Pour beaucoup, cet épisode a été synonyme de réveils nocturnes et d’insomnies à répétition. Entre angoisses et manque d’activités, les corps peinent à tomber dans les bras de Morphée.
Cette nuit, comme toutes les nuits depuis bientôt deux mois, Céline Gaschler a trouvé sa fille de 5 ans dans le salon, toutes lumières allumées. Il est 3h30 du matin. La mère de famille cherche à comprendre. Ses deux aînés ont parfois connu des nuits agitées, mais Melody a toujours eu un sommeil de plomb. “Elle n’a jamais eu de problème pour dormir. Mais depuis la deuxième semaine de confinement, elle s’endort deux heures puis se réveille et ce, tous les soirs.”
Pour la docteure Annabelle Veit, il n’est pas surprenant de voir des enfants comme Melody passer la porte de son cabinet de Benfeld. “Depuis mi-avril, beaucoup de parents viennent consulter parce que leur enfant dort mal. Les problèmes de sommeil touchent absolument tout le monde : enfants, ados, adultes. Les consultations sur ce thème ont pratiquement doublé depuis le confinement.” La docteure Catherine Bastian, installée dans le quartier strasbourgeois de Cronenbourg, dresse le même constat : 80% de sa patientèle souffre de problèmes liés au manque de sommeil. Ces chiffres semblent coïncider avec la moyenne nationale : dans une étude réalisée par l’Ifop début avril, 74% des sondés déclaraient souffrir de troubles du sommeil depuis le début du confinement.
“Les troubles du sommeil ne sont qu’un signal d’alerte”
"Il ne s’agit pas d’une pathologie en tant que telle”, souligne le médecin haguenauvien Jacqui Hennick. “Le trouble du sommeil n’est qu’un symptôme de l’anxiété vécue par les patients, un signal d’alerte. Si vous gérez parfaitement votre confinement, vous n’êtes pas censé avoir de troubles du sommeil.” C’est ainsi qu’Élodie, 30 ans, a passé plusieurs de ses nuits à fixer le plafond de son petit studio strasbourgeois, ne sachant plus dans quel enclos entasser tous les moutons qu’elle avait comptés. “À être enfermée, sans contact avec mes proches, j’étais très angoissée. Je dormais deux heures par nuit.” Son médecin lui prescrit un somnifère, et elle parvient à retrouver un rythme régulier.
Pour Céline Mugultay-Ozdemir, médecin généraliste à Saverne, les troubles du sommeil trouvent une autre explication dans le manque d’exercice physique induit par le confinement. “Le rythme est complètement perturbé. On ne s’active plus, on passe la journée devant des écrans, ceux qui découvrent la sieste ne dorment plus la nuit.”
En général, les troubles disparaissent avec la reprise d’un rythme veille-sommeil régulier. L’Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV) conseille de ne pas dépasser huit heures de sommeil par plage de 24 heures et de limiter ses siestes à 30 minutes maximum, de pratiquer une activité physique et de contrôler le temps passé devant les écrans.
Certaines personnes tentent le pari de l’automédication. Employée à la Poste de Strasbourg, Elisabeth Maillot souffrait de troubles du sommeil depuis plusieurs années, mais l’angoisse liée au confinement a joué sur ses insomnies.
Plutôt que d’avoir recours à son médecin, elle s’est procurée des hypnotiques sans ordonnance à la pharmacie. “J’ai doublé ma dose. Je n’ai pris que des produits à base de plantes, ça m’a vraiment rassurée.” Dans l’Eurométropole, de nombreuses pharmacies ont confirmé, sans pouvoir la mesurer précisément, une hausse de la demande de somnifères en vente libre et de compléments alimentaires.
Julien Wimmer a opté pour une solution moins conventionnelle. L’étudiant strasbourgeois en alternance fume du CBD, la version légale et dépourvue de tout effet psychotrope du cannabis. “J’ai eu des troubles pendant deux semaines, le CBD m’a bien aidé. Quand je fume, c’est comme si toute la fatigue que j’avais accumulée me tombait d’un coup dessus. Je peux enfin dormir correctement, à poings fermés.”
74% des Français ont souffert de troubles du sommeil pendant le confinement. © Centaur Azur
Des conséquences contestables
Vivre avec un sommeil perturbé durant quelques semaines aura-t-il des conséquences sur le corps ? Les médecins ne sont pas unanimes. Pour certains praticiens, un rythme de vie chamboulé pendant deux mois peut avoir des conséquences sur la santé, et notamment aggraver d’autres pathologies comme le diabète, l’hypertension ou le mal de dos, en particulier chez les personnes âgées. Pour d’autres, les impacts à moyen terme sont principalement d’ordre psychologique. Selon Pierre Wehrlé, psychiatre à Strasbourg, les répercussions seraient plus importantes chez les personnes vivant seules, et pourraient parfois aller jusqu’à la dépression. Mais la plupart des professionnels de santé se montrent optimistes. Ce confinement est inédit, parce que relativement court, et surtout temporaire. “Un mois et demi, c’est peu dans la mémoire humaine. Ce n’est pas dérangeant pour le corps si on retrouve un rythme”, pointe Céline Mugultay-Ozdemir. La généraliste reste cependant prudente, prête à revoir son diagnostic en cas de deuxième vague.
Chi Phuong Nguyen
Jeanne de Butler
Les premiers chiffres d’une enquête de l’Inserm encore en cours révèlent que 50% des sondés dorment plus que d’habitude. Une grande partie d’entre eux était en dette de sommeil, et a donc profité du confinement pour rattraper le retard.
À Wissembourg, Alain Leibel a lui aussi remarqué que beaucoup de ses patients dormaient davantage qu’en temps normal. Selon le médecin généraliste, ce phénomène s’explique par “une forme de compensation de l’anxiété. Pendant qu’ils dorment, les gens ne pensent pas à autre chose.” Marc Rey, président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance, fait la même observation. “Une des façons de réagir au stress, c’est de mettre la tête dans le sable. Mais ce sont des personnes en situation d’hypovigilance. Elles ne sont jamais bien endormies, leur sommeil est très morcelé.”