De nombreuses chambres d'agriculture du Sud-Ouest ont basculé dans l'escarcelle de la Coordination rurale, à l’issue des élections professionnelles de janvier. Webex fait le point sur la stratégie du syndicat contestataire, à la conquête de la Nouvelle-Aquitaine.
La Confédération paysanne est arrivée en tête à la chambre d'agriculture de l'Ardèche. Ici, des manifestants à Châlon-en-Champagne le 11 décembre 2024. Photo archive Léa Bouquet.
Au terme d’une campagne sous tension, la percée jaune a bien eu lieu dans les urnes après le mouvement de colère agricole de l’hiver dernier. Les “bonnets jaunes” de la Coordination rurale (CR) se sont imposés pour le principal collège, celui des chefs d’exploitation, dans quatorze départements contre 3 auparavant, d’après les premiers résultats des élections professionnelles agricoles publiés jeudi 6 février.
En remportant notamment les chambres d'agriculture des Ardennes, du Gers, de la Lozère, de l’Indre-et-Loire et du Cher, le syndicat, réputé proche de l’extrême droite, est venu bousculer l’hégémonie de l’alliance entre la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs (JA), qui détenait jusqu’ici 93 des 101 chambres d’agriculture depuis les dernières élections, il y a six ans.
Conséquence de cette percée : la CR, opposée aux traités de libre-échange et aux normes environnementales, devrait prendre le contrôle de sa première chambre régionale d’agriculture avec celle de la Nouvelle-Aquitaine, jusqu’alors aux mains de la FNSEA. Elle est arrivée en tête dans sept des douze départements de la Nouvelle-Aquitaine. De quoi entériner sa percée dans le Sud-Ouest. Webex vous explique en quatre points comment la CR y est parvenu.
Le Lot-et-Garonne est le bastion historique de la CR
Le syndicat agricole peut compter sur un territoire fidèle : il triomphe avec près de 70% des voix en Lot-et-Garonne (Nouvelle-Aquitaine), soit 10 points de plus qu’en 2019. Depuis les élections agricoles de 2001, la chambre d’agriculture du département est sous les couleurs de la CR. A sa tête jusqu’alors, le très en vue Serge Bousquet-Cassagne, pépiniériste et leader de la branche locale (CR 47), mais contraint de rendre les rênes de la présidence, limite d’âge oblige (fixée à 65 ans). Il a mené, fin janvier 2024, au plus fort des mobilisations agricoles, le très médiatique convoi de tracteurs parti d’Agen pour bloquer le marché de Rungis.
Base arrière de la CR, le Lot-et-Garonne était moteur dans la contestation agricole dans le Sud-Ouest, lançant, par des opérations coup de poing aux méthodes parfois violentes (barrages, fumier déversé, pneus brûlés, radars bâchés…), le mouvement dans plusieurs départements voisins.
La conquête du Sud-Ouest fait partie de la stratégie de la CR de créer un axe fort
Ces victoires en Nouvelle-Aquitaine sont l’aboutissement de la stratégie électorale de la CR: créer un axe fort dans le Sud-Ouest en reliant son fief d’Agen (Lot-et-Garonne) à celui de Poitiers (Vienne), en passant par Limoges (Haute-Vienne).
Dès les élections agricoles de 2019, la CR avait émergé en Nouvelle-Aquitaine en remportant, pour la première fois, les chambres départementales d’agriculture de la Haute-Vienne et de la Vienne. Cette fois-ci, elle s’empare de quatre départements supplémentaires: la Gironde, la Dordogne, la Charente et la Charente-Maritime, et constitue cet axe fort.
Une campagne axée sur des enjeux agricoles propres au Sud-Ouest
“Ce qui nous intéresse, c’est l’effet boomerang”, faisait savoir Serge Bousquet-Cassagne, avant l’annonce des premiers résultats. Pour ravir des départements à l’alliance FNSEA-JA, la CR a misé, pendant sa campagne, sur des territoires aux singularités locales fortes.
Dans le Gers, la grippe aviaire a particulièrement frappé la filière avicole en 2024. A l’été, les négociations autour du taux de remboursement par l’Etat de la vaccination des canards ont attisé la colère des éleveurs. Et ce sont les “bonnets jaunes” , par la voix du président de la CR du Gers, Lionel Candelon, qui ont porté le combat par des actions ciblant directement le gouvernement et “ses promesses non tenues”. Une occasion également de cibler leur concurrent direct, la FNSEA, qu’ils accusent de “co-gestion”, soit d’être trop proche de l’agro-industrie et des gouvernements successifs.
En Gironde et dans le Lot-et-Garonne, départements producteurs de légumes, la concurrence espagnole a été mobilisée comme argument de campagne. En novembre, la CR a bloqué l’autoroute A9, près de la frontière espagnole, “fleuve de fruits et légumes qui arrivent d’Espagne”, dénonçait Serge Bousquet-Cassagne, qui voulait “provoquer un chaos et une pénurie alimentaire”.
A l’inverse, alors que les exploitants laitiers sont peu présents dans le Sud-Ouest, des régions dominées par l’élevage de vaches laitières, comme la Bretagne ou les départements producteurs de fromage (Vosges, Haute-Savoie, Savoie, Haute-Saône, Doubs, Haute-Loire), sont restées sous le giron de la FNSEA. Lors des crispations autour de la collecte de lait avec la multinationale Lactalis, en septembre, le syndicat présidé par Arnaud Rousseau était en première ligne.
Le Sud-Ouest, berceau des colères agricoles
Sans remonter jusqu’à la révolte des Croquants, révolte paysanne du Sud-Ouest au XVIIe siècle, la “révolte des gueux” du Midi en 1907, est un exemple d’une tradition insurrectionnelle propre au Sud-Ouest. Secoué par une crise de surproduction, les viticulteurs s’étaient mobilisés pour dénoncer la concurrence du vin algérien et la dégradation de leur production en organisant des manifestations et des actions directes.
De la même manière, en février 1980, pour protester contre la baisse des prix agricoles, provoquée notamment par la concurrence de l'agriculture espagnole, les paysans du Languedoc-Roussillon avaient incendié et pillé des camions en provenance d’Espagne. Aujourd’hui, la CR s’inscrit dans la lignée de ces mobilisations, radicales et sensationnelles, faisant des “bonnets jaunes” le syndicat ayant le plus tiré profit de la crise agricole.
Ismérie Vergne
Edité par Yanis Drouin