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La vallée de Homolje, ce chauffeur de taxi la connaît par cœur. Elle se dessine tout autour de sa rivière, la Mlava, qui serpente entre les forêts épaisses, les cavernes profondes dans lesquelles dorment les secrets des vilas (des fées slaves). Entre ses frênes et ses chênes, certains y auraient même aperçu le lynx, grand seigneur des forêts en voie d’extinction. En tout, 320 espèces seraient présentes dans cette vallée, dont 57 protégées par la convention de Bern, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe. Le lézard vert, le sonneur à ventre jaune ou encore l’écureuil roux seraient mis en danger par la mine.
Utilisation de cyanure
Les trois mines à ciel ouvert prévues par la société DPM devraient s’étendre sur 292 m2, à 5 km du parc national Kučaj-Beljanica au sud. Les habitants et associations ont adressé une plainte au Conseil de l’Europe en 2022 dans laquelle ils s’inquiètent du fait que « la mine mettrait gravement en danger l’écosystème ». Ils pointent notamment les impacts négatifs de la déforestation à grande échelle, la contamination des eaux, le pompage des nappes phréatiques, mais aussi l’utilisation potentielle de cyanure, extrêmement nocif pour l’environnement.
Dans leur lettre au Conseil de l'Europe, les habitants locaux alertent sur une technique qui consiste à asperger le minerai avec ce poison violent pour en extraire l’or. Selon les plaignants, « il existe un risque d’infiltration de cyanure dans les nappes phréatiques et de contamination des aquifères, ainsi que des ruisseaux et rivières connectés. »
Une crainte qui avait amené la population à se mobiliser en 2021. La précédente ministre des Mines et de l’énergie Zorana Mihajlović avait rejeté toute utilisation du cyanure sans pour autant que la multinationale canadienne ne confirme cette déclaration. Contactée, l’entreprise précise qu’elle est « engagée dans une démarche d’exploitation durable et responsable, dans le respect total de la communauté locale, de l’environnement et de l’État de droit. »
Mais à Laznica où seuls les gargouillis de la rivière Mlava viennent interrompre la quiétude de ce village vieillissant, le danger semble encore lointain. Les allées venues entre les deux supérettes du bourg donnent l’illusion d’une animation. Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de ces projets en cours, un des clients lance, railleur : « Moi, je ne crois qu’en Jésus Christ, et il est mort il y a plus de 2000 ans. » De l’autre côté, deux anciens du village assis sur un banc, bières à leurs pieds, éclatent de rire. « On a besoin de l’industrie si on veut évoluer. Tout ça signifie plus d’argent », balaye Voja Čonovici, retraité de 70 ans qui a travaillé toute sa vie dans la mine de cuivre de Majdanpek.
Dans ce village au taux de pauvreté élevé, il n’est pas le seul à dépendre de l’industrie minière. La plupart sont employés dans cette même mine par la société chinoise Zijin Mining Group qui la détient à 63 % - le reste appartient au gouvernement. Et lorsqu’ils ne travaillent pas dans la mine voisine où dans l’exploration minière, ils ont aussi œuvré dans la mine de cuivre de Bor, une des plus grandes d’Europe. Là-bas, il est trop tard pour revenir en arrière. « Tout le monde meurt du cancer, et il y a dix ans de moins d’espérance de vie », explique un habitant de Laznica, qui a sollicité l’anonymat à cause des pressions politiques qu’il subit de la part des représentants locaux du gouvernement.
Raser pour construire du neuf, c'est la méthode choisie par le gouvernement. Quitte à détruire des monuments historiques de la ville, comme le pont Old Sava. Visible depuis la promenade – route piétonne et cyclable de presque deux kilomètres de long – ce pont historique n’est plus. Une équipe d'ouvriers est en train de le démanteler. Reliant les deux rives de Belgrade, le pont Old Sava a pourtant une forte portée symbolique puisqu’en 1944, un professeur nommé Miladin Zarić a risqué sa vie pour sauver l’infrastructure en désamorçant des explosifs placés par les nazis.
Pour Milica Naumov, militante du mouvement de contestation Most Ostaje, (« Le pont reste »), la démolition du Old Sava n’est pas justifiée. « Le pont était en bon état. Il avait été construit initialement pour durer », s’insurge-t-elle. D’après la version officielle rapportée par les agents immobiliers de Belgrade Waterfront, le Old Sava doit laisser place à un autre pont, flambant neuf. Mais Milica Naumov ne sait pas si elle doit croire cette version : « Le nouveau pont sera apparemment construit l’année prochaine. Mais on ignore s’il sera pour les piétons, les cyclistes, les trams, les voitures…. On ne sait rien. »
En temps normal, « un gouvernement commence quelque chose et fait en sorte que tout soit transparent et durable pour que la structure politique suivante vienne reprendre ce qu'il a commencé. Il s'agit d'une sorte de procédure démocratique qui n'existe malheureusement pas à l'heure actuelle ».
De son côté, l'économiste serbe Goran Radosavljević voit dans ce projet une stratégie économique bien pensée : faire construire de grands bâtiments permet d’augmenter le PIB du pays à court terme, mais aussi de gagner de l'argent. « Il n'y a pas eu de marché public et le projet a été confié à une seule entreprise, note le chercheur. Waterfront sert alors probablement de machine à blanchir de l'argent, sans aucun contrôle. Le groupe politique d’opposition Zeleno-Levi Front (anciennement mouvement civil Ne Davimo Beograd, « Ne laissez pas Belgrade se noyer ») dénonce ce manque de transparence et alerte sur des risques de corruption. « Les accords de construction ont été signés directement auprès des sous-traitants [sans appel d’offres, ndlr], c’est une possibilité énorme de corruption », soutient Zdravko Janković, membre du parti d'opposition.
Jusqu’à 12 000 euros le m2
L’ambition officielle du projet est d’attirer des investisseurs, des touristes et de créer des emplois. « Tout est neuf, le quartier est moderne et dynamique, avec de nouvelles infrastructures et lieux de vie comme des cafés, des restaurants et des boutiques de luxe qui attirent des visiteurs étrangers », témoigne Isidora Jovanović. Cette étudiante dans une faculté privée d'hôtellerie est aussi serveuse au café de l'hôtel St. Régis, au rez-de chaussée de la Tour de Belgrade. L'hôtel de luxe y occupe les onze premiers étages. Les trente autres sont des logements privés et « le dernier devrait être un restaurant ouvert à tous », explique Isidora Jovanović. « La plupart des clients de l’hôtel St. Régis sont Allemands, Russes, Chinois ou Français, ce sont des personnes en vacances ou alors des hommes d’affaires serbes », liste-t-elle.
« De Loznica à Laznica, nous ne vendrons pas nos mines. » Sur cette affiche accrochée à la rambarde d’un balcon décrépi, une lettre sépare ces deux communes qu’a priori tout différencie. La première, dans l’ouest du pays, est implantée dans une vallée jeune, aux terres agricoles et fertiles. Dans la seconde, en Serbie orientale, les rides de la population se creusent, au même rythme que les mines à ciel ouvert de Majdanpek et Bor qui grignotent les montagnes environnantes. D’un paysage à l’autre, un même fil rouge : des multinationales minières convoitent ces sous-sols.
Dans l'est de la Serbie, les terres de la vallée d’Homolje sont riches en minéraux et pauvres en habitants. En roulant à flanc de coteau, on arrive à Laznica, petite ville de 1 700 âmes. Une société canadienne, Dundee Precious Metals (DPM) y fouille le sol. Depuis avril 2023, DPM a creusé 1 277 trous d’exploration dans un rayon de dix kilomètres autour des villages de Zagubica et de Zdrelo . « Ce sont des forages qui descendent à plusieurs centaines de mètres », explique Ivan Milosaveljević, membre des Gardiens d’Homolje, collectif qui se bat contre le projet aurifère qui devrait voir le jour à l’horizon 2026.