L’art du teasing
Le retentissement médiatique de cette vidéo est telle que le mot « octogone » rentre dans le langage populaire. Les mois défilent et l’organisation du combat se fait par vidéos interposées entre Booba et Kaaris. La signature du contrat est digne d’une série avec sa succession d’épisodes, de rebondissements. Kaaris signera-t-il le contrat ? Quelles clauses? Quelle pays va organiser le combat ? Quelle ville va l’accueillir ? Quel promoteur touchera le pactole ? Finalement, une date est trouvée mais aucune ville n’a encore accepté d’accueillir les deux adversaires. Le 21 août 2019, Booba et son équipe tourne un clip à Aulnay-sous-Bois, une fusillade éclate, une personne est blessée. Comme à son habitude, le rappeur retourne la situation à son avantage et son nouveau clip « Glaive » débute par les journaux télévisés évoquant la fusillade. Les internautes s’enflamment et n’attendent plus qu’une chose : la confrontation.
Maxime Arnoult
Quelques temps après sa sortie de prison, Booba retombe dans ses travers, d’abord par une phrase dans sa chanson “Sale Mood”: « On s’est croisé à Orly Ouest, personne n’a pris l’avion. » Et le 25 décembre, le duc de Boulogne propose un combat de MMA ( Mix martial arts) à Kaaris dans une vidéo Instagram.« Ok, Armand, j’te propose un octogone sans règle. » Le MMA est l’un des sports les plus suivis de la planète, les deux adversaires s’affrontent dans une cage, et tous les coups sont permis. Un choix judicieux d’un point de vue marketing. Un combat de rue encadré, générant un show et un business est un moyen idéal pour des rappeurs de régler un différend. Symbole de virilité et de puissance, ce sport reflète la compétition et la violence indue dans le rap. Le « trashtalking », c’est-à-dire l’art de provoquer son adversaire avant le match, règne en maître dans ce sport, un moyen de faire monter la pression et susciter l’attention. Et les deux rappeurs ne sont pas avares de piques. De plus, le MMA est interdit en France. Tout est réuni pour combler les fans.
Kaaris menace Booba en 2014 dans une vidéo devenue virale
« Il y a davantage de libertés, des têtes ont changé, mais c’est tout »
Installé en France depuis un an, cet informaticien compte bien aller voter. Mais il déplore : « Même si le régime a changé, le personnel de l’administration intermédiaire est toujours le même. Surtout que les politiciens ne respectent pas leurs promesses, certains changent de parti en cours de mandat. »
Plus encore, Zeid Sakka pointe du doigt un pays englué dans la corruption et les difficultés économiques qui selon lui, en découlent. « Dans le régime de Ben Ali, que les jeunes ont fait tomber, tout le monde était obligé de travailler. Désormais nous avons plus de libertés, apprécie-t-il. Mais il y aussi plus de grèves, notamment dans le secteur du phosphate. Financièrement, cela engendre des difficultés. » Dans une telle conjoncture, beaucoup de jeunes se détournent du vote et envisagent, dans les régions les moins favorisées, une seconde révolution.
« Jouer sur les sentiments des Tunisiens »
« Les anciens, eux, ont tendance à être plus conservateurs », considère Zeid Sakka. « Certains sont partisans de candidats pro-Ancien Régime, comme Abir Moussi ou Abdelkarim Zbidi, l’actuel ministre de la défense. Ils jouent sur les sentiments des Tunisiens, en disant : c’était mieux avant. » Il poursuit : « Les séniors choisissent ceux qui sont connus, alors que beaucoup de jeunes veulent de nouveaux visages. »
La religion, elle aussi, continue de cristalliser les oppositions avec, par exemple, la Loi sur l’égalité dans l’héritage. Cette proposition entend réviser la norme en vigueur, basée sur le Coran, qui veut qu’en cas de décès, les hommes héritent plus que les femmes. « Certains font exprès de se positionner sur ces questions, par stratégie, pour jouer sur les sentiments des Tunisiens. Mais je pense que le véritable enjeu de cette présidentielle pour les jeunes, fortement touchés par le chômage, est économique. »
Thémïs Laporte
L’octogone : un feuilleton qui suscite l’attention
Depuis, les deux stars se répondent à coups de publications sur les réseaux sociaux, vidéos, insultes, montages et le 1er août 2018, ils se croisent à l’aéroport d’Orly, s’ensuit une confrontation physique en groupe. La scène est filmée par des personnes présentes dans le hall et publiée sur Snapchat, reprise sur Twitter, les rappeurs sont interpellés et placés en détention. L’altercation est reprise par tous les médias nationaux et met sous le feu des projecteurs les deux artistes.
Instagram : l’arme fatale de Booba
Le rappeur de Boulogne-Billancourt, désormais exilé à Miami, a fait du réseau social Instagram son terrain de jeu. Son compte officiel, Kopp92i, devient son propre média avec plus 4,5 millions de followers. Il raconte en image son train de vie luxueux, met en scène ses enfants et raffole de montages photos pour discréditer ses ennemis. Booba peut ainsi exister sans la musique. En 2015, le clash prend de l’ampleur lorsque le rappeur des Hauts-de-Seine publie un montage de Kaaris, le représentant en femme, sur Facebook. L’ex-protégé de Booba répond avec une vidéo devenue virale. Les prémices d’une stratégie digitale.
Booba, de son vrai nom Elie Yaffa, est une star du rap français. Ses textes bruts et violents ainsi que son personnage ultra viril font son succès. En 2012, il offre l’opportunité à Okou Armand Gnakouri, originaire de Sevran, plus connu sous le nom de Kaaris et jusqu’alors méconnu, d’éclore en collaborant avec lui, sur le titre « Kalash ». La carrière de Kaaris décolle, il passe de simple quidam à rappeur incontournable. L’idylle entre les artistes ne dure pas très longtemps, Kaaris sort son premier album Or Noir en 2013, un carton avec plus de 130 000 exemplaires vendus. Dans la culture rap, la compétition est omniprésente, et le rappeur de Sevran veut être le numéro un. Il lance une pique à son mentor dans un freestyle à Skyrock : « T'es numéro un donc je n'ai pas le choix, je vais attendre que le soleil soit assez haut dans le ciel que tous me voient tuer le roi. » Booba se sent visé, le clash est lancé.
Les jeunes se sentent-ils concernés par le premier tour de la présidentielle tunisienne de dimanche ? L’engouement qui a accompagné la révolution de 2011 a laissé place à la désillusion, assure Zeid Sakka, que Cuej.info a rencontré.
« Ne crois-tu pas que je sais ce que je fais. » Par ces mots, Booba débute son nouveau morceau « Glaive ». Après la fusillade survenue à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) pendant le tournage du clip, le rappeur évoque l'événement dans une vidéo. Les sept ans de clash, avec son homologue Kaaris, pourraient se solder par le désormais célèbre « octogone » : combat de l’année qui agite les fans de rap.
Booba et Kaaris : une collaboration éphémère