À l’école, des milliers de jeunes filles se retrouvent démunies face à leurs premières règles. Alors que le gouvernement introduit timidement une sensibilisation dès la sixième à partir de 2025, des voix s’élèvent pour exiger une véritable prise en charge dès le primaire.
Aujourd’hui encore, les règles ne sont abordées dans l’enseignement qu’à travers le prisme de la reproduction, comme un simple indicateur biologique d’absence de fécondation. Photo Greenbox
Quand Sandrine Rousseau a eu ses premières règles en CM2, l’élue féministe a cru que le ciel lui tombait sur la tête. "Ma mère me dit qu'elle m'en avait parlé, mais je n'en ai aucun souvenir. Voir du sang dans son slip à dix ans et ne pas oser en parler, c'est se sentir seule au monde." Des décennies plus tard, sa propre fille a paniqué, raconte-t-elle, car elle était persuadée d'avoir un cancer du vagin. Le temps passe, mais le constat demeure : on ne parle pas assez des règles, et surtout, on n’en parle pas à temps.
Le nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, publié au Bulletin officiel jeudi 6 février, marque toutefois une avancée. Dès la rentrée 2025, les élèves de sixième seront sensibilisés au sujet. Aujourd’hui, l’éducation aux règles est quasiment absente des programmes scolaires. Une enquête menée en 2023 par l’association Nouvelles Règles et OpinionWay révèle que la méconnaissance, la désinformation, la précarité menstruelle et la honte pèsent lourdement sur le bien-être et la scolarité des adolescentes.
Seuls 15 % des élèves bénéficient des trois séances d’éducation à la sexualité prévues par la loi, et aucune directive n'encadre spécifiquement l'enseignement des menstruations. Pourtant, 72 % des filles ont leurs règles avant 13 ans, en quatrième, et 20 % dès l'école primaire. Un constat qui, pour Sandrine Rousseau, plaide en faveur d'une sensibilisation dès le CE2 ou le CM1.
"C'était un carnage, je n'avais jamais été préparée à ça”
La députée écologiste milite activement pour cette cause. "Si vous n’en avez jamais entendu parler, si vous n’avez rien sur vous pour gérer cela, vous vous retrouvez avec une tâche de sang sur votre pantalon, incapable d'aller au tableau. C'est une angoisse immense." Un traumatisme que de nombreuses jeunes filles partagent. Valentine, 24 ans, se souvient de son premier jour de règles, en sixième, alors qu’elle portait une jupe blanche chez le coiffeur : "C'était un carnage. Je n'avais jamais été préparée à ça.” Trop gênée pour en parler à ses parents, c'est son père qui l'a découvert en faisant le linge. Quant à Léa, 23 ans, elle s’est sentie “apeurée” en sentant du sang couler sur sa chaise en CM2 : "Je me suis débrouillée seule. J’ai noué mon pull autour de mes fesses et j’ai nettoyé discrètement. Je me sentais perdue."
Marie*, elle, a eu la "chance" d’avoir une mère qui l’avait sensibilisée à ces sujets, lorsqu’elle a eu ses règles à la fin du CM2. "Mais même en sachant, ça me paraissait trop tôt. Je l’ai caché durant tout le collège." Ce silence renforce un sentiment de honte qui perdure au fil des années. "On parlait entre filles du fait d’avoir ou non ses règles, mais jamais du mal de ventre, de l’endométriose ou de l’impact sur la vie quotidienne", raconte la jeune femme, aujourd’hui âgée de 25 ans. Ayant eu ses premières règles à dix ans, elle a longtemps caché ses protections hygiéniques au fond de son sac, persuadée que le sujet devait rester secret.
"Au nom de quoi refuse-t-on d’informer les petites filles ?”
Aujourd’hui encore, les règles ne sont abordées dans l’enseignement qu’à travers le prisme de la reproduction, comme un simple indicateur biologique d’absence de fécondation. Dans le nouveau programme, elles seront évoquées sous le prisme de la prévention, le texte mentionnant prudemment que des "menstruations douloureuses nécessitent une consultation médicale". Trop timide, selon Sandrine Rousseau : "On parle de reproduction, mais pas de ce que vivent les filles tous les mois. Et encore moins de la précarité menstruelle et de l’absence de serviettes dans les collèges. Sur ça, rien."
Face aux résistances sur le sujet, notamment de certains élus de droite qui considèrent que le sujet ne relève pas du périmètre scolaire, l’élue ne décolère pas : "Au nom de quoi refuse-t-on d’informer les petites filles ? Qu’est-ce qui dérange ?" Sandrine Rousseau égrène des solutions, sans ciller : intégrer l’éducation menstruelle dans le programme scolaire dès l’école primaire, assurer la présence d’une infirmière référente dans les écoles, distribuer gratuitement des protections périodiques et, surtout, briser le tabou. D’après elle, ce qui aggrave encore la situation, c’est la honte intériorisée. Et d’asséner, cinglante : "Ce que je veux, c’est que plus jamais aucune petite fille en France ne découvre une tâche de sang dans son slip sans savoir ce que c’est.”
*Le prénom a été modifié.
Clara Lainé
Édité par Paul Ripert