En dix ans de carrière Orelsan s'est illustré non seulement par son rap inimitable mais aussi par son style vidéo hyper léché et travaillé.
Discipline, le dernier clip d'Orelsan est un des plus aboutis de l'artiste et remet en cause tous les codes de la vidéo musicale. Sorti le 4 février, au format vertical comme dans le déjà remarqué Défaite de famille, il s'habille en story instagram, fil twitter et autres références aux smartphones. Et toujours les effets spéciaux volontairement cheap, les références à ses potes et l'autodérision foutraque caractéristique de l'artiste. Tout ce qui a toujours constitué le «style Orelsan» y est réuni pour marquer durablement la carrière de l'artiste, comme le rap français et le monde du clip.
La vidéo au cœur de l'ADN
Son tout premier titre sorti en 2006, Ramen, est indissociable du clip qui l'accompagne et qui pose les bases de ce qui deviendra plus tard son identité visuelle. Rien d'étonnant pour cet artiste protéiforme : la vidéo est déjà présente au cœur de son ADN. Celui qui s'appelle encore sobrement Orel y joue avec les codes du manga et entremêle les vidéos de skate récupérées sur le net et les passages où il rappe déguisé dans un esprit déconne qu'on lui connaît bien. Les bases sont posées.
Perdu d'avance, son premier album studio, signe en 2009 le lancement de la carrière du caennais. Mais au-delà de la simple production musicale, on sent poindre chez Orelsan une volonté de prendre le monde du clip à contre-courant. C'est une époque où, à part dans les réalisations audacieuses de quelques précurseurs comme Kourtrajmé, les artistes de la scène rap se contentent d'interpréter leur chanson face caméra. Le monde du hiphop peine à se renouveler et sombre dans des productions stéréotypées, voire caricaturales, entre figurantes légèrement vêtues et bling bling excessif.
C'est en 2011 avec l'album Le chant des sirènes qu'Orelsan prend un réel virage et se place en précurseur d'un genre de clip nouveau, plus technique, plus esthétique. Il s'associe au réalisateur David Tomaszewski dans de nouvelles productions qui se regardent comme des court-métrages. À la rigueur, on pourrait même, mais ce serait dommage, couper le son. Il conforte dans Plus rien ne m'étonne son identité hybride et son esthétique personnelle toujours teinté d'humour. Le style visuel de l'artiste s'étoffe mais les bases sont toujours là : le manga, les jeux vidéos, internet et les réseaux sociaux. Souvent, on se demande qui du clip ou de la musique sert l'autre, tant la vidéo n'est plus juste un prétexte pour illustrer la chanson.
Une pause cinéma, et ça repart
Alors quoi de plus naturel pour cet esthète de l'image que de prendre une petite pause, de six ans tout de même, pour se tourner vers la télévision et le cinéma ? D'abord avec Gringe, son pote de toujours. Ensemble, ils créent Bloqués, une série humoristique diffusée sur Canal + entre 2015 et 2016. En parallèle il apparaît dans plusieurs films et réalise en 2015 Comment c'est loin, son premier long-métrage avant d'apparaître dans Au poste !, la dernière pépite du réalisateur décalé Quentin Dupieux, a.k.a Mr Oizo.
En septembre 2017, il annonce enfin la sortie d'un nouvel album, La fête est finie. Anticonformiste de nature, Orelsan le fait dans le clip très remarqué de «Basique», tourné en plan séquence, qui remportera une victoire de la musique en 2018, précisément pour sa réalisation signée par les strasbourgeois Greg et Lio.
Rêves bizarres, son dernier clip en date avant l'ovni Discipline est sorti en novembre 2018. Assis dans un bus tout droit sorti des années 1970 duquel il observe par la vitre les météorites qui défilent dans l'espace, puis catapulté au milieu d'une soirée, avant de rapper entouré d'enfants, bonnets vissés sur la tête et furets tenus en laisse, Orelsan signe une vidéo comme il sait les faire, savant mélange d'inspirations diverses, parfois incompréhensibles, souvent drôles, toujours efficaces.
Boris Granger