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Les files d’attente devant les merceries du Bas-Rhin peuvent en attester : la crise du coronavirus et le besoin urgent de masques pour se protéger ont entraîné une demande massive de tissus, d’élastiques et, pour les plus aguerris, de machines à coudre. 

“J’ai fait un bandana pour moi et des vêtements de poupée pour ma petite sœur”, explique la Strasbourgeoise Carine Meunier, 20 ans, qui a repris la couture après une pause de dix ans. “Ça apporte une certaine fierté de se dire ‘j’ai fait ça moi-même’. Si j’ai assez de temps libre et de matériel, je vais continuer. D’ailleurs, j’ai déjà prévu d’aller acheter du tissu et je compte apprendre à me servir de la machine à coudre de ma mère”, se réjouit-elle.

"Je n'avais jamais appris"

Le retour massif vers la couture s’est d’abord amorcé avec le besoin urgent de masques. Quand l’épidémie de coronavirus a pris de l’ampleur dans le Bas-Rhin, des soignants se sont retrouvés à cours de protections. Ils ont alors fait appel aux couturières pour qu’elles leur fournissent des masques en tissu. 

“J’ai une machine à coudre, mais je n’avais jamais appris à m’en servir”, raconte Aline, de Sélestat, qui a réalisé plus de 150 masques. “Au début, je le faisais pour mes amis et ma famille. Mais après, j’ai été prise dans le flot des demandes”, indique cette comptable de 38 ans. À Strasbourg, Kahina, 45 ans, a également commencé par faire des masques avant de s’atteler à la confection de surblouses. “J’ai acheté une machine à coudre au début de l’année et j’ai pris deux cours en février”, raconte l’aide-soignante. En arrêt maladie pour une fracture au poignet depuis début mars, elle se rend compte qu’elle peut tout de même se servir de ses doigts pour coudre. Elle passe désormais presque dix heures par jour derrière sa machine. “C’est une bonne occupation, continue Kahina, et c’est super satisfaisant de faire quelque chose soi-même.”

 

[ Plein écran ]

Masqués et à un mètre de distance les uns des autres, les clients font la queue devant la mercerie Self Tissus. © DR

[ Plein écran ]

Depuis le début du confinement, Kahina passe jusqu'à 10h par jour derrière sa machine à coudre. © DR

"Ça vide la tête"

Sultane Purseigle, formatrice en couture à Haguenau, acquiesce. Plusieurs de ses clientes exercent des métiers stressants et pratiquent pour se détendre. “J’ai beaucoup d’infirmières qui viennent après leur travail. Pour elles, c’est une activité comme le yoga ou la méditation, ça vide la tête.” Alors, elle espère que des novices, qui ont fait des masques pendant le confinement, vont continuer et se lancer dans d’autres créations. Et elle a bon espoir. Selon elle, les activités manuelles ont le vent en poupe depuis quelques années. Et la tendance prend aussi chez les plus jeunes. Après quelques rafistolages sur “des jeans décousus et un coussin”, Ariane et Cécile, deux soeurs Strasbourgeoises de 18 ans, se sont tournées vers la broderie avec l’aide de tutos vidéo. Après des essais sur des serviettes en papier, elles ont créé “des motifs simples tels que des fleurs, des rosaces et des lapins sur des chutes de tissus”. De quoi les occuper deux à trois heures par jour.

Ruée vers les merceries 

“Il se passe des choses assez incroyables dans ce métier depuis que le gouvernement a dit que le port du masque est un geste barrière. Il y a eu un basculement et depuis ça n’arrête pas”, constate le dirigeant de Self Tissus Est, Olivier Schwab. Dès le 15 avril, ses boutiques à Strasbourg et Sélestat ont vu défiler “six clients par quart d’heure”, du jamais-vu. Idem chez Toto tissus à Strasbourg : depuis la réouverture le 27 avril, “il y a en permanence 20 à 30 personnes qui font la queue devant la boutique”, s’enthousiasme la gérante Hayat Adrevic. Il y a une forte demande en tissus et fils clairs, ainsi qu’en élastiques. Tout ce qu’il faut pour faire des masques en somme. Si bien que les vendeurs épuisent vite leurs stocks. “Un mardi matin, on avait 400 mètres d’élastique, et le mercredi à midi il n’y en avait plus”, s’exclame Maryse, qui tient la mercerie du Bain aux plantes à Strasbourg. Aux côtés des doigts d’or aguerris, un réservoir de petites mains nouvellement converties.

Eva Moysan
Léna Romanowicz

 

Garde-robe sans étiquette

Le temps du confinement a permis à chacun une réflexion sur son mode de vie et sur le “monde d’après” que beaucoup veulent construire. Et la couture pourrait bien en faire partie.

Stéphanie, 40 ans, a peu de temps pour ses loisirs depuis le début de la crise sanitaire. Enseignante en maternelle à Strasbourg, elle doit jongler entre la garde de ses deux enfants et le télétravail. Ses moments off, elle a décidé de les consacrer à la réalisation de ses projets couture, dans le cadre d’une démarche zéro déchet. Lingettes démaquillantes, sac à tarte ou encore retouches sur des vêtements, l’enseignante a plein d’idées pour limiter ses déchets et les achats superflus. Léa, qui milite chez Zéro Déchet Strasbourg et au collectif Éthique sur l’étiquette l’assure : “Le zéro déchet a motivé pas mal de gens à coudre des choses simples comme des sacs de vrac.” 

Des créations uniques

Depuis le confinement, Luna Tavernier, 18 ans, s’est même lancée dans la confection de vêtements de A à Z. “Je fais vraiment au feeling, je tente et je recommence. J’ai déjà créé une jupe à boutons et un haut dos nu en satin de toutes pièces mais sinon je coupe, je mets des pièces parfaitement à ma taille”, explique-t-elle. Elle est d’ailleurs propriétaire d’une friperie à Strasbourg, qu’elle a baptisée Le Grenier. Elle y vend des vêtements de seconde main, qu’elle reprise au besoin. “La fast fashion, on essaie d’oublier au maximum”, recommande-t-elle. Aussi appelée mode éphémère en français, cette expression anglo-saxonne désigne le renouvellement rapide des collections, pour pousser à racheter sans cesse des vêtements neufs. Le rejet grandissant de cette mode jetable a mené à l’ouverture de nombreuses friperies, ces dernières années, dans le Bas-Rhin.

Avoir des vêtements à sa taille et résister à la fast fashion, c’est aussi l’ambition d’Éloïse Perrin, une étudiante de Strasbourg. À 20 ans, elle a entièrement réalisé près d’une vingtaine de vêtements depuis le confinement. Depuis des semaines, elle se sert de “vieux tissus qui traînent”. En plus de redonner vie à d’anciennes tenues, la jeune femme ne néglige pas la qualité de son travail. “Je sais que les vêtements que j’ai créés sont bien faits car je me suis attardée sur des détails. Ça devrait me durer quelques années”, espère l’étudiante. Même si ses créations ne seront pas “la dernière pièce ultra tendance”, peu importe, ses vêtements ne ressemblent à aucun autre. 

Eva Moysan
Léna Romanowicz

Mode durable contre mode jetable

La coalition strasbourgeoise anti fast fashion, dont fait partie Zéro Déchet et Éthique sur l’étiquette, a profité du confinement pour lancer son défi mode durable. Une campagne d’une semaine sur les réseaux sociaux pour s’informer sur les conséquences dramatiques de la confection mondialisée, faire un tri dans son placard et proposer des alternatives locales et écolos. “On a remarqué que les gens aimaient bien faire beaucoup de rangement pendant le confinement: avec cette campagne, on a essayé de surfer sur cette vague”, glisse Léa. Un défi qui a bien fonctionné selon les organisateurs, avec 2000 à 6000 personnes touchées par jour.

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