrents, sont autant de rendez-vous manqués pour ce qui se voulait un « Netflix à la française ». Selon Olivier Thuillas, « ce qui a probablement condamné une partie du projet a été l’abandon de la fusion TF1-M6. Il y a eu un temps d’attente et des inconnus sur cette fusion qui ont empêché la mise en place de grands investissements qui étaient pourtant indispensables. Il aurait fallu accepter de perdre de l’argent pour en gagner dans deux ou trois ans ».
Salto et sa vision trop nostalgique
« Salto a un côté nostalgique, on revoit des choses que l’on a aimées et on les partage, mais cela aurait eu plus de sens de se focaliser sur des contenus nationaux. » Dès ses débuts, la plateforme de streaming visait la promotion et « le rayonnement de la création audiovisuelle française et européenne ». Pourtant, face au manque de contenus originaux, elle a préféré capitaliser sur des grands évènements… américains. Les 20 ans d’Harry Potter avec une soirée réunissant les acteurs de la saga, les retrouvailles des stars de Friends ou encore And just like that, la suite de la série culte Sex and the city. Seul programme original à son actif, une série documentaire de Jean-Xavier de Lestrade sur les massacres de la secte de l’Ordre du Temple Solaire, survenus entre 1994 et 1997.
Salto n'accepte plus d'abonnements depuis lundi. La disparition de la plateforme concernera près de 900.000 utilisateurs. © Capture écran Salto
Face à Netflix qui investit massivement dans de nouvelles productions et Disney, installée avant Salto, qui se fonde aussi sur un catalogue d’œuvres connues et appréciées par plusieurs générations, la plateforme française semblait partir avec beaucoup de désavantages. Sans avoir réussi à atteindre le million d’abonnés, Salto dispose tout de même d’un catalogue pointu en matière de créations étrangères.
Malgré cela, le spécialiste Olivier Thuillas rappelle que personne n’est dupe : « Salto a perdu quasiment deux ans, ce n’est pas la même chose d’arriver avant ou après Disney. Et puis, les autres se bougent tout le temps. » Dans une étude de 2021 menée par l’Hadopi et le CSA sur les stratégies de développement et l’impact sur les usages des SVOD, on remarque que les pays scandinaves ont des offres capables de talonner Netflix comme Viaplay ou Videoland. « Ils ont suffisamment de poids, de reconnaissance, et surtout d’investissement », rappelle le chercheur.
Vers la fin de l’eldorado de la SVOD
Paramount +, lancée en décembre 2022, a réalisé une entrée « plus modeste » que prévu dans le paysage audiovisuel français avec un catalogue qui continue de s’étoffer au fil des semaines. Arrivée tard sur le marché, elle se voit notamment obligée de signer des accords de co-exclusivité avec Amazon, un des mastodontes de la SVOD. « Chacun revient sur son métier, le marché devient mature et il y a beaucoup d’argent à perdre », explique Olivier Thuillas.
Face à ce manque à gagner, certains préfèrent d’ailleurs retourner à un ancien modèle : « On assiste à un retour de la publicité et donc à un fonctionnement historique de l’audiovisuel. Les nouvelles plateformes reprennent d’anciennes recettes ». C’est notamment le cas pour Netflix qui a suscité une levée de boucliers à l’annonce d’une offre comprenant de la publicité. En attendant, « France TV perdait 50 millions par an », trop pour que le service choisisse de continuer à alimenter Salto. Si le projet a avorté, Olivier Thuillas n’y voit pas la fin d’un modèle français : « Salto faisait envie, ce n’était pas une aberration commerciale, mais ceux qui peuvent se développer et n’ont en réalité pas le choix, c’est Canal +. Ils ont d’ailleurs racheté OCS et les studios de production d’Orange. »
Tara Abeelack
Edité par Joffray Vasseur