Philippe Breton, enseignant à l'Université de Strasbourg et directeur éditorial de l'Observatoire de la vie politique en Alsace, réagit aux deux sondages parus ce lundi qui montrent un rapprochement des électeurs de droite avec le Front national. Interview.
Philippe Breton, politologue et sociologue. (Photo : Samuel Bleynie / Cuej)
La moitié des sympathisants UMP souhaitent des alliances "au cas par cas" avec le FN, selon un sondage TNS Sofres publié lundi. Comment l'expliquer ?
Il y a une convergence de plusieurs facteurs. D'abord on ne peut pas détacher la poussée de sympathie envers le FN du contexte de menace terroriste qui marque profondément l'opinion. Les attentats de Paris, début janvier, renforcent le besoin de protection des individus. Ils rapprochent les électeurs du FN qui n'a pourtant pas joué des mécaniques. Ensuite la stratégie de "désextrémisation" du parti est un succès évident. Il y avait un certain nombre de blocages que le FN fait tomber les uns après les autres.
Quels sont ces blocages ?
Le rattachement idéologique à l'ancienne extrême-droite s'est peu à peu effacé et des petits verrous sont en train de sauter : celui de l'homophobie, de l'antisémitisme, du soutien à la communauté juive… Reste un verrou majeur : c'est un parti qui n'a jamais gouverné. Avoir autant de voix mais aussi peu d'expérience politique liée à la gestion des affaires, c'est une situation exceptionnelle. Pour des gens de l'UMP qui sont en général conservateurs, c'est un verrou important.
Selon un sondage Odoxa, de plus en plus de Français considèrent que le Front national gère bien ses municipalités. Cela pourrait-il jouer ?
Oui, évidemment. Les électeurs sont soulagés et pragmatiques. Ils se disent : "c'est possible, ils sont capables de gouverner". En même temps les mairies c'est une chose, mais être au gouvernement c'est un autre morceau. D'où l'alliance avec un parti de droite. Si le Front national peut amener son électorat et une Droite populaire (courant interne à l'UMP, ndlr) amener son expérience, avec un certain nombre d'anciens députés, d'anciens ministres… dans une alliance bien conçue. Là, ça fait sauter le verrou. À droite, il y a l'idée que si l'UMP s'allie avec le FN, ça rendrait possible de façon beaucoup plus assurée une alternance politique. Un rêve caressé à la fois par une partie des cadres de l'UMP - même s'ils n'osent pas trop le dire - et par une partie de l'électorat qui n'hésite pas à l'affirmer à travers les sondages. Mais aussi, même s'il s'en défend actuellement, par le Front national. Il est clair que le FN ne gagnera pas tout seul.
Pourquoi les électeurs UMP sont-ils plus enclins à des alliances locales qu'à un rapprochement national ?
L'électorat UMP est partagé. Il est dans une hésitation, une ambivalence. Ses sentiments humanistes seraient flattés d''un rapprochement avec les centristes. En même temps, on est à droite et on veut le pouvoir, donc le rapprochement avec le FN c'est l'option. Chacun des membres est très clivé avec cette double attirance humaniste-centriste et pragmatisme-sécurité-Front National. Mais dans le cadre des élections qui viennent demain, les départementales et les régionales, une partie importante de l'électorat est favorable à des alliances avec le FN. L'accord national est encore une question taboue mais s'il y a une tentation au niveau local, elle se reportera au niveau national.
Cela préfigure un accord national pour les élections à venir ?
Oui. Mais aussi un éclatement de l'UMP. Il y a ceux qui choisiront le centre et Alain Juppé et ceux qui choisiront le leader qui les emmènera dans une alliance avec le FN. Et qui, par conséquent, ne sera pas Sarkozy. Tout ça c'est une très mauvaise nouvelle pour le président de l'UMP qui n'est dans aucun des deux plans. Il n'est ni pour une alliance avec le FN, ni pour une alliance avec les centristes.
Autre pomme de discorde : les questions économiques. Peuvent-elles empêcher un accord ?
Non car je pense que Marine Le Pen va très vite se rendre compte que le discours anti-euro génère de la peur dans le public. D'ailleurs je remarque qu'il va en s'atténuant. Avec la situation actuelle liée au terrorisme, revenir au franc rajouterait de l'insécurité à l'insécurité. Je suis prêt à parier que rapidement Marine Le Pen va dire quelque chose comme "il faudra que nous trouvions des aménagements à l'intérieur de l'euro". Elle va faire le coup des Grecs qui hurlent mais en même temps veulent rester.
Propos reccueillis par Samuel Bleynie
Photo bandeau : Loglouis/Flickr