La ville d’Oxford (Royaume-Uni) a annoncé l’expérimentation en 2024 d’une mesure visant à réduire les embouteillages et privilégier les mobilités douces. En l’espace de quelques jours, des conspirationnistes l’ont reprise à leur compte dans un récit déformé et hors de contrôle.
Des installations de ce type devraient être installées à titre expérimental dans six endroits d'Oxford en 2024. © CC BY-NC-ND / Diamond Geezer
Imaginez un quartier, où tous les services essentiels – écoles, hôpitaux, magasins, parcs – se situeraient à moins de 15 minutes de marche ou de vélo de votre domicile. C’est le principe de la « ville du quart d’heure », un concept théorisé par Carlos Moreno, professeur à la Sorbonne, et adopté par de nombreuses métropoles, dont Paris, dans l’optique de leur développement futur.
Un peu plus au nord, Oxford, son université, ses rues pavées et ses bouchons. Un problème récurrent que souhaite régler l’administration du comté d’Oxfordshire en limitant le trafic automobile dans la ville. Et une mesure que l’autorité ne pouvait sûrement pas s’imaginer devoir défendre face à des conspirationnistes convaincus tant à l’échelle locale qu’internationale.
Acharnement sur la « ville du quart d’heure »
Le lancement par l’administration du comté d’Oxfordshire, fin août 2022, d’une consultation d’un mois et demi pour préparer l’expérimentation de six régulateurs de trafics – des caméras capables de scanner les plaques d’immatriculation – n’a d’abord pas semblé faire de remous. L’idée derrière cette mesure-test, attendue en 2024 : restreindre l’usage de la voiture en ville aux trajets vraiment nécessaires pour privilégier un report vers le réseau de bus, le vélo et la marche et ainsi désengorger les axes embouteillés du centre.
Sauf que le choix des autorités de diviser la ville en différents secteurs, le contrôle automatisé via des caméras et la nécessité d’un permis pour circuler en voiture dans d’autres zones que celle où l’on habite aux heures de bureau ont alimenté les spéculations. Presse locale, sites conspirationnistes, anonymes complotistes sur les réseaux sociaux, chacun prend sa part.
L'article de la discorde
C’est un article du Oxford Mail, un tabloïd local, qui lance la machine le 24 octobre 2022. On y retrouve l’idée – via une citation déformée – d’un « plan controversé mis en place que les gens le veuillent ou non » et déjà une confusion avec l’idée de « ville du quart d’heure », objet d’une proposition à plus long terme pour la région d’Oxford.
C’est sur ce concept que vont se concentrer les attaques complotistes les plus véhémentes. Notamment celles d’un article publié sur le site conspirationniste anglophone Vision News – et identifié par l’AFP – le 30 novembre 2022, un jour après l’annonce d’une expérimentation effective des régulateurs de trafic par les autorités locales.
Cet article lance un festival de fausses informations. Les restrictions de circulation deviennent un « confinement climatique », les caméras des « portes électroniques », la ville du quart d’heure une « prison des 15 minutes ». Le tout empaqueté dans un complot qui aurait été fomenté par les « communistes au pouvoir ». L’article, vu plus de 87.000 fois rien que sur le site, fait l’objet d’un démenti formel des autorités locales dès le 7 décembre.
Contagion du monde anglo-saxon
L’emballement complotiste est malheureusement déjà lancé. Dès le 6 décembre, des relais influents se mettent en place dans le monde anglo-saxon, souvent via Twitter. Nigel Farage, fer de lance de la campagne pour le Brexit avec son parti UKIP et suivi par 1,7 million de personnes, partage un article sur une mesure similaire à Canterbury et reprend cette idée de « confinement climatique ».
Puis c’est au tour d’une organisation complotiste britannique de s’en emparer. « Not Our Future », créée courant 2022, publie un message sur son canal Telegram le 7 décembre en appelant à une action à Oxford début janvier 2023. Leur credo ? Les habitants d’Oxford vont devenir des « cobayes » qu’il conviendrait « d’informer ». Pour cela, l’organisation a décidé de décliner ce message en tracts à distribuer, reprenant au passage toutes les fausses informations diffusées jusque-là. Actuellement, elle vise d’autres villes britanniques souhaitant mettre en place une telle mesure.
Au-delà d’une simple résonance au Royaume-Uni, la diffusion des fausses informations s’élargit également rapidement aux États-Unis et à l’Australie par l’intermédiaire de journalistes de chaînes d’info en continu conservatrices, comme Fox News et Sky News. À chaque fois avec une référence plus ou moins directe à l’article de Vision News.
Par ailleurs, ce supposé complot essaime via la publication de contenus au Canada. Le 31 décembre, relève le Guardian, un psychologue canadien aux 3,8 millions d’abonnés et connu pour son discours ultraconservateur, publie plusieurs messages sur Twitter, repartagés près de 1900 fois. En épinglant au passage les instances internationales comme le réseau des villes C40, le Forum économique mondial ou les Nations Unies, cibles classiques des conspirationnistes. Le Forum économique mondial est d’ailleurs de nouveau visé dans une vidéo postée sur Facebook par un autre complotiste canadien, le même jour, comme le souligne l’AFP.
Enfin, l’intervention du député conservateur britannique Nick Fletcher à la Chambre des communes et sur Twitter (près de 700 repartages) le 9 février a permis à la parole conspirationniste sur la « ville du quart d’heure » d’infuser encore un peu plus le discours ambiant – jusqu’à récemment atteindre la France via le site complotiste d’extrême droite Résistance républicaine. La multiplication de vidéos TikTok et groupes Facebook à ce sujet témoignent d’ailleurs d’un débat déformé à l’absurde, bien loin d’une simple affaire de politique locale.
Nils Hollenstein
Édité par Luise Mösle