Les parents d’élèves de l’école Leonard-de-Vinci, à Strasbourg, organisaient jeudi 6 février un rassemblement, afin de demander un hébergement d’urgence pour des enfants scolarisés dans l’établissement. Ces dernières semaines, de nombreuses mobilisations sont organisées dans les écoles de la capitale alsacienne.
Une quarantaine de personnes étaient présentes pour demander un hébergement pour cinq familles dont les enfants sont scolarisés dans l’école Léonard-de-Vinci. Photo Yves Poulain
Les grilles s’ouvrent et laissent sortir des centaines d’enfants, pressés de rentrer chez eux après une journée d’école, excités à l’approche des vacances. Si la majorité des familles partent vite, refroidies par la température de ce jeudi 6 février, un attroupement d’une quarantaine de parents d’élèves se forme devant l’enceinte de l’école Léonard-de-Vinci, dans le quartier de l’Elsau à Strasbourg. Des banderoles sont sorties, quelques écoliers scandent spontanément : “Plus d’enfants à la rue ! Plus d’enfants sans maison !”
Cinq familles dont les enfants sont scolarisés dans l’établissement, en maternelle ou en primaire, dorment à la rue. Dans des voitures, des tentes ou des halls d’immeuble. Quand les enseignants ont entendu parler de cette situation, ils ont été révoltés. “On demande à des enfants de résoudre des calculs alors qu’ils ont passé la nuit sous une tente ?, s’indigne une enseignante. On n’arrive pas à s’y résoudre.” Des lettres ont été envoyées au rectorat et à la mairie pour proposer l’utilisation du gymnase municipal, restées sans réponse selon les manifestants. Pour avoir plus d’impact, les parents d’élèves ont donc décidé de se mobiliser.
“Il y a des problèmes sociaux et sanitaires très graves”
“Ça me scandalise, il fait un froid de canard, tonne Nadia, une mère d’élève, en frissonnant. Je n’arrive pas à imaginer qu’un enfant de cet âge reste dehors plus de 25 minutes.” Une autre femme renchérit : “Pour les nôtres, une récré c’est déjà très long…” Ces mères en ont parlé à leurs enfants, “mais en gardant l’anonymat des familles. On sait qu’entre eux, ils ne sont pas toujours très gentils.”
C’est l’heure du goûter, des dattes circulent dans l’assistance, pendant qu’un enfant lit le communiqué du collectif. Un texte qui vise surtout la Communauté européenne d’Alsace, la mairie et le rectorat. “Au niveau associatif et social, cette mairie est une catastrophe, déplore Soumia Yahyaoui, présidente du centre social et culturel de l’Elsau. On ne parle que d’écologie alors qu’il y a des problèmes sociaux et sanitaires très graves.”
“Qu’est-ce qu’on doit faire pour que l’Etat réagisse ?”
Le communiqué va obtenir une réponse directe : Hülliya Turan, adjointe à la mairie de Strasbourg chargée de l’éducation, est venue échanger avec les manifestants. Elle commence par adresser “un grand merci aux personnes présentes”, avant de rappeler que “le droit au logement est un droit fondamental”. L’élue met en avant l’ouverture de 600 places d’hébergement par la municipalité depuis 2020. Elle renvoie la responsabilité de l’hébergement des familles à l’État dont c’est la compétence, et qu’elle accuse de ne pas agir pour dégoûter les personnes issues de l’immigration.
L’adjointe à la mairie de Strasbourg chargée du logement, Hüliya Turan, était présente pour répondre aux revendications du collectif. Photo Yves Poulain
L’adjointe est rapidement coupée, interpellée par des mères qui pointent que “des logements vacants sont là, juste en face de l’école”. Hülliya Turan répond que ceux-ci appartiennent aux bailleurs sociaux et non à la mairie, mais évoque une réunion la semaine passée avec ces interlocuteurs. Une manifestante s’indigne : “On est obligés de se mobiliser pour avoir des informations, sinon on a l’impression d’être seuls.” Alors la réflexion s’oriente sur la suite du mouvement : “Qu’est-ce qu’on doit faire pour que l’Etat réagisse ?”, demande une parent d’élève à l’élue. Question qui n’aura pas de réponse.
Un mouvement national pour l’hébergement des élèves à la rue
Sans réaction de la préfecture, les mobilisés se sentent impuissants. Mais ils ne sont pas seuls : les actions se multiplient dans les établissements scolaires de Strasbourg. Les parents d’élèves du collège Lezay-Marnésia, dans le quartier de la Meinau, sont mobilisés depuis le début de l’année. Ils ont obtenu l’hébergement de 17 enfants par la mairie. Le matin de ce 6 février, le collège Kléber organisait aussi un rassemblement. Et d’autres écoles l’ont fait ces dernières semaines : l’école primaire Saint-Jean, la maternelle Albert-Le-Grand…
Pour Emmanuelle Antiguebieille, co-présidente de l’association de parents d’élèves APEPA jointe par téléphone, “les cas vont encore se multiplier”. Elle évoque cinq ou six établissements scolaires de Strasbourg qui se préparent à monter au créneau. La représentante des parents d’élèves estime que ce n’est pas tant le succès à Lezay-Marnésia que le nombre croissant d’enfants à la rue dans la capitale alsacienne qui entraîne ce mouvement. Elle met enfin en avant le caractère national de ces mobilisations : un réseau nommé Élèves sans toit a vu le jour en 2022, pour porter cette problématique dans toute la France. Le collectif a récemment édité un guide pour aider les parents d’élèves et enseignants à mener des actions : le Toitoriel.
Devant l’école Léonard-de-Vinci, les parents évoquent une dernière raison à la mobilisation massive dans les écoles de Strasbourg : celle de l’arrivée des vacances. Une enseignante glisse : “C’est la dernière occasion de nous faire entendre avant ces deux semaines, que ces enfants vont passer dehors, dans le froid…”
Yves Poulain
Édité par François Bertrand