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Le géant allemand des chaussures en ligne Zalando a ouvert un immense entrepôt de l'autre côté de la frontière. A Lahr, un tiers des 900 employés sont français.

A côté de l’autoroute A5 en Allemagne, sur un ancien aéroport militaire, à peine huit kilomètres derrière la frontière, se dresse l'immense dépôt de Zalando, leader européen du prêt-à-porter en ligne. Sur 130 000 m² sont stockés vêtements et chaussures de 2 000 marques. « C’est tellement grand ici que je marche largement 15 kilomètres par jour », raconte Jonathan, un jeune Alsacien de Wittisheim. Il fait le « pick »: équipé d’un pistolet-scanner, il cherche la marchandise dans les rayons et réunit tous les articles de la commande sur un chariot. Après, son collègue « packer » prépare le colis, l’emballe et le passe au « shipping », c’est-à-dire à l’envoi.

L'entrepôt Zalando à Lahr profite de sa situation à la frontière et de l'accès à la main-d'œuvre alsacienne. Crédit photo : Cuej / Franziska Gromann

La success story d'une start-up berlinoise

Start-up fondée à Berlin en 2008, l’entreprise allemande a conquis l’Europe en moins d’une décennie. Depuis 2014, elle est cotée en Bourse comme société européenne [Lire aussi : « La galère du financement des start-ups »]. En quatre ans, elle a doublé le nombre de ses employés et elle est aujourd’hui présente dans quinze pays. Les clients de Zalando peuvent faire leurs achats sur le site ou avec l’application mobile et surtout renvoyer gratuitement les articles qui ne leur conviennent pas, ce qui a fait le succès du site.

A Lahr, 900 employés gèrent depuis fin septembre 2017 le côté pratique de l’e-commerce, pour les marchés suisse et français en plein essor. Un employé sur trois vient de l’autre côté du Rhin. « L’ambiance est très internationale, les équipes sont bilingues, tous les panneaux sont en français et en allemand », raconte Jonathan. Son ancien job était déjà dans la préparation de commandes, dans une entreprise française.

L’entrepôt de Lahr est parmi les plus automatisés et modernes de Zalando. Ici, un système automatique, le « trieur-poche » gère les retours. Chaque article renvoyé par un client est mis dans une « poche » identifiée par une puce. Elle tourne accrochée à une chaîne sous les hauteurs du toit jusqu’à ce que l’article soit de nouveau vendu. Le système l’envoie alors automatiquement au « packing ». Ce système permet d’augmenter le volume de stockage et d’exécuter une partie des tâches de façon automatisée. Pourtant, le centre dépend encore fortement du travail manuel.

Estelle, la quarantaine, travaille pour la première fois dans un entrepôt d’e-commerce, après seize années passées dans une entreprise allemande à Strasbourg. C’est son deuxième jour chez Zalando. Ce qui l’a convaincu de venir travailler outre-Rhin, c’est le salaire avant tout. « Avec les primes familiales, je gagne plus de 13 euros par heure maintenant. En France, même avec l’ancienneté, j’ai à peine dépassé le SMIC », dit-elle. Pour l’instant, Zalando s’inspire de la convention collective du secteur logistique pour fixer la grille des salaires, en les adaptant au coût de la vie dans les régions respectives, ce qui fait qu’un employé à Lahr gagne plus que son collègue d’un entrepôt en Allemagne de l’Est.

« Pas encore de comité d'entreprise et très peu de syndiqués »

Les problèmes que les travailleurs rencontrent dans les centres logistiques de Zalando se ressemblent pourtant. A Lahr, comme dans plusieurs autres entrepôts, « il n’y a pas encore de comité d’entreprise et très peu de syndiqués », nous explique par mail le syndicat allemand Verdi. Difficile alors pour les travailleurs de faire valoir leurs droits, même fondamentaux comme la pause.  « A cause de la taille de l’entrepôt, ça nous prend longtemps pour arriver dans les locaux destinés à la pause », confie Estelle. « On perd sept minutes rien que pour nous déplacer et c’est beaucoup sur une pause de vingt minutes. »

Un problème que les employés de l’entrepôt Brieselang, près de Berlin, rencontraient jusqu’à ce qu’ils protestent. Les contrôles de sécurité aléatoires à la sortie, pour empêcher les vols dans l’entreprise, prennent beaucoup de temps aussi. Si son badge sonne a la sortie, l’employé devra alors passer à côté pour se faire fouiller par les agents de sécurité. Ces fouilles génèrent souvent de longues files d’attente à la sortie et les employés attendent parfois jusqu’à trente minutes avant de pouvoir sortir.

Pour rentrer ensuite en Alsace, les travailleurs français peuvent prendre le bus qui s’arrête directement devant l’entrepôt. Cette ligne spéciale, qui pourrait être un jour ouverte au public, a été mise en place pour faciliter la venue des employés alsaciens en reliant la ville d’Erstein à la zone d’activité « Industrie- und Gewerbezentrum Raum Lahr ». La proximité avec l’Alsace, où le taux de chômage est autour des 8 %, a été un facteur décisif pour l’installation de Zalando dans la région.  « Au Bade-Wurtemberg, en région frontalière, on a presque le plein emploi. C’est difficile de trouver de la main-d’œuvre disponible », explique Daniel Halter, gérant de la zone d’activité. Avec environ 300 employés français, pour l’instant de nombreux précaires, le calcul semble avoir été le bon.

Franziska Gromann et Clara Surges

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