Envoi de matériel pédagogique, cours en ligne, voire accueil des étudiants et professeurs. L'universitaire Samim Akgönül fait le point sur les pistes qui s'offrent à l'Unistra pour venir en aide aux universités turques et syriennes détruites.
Pour l'université de Strasbourg, la priorité reste le sauvetage et la prise en charge des rescapés. © İnönü University Center Campus
A Strasbourg, la solidarité académique n'est pas un vain mot. Samim Akgönül, le directeur du département d'études turques de la Faculté des langues de Strasbourg, est l'un des artisans d'une initiative de l'Unistra visant à soutenir les facultés turques et syriennes dévastées par le double tremblement de terre du 6 février. « Hier, j'ai contacté une par une treize universités [onze turques, deux syriennes] pour leur demander ce qu'elles attendent de nous », explique ce maître de conférence spécialisée dans l'histoire de la Turquie.
Il précise que le soutien proposé par l'Unistra ne prendra pas la forme d'une aide humanitaire d'urgence, mais d'une « solidarité horizontale » entre l'Unistra et les campus sinistrés. Adopter une approche coopérative est également très important, insiste le maître de conférences, qui veut à tout prix éviter une « approche verticale » et souhaite que l'Unistra traite d'égale à égale avec les institutions locales.
Aide à moyen terme
La coopération en vue de reconstruire les campus turcs et syriens n'est pas la priorité immédiate, concède Samim Akgönül. Pour l'heure, la priorité reste le sauvetage et la prise en charge des rescapés alors que, selon les dernières estimations, la catastrophe a tué plus de 40 000 personnes dans les deux pays et que de nouvelle victimes sont découvertes chaque jour sous les décombres.
En Turquie, l'Etat a réquisitionné les bâtiments encore indemnes des campus pour y mettre à l'abri une partie des milliers de personnes privées de logement par les tremblements de terre. Les universités sont donc passées à l'enseignement à distance jusqu'à nouvel ordre.
Mais plusieurs pistes sont envisagées dès à présent pour aider ces facultés lorsque la vie universitaire reprendra – « dans trois mois, six mois ou un an », estime Samim Akgönül –, notamment le renouvellement du parc informatique, l'envoi de matériel pédagogique (livres, matériel de laboratoire) et la mise en place de cours en ligne en turc, en arabe ou en anglais.
Difficultés possibles
Certaines difficultés pourraient apparaître. « Les universités turques sont libres de faire appel à nous, mais elles ne sont pas forcément libres d'accepter tout ce que nous avons à leur offrir », regrette Samim Akgönül, pointant du doigt le fait que la centralisation des universités est bien plus marquée en Turquie qu'en France, et que le régime de Recep Tayyip Erdoğan y exerce un droit de regard.
« Je n'ose pas dire que toutes les disciplines pourront être enseignées [depuis Strasbourg] », reconnaît le professeur, tout en assurant que l'Unistra n'acceptera pas de censure de la part du gouvernement turc : « Nous serons très vigilants dans nos relations avec ces universités et nous resterons fidèles à nos libertés académiques, qui sont la liberté de parole et de recherche. »
Le professeur reste confiant, cependant. Même sous le régime actuel, assure-t-il, toute liberté d'expression n'a pas disparu dans les facultés du pays. « Par exemple, personne n'a jamais empêché la tenu d'un cours d'histoire ou de littérature, et même sur les sujets les plus tabous, comme le génocide arménien ou le droit des LGBT, des franges de liberté subsistent. Il ne faut pas réduire la Turquie à son régime », insiste-t-il.
Soutien psychologique
Une autre piste d'aide pourrait être envisagée : l'accueil de professeurs et étudiants turcs en France, pour une durée d'un ou deux semestres, afin de leur permettre de continuer leurs recherches ou leurs études. Cette hypothèse est de loin la plus incertaine pour Samim Akgönül, qui reconnaît que les considérations administratives et politiques dépassent de loin les capacités de son département.
Enfin, le professeurs souhaiterait voir l'Université de Strasbourg mettre en place une assistance psychologique à destination de ses propres professeurs et étudiants originaires de Turquie ou de Syrie. « L'Alsace, et Strasbourg plus particulièrement, accueille un grand nombre de personnes originaires de Kahramanmaraş, l'une des villes les plus touchées par le séisme », explique le professeur. « J'ai personnellement envoyé un message à tous mes étudiants, de la licence au master, pour leur dire que nous étions à leur écoute et leur proposer une assistance psychologique ou dans leur cursus, et je voudrais voir l'université de Strasbourg dans son ensemble faire la même chose », conclut-il.
Matei Danes
Édité par Corentin Chabot-Agnesina