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Un mouvement sans leader

Les étudiants ont choisi un système de démocratie directe via des plénums et des assemblées générales. Dans toutes les facultés, chacun peut exprimer sa voix sur les sujets qui rythment le mouvement. Pendant que deux étudiants animent les débats, les mains se lèvent pour prendre la parole durant une minute trente. Sur les bancs de l’amphithéâtre, les mains sont secouées pour applaudir, les rires résonnent. Les discussions et votes sont ensuite partagés aux autres facultés et entre universités. 

Cette dynamique a conduit à la plus grande manifestation de l’histoire moderne de la Serbie, le 15 mars dernier. Les étudiants de Belgrade ont voté son organisation, les autres universités leur accord. Après un appel à la population pour les rejoindre, entre 275 000 et 325 000 personnes ont finalement foulé les rues de la capitale. 

Au sein des manifestations, des croix orthodoxes cohabitent avec des symboles antifas. « Afficher une idéologie risque de diviser. Sans, tout le monde peut intégrer le mouvement », analyse Zoran Vasiljević, un étudiant en médias et communications de Belgrade. Les étudiants disent « ne pas vouloir répéter les erreurs du passé ». Les manifestations des années 2000 avaient un but : faire tomber le dictateur Slobodan Milošević, le plus vite possible. Aujourd’hui, les étudiants souhaitent changer « le système » et ont plus de temps. Quitte à perdre une année universitaire, et plus, s’il le faut. 

Chaque faculté a ainsi son propre fonctionnement. Les étudiants s’organisent en groupes de travail : communication, média, sécurité, donation. Chacun a sa tâche. Aucun n’a celle du leader : il n’y en a pas. Si le mouvement ne s’essouffle pas, c’est que chaque semaine est ponctuée de nouveaux incidents, tels des vagues, qui alimentent la colère : détention d’activistes, étudiants présentés comme des « terroristes » dans les médias pro-gouvernementaux, désinformation sur l’usage d’un canon à son contre une foule pacifiste…

Devant la gare de Novi Sad, des passants s’arrêtent quelques instants, le temps d’un signe de croix. Bougies et photos de visages souriants sont posées contre les barrières entourant le bâtiment, toujours fermé. Le 1er novembre 2024, à 11h52, l’auvent en béton de la gare s’effondre. Cette tragédie devient le point de départ d’un mouvement qui secoue la Serbie. Elle « est le miroir de la corruption qui gangrène ce pays », résume Teodora, une étudiante de l’université. Tous savaient où ils étaient à cet instant-clef. Tous partagent ces sentiments « surréalistes » et de « dépression ».

La gare des années soixante a été rénovée de 2021 à 2024 dans le cadre d’un projet de reconstruction confié à un conglomérat chinois, sans appel d’offres, pour un montant de 65 millions d’euros. Les étudiants ont exigé la publication de l’intégralité du contrat, une demande partiellement satisfaite par le gouvernement. Pour eux, cette opacité est la preuve que le pouvoir a détourné des millions d’euros. Mais quel que soit le montant, ce drame a fait déborder un vase déjà rempli des précédents ras-le-bol de la population face à la corruption.

Depuis l’effondrement de l’auvent, des blocages sont organisés dans tout le pays. « Korupcija ubija »« La corruption tue », scandent les manifestants. À 11h52, ils se taisent. Ils envahissent les axes de circulation et se tiennent immobiles, silencieux, pendant seize minutes, en hommage aux seize victimes de l’effondrement. Durant l’un de ces moments de recueillement, le 22 novembre, des élèves de la Faculté des arts dramatiques de Belgrade sont agressés. En réaction, les étudiants bloquent les universités du pays. Ce mouvement n’est pas contre un responsable politique à proprement parler, mais contre tout un système qui réprime sa population. « Le président n’a pas seulement pris le pouvoir. Lui et son cercle privilégié ont confisqué tout l’appareil de l’État, dont les branches du pouvoir judiciaire, du législatif et de l’exécutif. On vit dans une autocratie qui a une façade de démocratie parlementaire », explique Igor Štiks, professeur en sciences à la Faculté des médias et des communications de Belgrade. 

 

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La clinique privée du Tesla Medical Group à Belgrade. © Nathalie Schneider

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Au Club des Étudiants de Sciences Techniques (KST), boîte de nuit indépendante de l'université mais installée dans ses bâtiments depuis 1954, les fêtes au milieu des départements académiques bloqués donnent aux soirées étudiantes un air de révolte. Photo : Nikola Ćupović

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Les soutiens d'Aleksandar Vučić sont venus en nombre à Nis pour assister au meeting. © Paul Ripert

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Aleksandar Vučić s'est construit un narratif bien rodé, basé sur le sacrifice. Ici, une affiche le représentant près du pont Branko, à Belgrade. © Élodie Niclass

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Il apparaît comme une figure protectrice, capable d’apporter respect et stabilité. « Il projette l’image d’un père sévère, dont on a un peu peur », décrit l’autrice américaine.

Son modèle politique, Vučić le trouve en Russie : la création de faux partis politiques serait inspirée de Poutine. Lily Lynch observe aussi des ressemblances entre le président serbe et son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan : « Les deux tentent de maintenir des relations avec l’Union européenne et l’OTAN d’un côté, et la Russie et la Chine de l’autre. » Mi-avril 2025, le président serbe est reçu par Emmanuel Macron pour discuter de l'intégration européenne de la Serbie. Le 9 mai, il se rend à Moscou à l'occasion du 80e anniversaire de la victoire de la Seconde Guerre mondiale. « C’est comme s’il était en perpétuel mouvement », constate Sonja Avlijaš. La journaliste Milica Čubrilo précise que Vučić n’a pas vraiment de conviction en matière de politique étrangère, qu'il « calcule plutôt le bon moment pour dire ceci ou cela ». Il joue ainsi sur plusieurs tableaux, mais le rapprochement avec l’Union européenne patine tandis que les clins d'œil vers les régimes illibéraux ou autoritaires se multiplient.

Mélissa Le Roy
Élodie Niclass

Avec Isidora Cerić

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