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Robert Grossmann, 73 ans, a participé lundi 17 février à son dernier conseil municipal. C'est une certaine idée de la politique qui se retire, en même temps que ce gaulliste impénitent qui achève son huitième mandat.

« Cher Robert Grossmann, (…) vous avez une qualité rare en politique : la franchise. Cela nous a valu parfois de vifs échanges. (…) Je peux vous dire que nous n'aurons plus tout à fait la même qualité d'échanges sans vous. » Le maire Roland Ries, candidat à sa propre succession, a ouvert le conseil municipal de ce lundi 17 février, le dernier du mandat, en saluant Robert Grossmann, qui a siégé sans interruption au conseil de sa ville natale pendant 49 ans.

Robert Grossmann se retire après huit mandats. © Judith Kornmann

Il est entré au conseil municipal à l'âge de 24 ans – il en était alors le benjamin –, alors que Pierre Pflimlin était maire. Il fut ensuite, de 1977 à 1989, adjoint aux sports de ce même Pierre Pflimlin puis de Marcel Rudloff, avant de devenir un des animateurs de l'opposition aux socialistes après la victoire de Catherine Trauttmann. Il a décidé, après hésitation, de n'être présent sur aucune liste pour le scrutin à venir.

Après l'éloge de ce 17 février, ému, son corps massif bien calé sur le fauteuil, Robert Grossmann s'est dit « bouleversé » par les mots de Roland Ries et les applaudissements nourris de toute l'assistance. Avec l'humour et le franc-parler que même ses ennemis politiques - nombreux - lui reconnaissent, il a ironisé sur son « épouvantable caractère » et averti « que personne ne s'imagine que je vais devenir muet, je descendrai souvent de l'Aventin pour retourner dans l'agora ». Une façon élégante, pour ce vieux lion épris de littérature et d'art contemporain, de signifier qu'il ne se retire pas définitivement dans sa cage : il observera tout et se fera un plaisir de rugir le moment voulu. Personne n'en doutait.

Un ennemi attachant

Sanguin, affectif, belliqueux, érudit, caractériel, bouillonnant, radin, généreux, passionné, mégalomane, idéaliste... Les avis sur Robert Grossmann varient énormément mais ne sont jamais en demi-teinte. « C' est une personnalité incontestable comme on risque peu d'en retrouver à l'avenir dans notre assemblée », affirme Alain Fontanel, l'adjoint aux finances souvent considéré comme le dauphin de Roland Ries.

Axelle Benamran, 39 ans, dont Robert Grossmann fut le mentor en politique, a « énormément d'affection et d'admiration pour cet homme qui est tout l'inverse du portrait qu'on dresse souvent de lui. C'est un homme exceptionnellement sensible et cultivé. S'il peut donner l'impression d'être grande gueule ou agressif, c'est parce qu'il est entier et qu'il dit toujours les choses en face. En politique, personne d'autre n'est comme ça ». Pour Axelle Benamran, qui figurera sur la liste de François Loos (UDI) au mois de mars, « personne aujourd'hui à droite ne rivalise avec Robert Grossmann. Je ne doute pas qu'il continuera à contribuer, autrement, au débat public ».

Lorsqu'il était « maire délégué » et président de la CUS (2001-2008), dans le cadre d'un tandem inédit et tendu avec Fabienne Keller, son style brusque a choqué. A Strasbourg, ceux qui gardent une désastreuse image de lui sont nombreux. Parmi lesquels un certain nombre de fonctionnaires de la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) qui ne lui ont pas pardonné ses coups de colère spectaculaires. Fabienne Keller elle-même, a invoqué le caractère spécial de Robert Grossmann pour expliquer le mauvais résultat de premier tour de 2008. Entre les deux tours, elle fit disparaître sa photo des tracts et affiches...

« Quand on se croise, on s'insulte en alsacien »

Roger Siffer, le célèbre cabarettiste et patron de la Choucrouterie ne mâche pas ses mots. « Politiquement, c'est un nationaliste qui demande un traducteur quand il rencontre des responsables allemands alors qu'il parle parfaitement l'allemand. Jeune, ce n'était pas un enfant de cœur, il était tout de même membre du Service d'action civique (SAC), le service d'ordre gaulliste. Quand il était au pouvoir, il a supprimé le festival Babel que j'avais lancé, juste pour m'emmerder. Je le lui ai rendu au centuple en me foutant de sa gueule dans chacun de mes spectacles. J'ai toujours prétendu que ce n'était pas lui qui écrivait ses livres, il voulait me faire un procès.»

Mais le chanteur soixante-huitard ne parvient pas à cacher entièrement la curieuse tendresse qu'il éprouve pour ce « personnage atypique » qui a fait paraître une dizaine de livres sur la culture en Alsace, André Malraux, le communautarisme ou le gaullisme. Des mémoires politiques, qu'on imagine sulfureuses, sont d'ores et déjà annoncées. « Quand on se croise, on s'insulte en alsacien et on s'embrasse. C'est de très loin celui qu'on a le plus caricaturé à la Choucrouterie. En prenant sa retraite, il nous enlève un sujet en or ! »

Un vote pour Loos ou pour Ries, pas pour Keller

La retraite politique de Grossmann ne signifie pas son silence. Lui préfère parler de « recul ». « Il ne pourra pas se taire, il rêve d'être un gourou », lance Roger Siffer. « Il a toujours le désir de transmettre aux plus jeunes et de servir Strasbourg », déclare Axelle Benamran à propos du dénicheur de Nicolas Sarkozy. C'est peut-être deux façons de dire la même chose.

Robert Grossmann n'a pas encore dit qui il choisirait. Il a annoncé, par contre, qu'il ne voterait pas pour Fabienne Keller, l'alliée d'hier. Ira-t-il jusqu'à appeler à voter pour Roland Ries, dont il se sent « humainement proche » ? On ignore pour l'heure qui, du socialiste Ries ou du centriste Loos, aura la préférence du gaulliste Grossmann. Il l'annoncera d'ici deux semaines.

Nathan Kretz