Avant l’hommage aux victimes de l’attentat de Strasbourg, samedi 9 février, la psychologue Faouzia Sahraoui s’est attardée sur la difficulté pour de nombreuses personnes à se considérer comme victime d’un tel évènement.
À quelques jours de l’hommage aux victimes de l’attentat du 11 décembre à Strasbourg, Cuej.info s’est penché sur le statut de victime avec Faouzia Sahraoui, psychologue responsable de l’Espace d’information et d’accompagnement (EIA) pour les victimes, qui a reçu un peu moins de 400 personnes depuis son ouverture le 19 décembre.
Au cœur de ce cheminement psychologique, la directrice de l’association SOS aide aux habitants évoque la disposition consciente ou non, à isoler ses problèmes, la sensation de ne pas être légitime à se considérer comme victime et la difficulté à faire le lien entre des obstacles nouveaux et l’évènement. Avec, au bout, la capacité de résilience propre à chacun.
Au sein de l’Espace d’information et d’accompagnement, qui vient vous demander de l’aide ?
Nous recevons principalement des femmes (60%) pour une prise en charge psychologique. Ces personnes souhaitent parler à un psychologue pour exprimer leurs émotions, leurs inquiétudes, et leurs angoisses. Elles veulent réfléchir sur ce qui s'est passé, parce que cela devient lourd pour elles de vivre avec ce poids.
Est-ce que ce sont généralement des témoins de l’attaque ?
C'est ce qu'on appelle des personnes impliquées. Elles étaient confinées dans des restaurants, dans des bars ou étaient dans leur habitation, sans assister à l'attentat. Mais ces gens ont entendu des coups de feu, entendu des bruits, et cela a généré une angoisse. Il peut aussi s’agir de victimes touchées directement, qui sont traumatisées parce qu'elles ont perdu un membre de leur famille, ou parce qu’un membre de leur famille est blessé. Enfin, il y a ceux qui viennent demander des informations d'ordre juridique, sur leurs droits.
Certains mettent plus d’un mois à venir. Comment l’expliquez-vous ?
Chaque personne a sa temporalité propre, et ressent le besoin d'aller solliciter de l'aide ou pas. Quand on est face à ce type d'évènements, chacun réagit différemment, il n'y a pas de réaction type.
Qu’est-ce qui fait que nous réagissons différemment ?
Nous allons réagir en fonction de notre vécu, de notre personnalité, des éléments à notre disposition. Certains admettent avoir vécu quelque chose de très lourd, de très grave, mais feront en sorte d'isoler cet évènement et de continuer leur vie. Plus tard, ils vont se rendre compte que c'est encore présent à travers des flash-back, des images ou des angoisses. Parce qu’ils dorment mal, ne mangent pas bien, et au bout d'un moment ils décideront de demander de l’aide à un professionnel.
Quand vous souffrez de quelque chose, vous n'allez pas tout de suite chez le médecin, vous allez peut être commencer par prendre quelques palliatifs en pensant «ça va passer». Après un certain temps, vous considérerez que c’est gênant, et c’est là que vous décidez d'aller consulter. C'est à peu près le même principe sur le plan psychologique.
Pourquoi l'impact psychologique se manifeste-t-il parfois de manière tardive?
Quand on est confronté à ce type d'évènement, un stress peut se déclencher très vite, mais on a aussi parfois la possibilité de pouvoir l'isoler momentanément. Après, il peut sortir sous forme physique : des somatisations ou des cauchemars, jusqu'à ce que la personne arrive à faire le lien et se dise : «Depuis ce jour-là je ne me sens pas bien», et là elle va venir. Le mieux, c'est de venir le plus tôt possible, même si on respecte aussi le rythme de chacun.
Est-ce parfois difficile d'accepter que l'on est touché ?
Il y a un principe qui s'appelle la résilience. Il est possible de repousser un traumatisme de manière volontaire, comme inconsciente, jusqu'à ce que ces symptômes deviennent insupportables pour la personne. Ce n’est pas une démarche facile d'aller demander de l'aide.
Souvent le mécanisme consiste à essayer de régler ce genre de choses par nous même. Quand des parents constatent que leurs enfants ont des troubles du sommeil ou de l’appétit, posent trop de questions, ne sont pas comme d'habitude, ils vont consulter sans trop attendre. Mais pour eux-même, adultes, ils ont tendance à vouloir essayer de gérer ça.
Est-ce le sentiment de ne pas se sentir légitime empêche de s’autoriser à demander de l’aide ?
En effet, par pudeur, certains hésitent à venir. Ils estiment avoir eu beaucoup de chance finalement, bien que présents, pas loin, dans le même restaurant ou dans la même rue, et finalement le terroriste a tué un autre qu’eux. Ils s’estiment heureux d’être encore en vie, craignent d’alourdir le dispositif, ou d’aller demander réparation de quoi que ce soit.
Mais très vite, ces personnes vont aussi se rendre compte que ce n’est pas aussi facile que ça, et elles viendront dans un deuxième temps, troisième temps, voire dans un quatrième temps solliciter de l'aide, parce que cet évènement perturbe leur vie outre mesure.
Alors que les attentats de Nice ont eu lieu il y a deux ans et demi, à l’heure actuelle des personnes se rendent pour la première fois à l'Espace d'information et d'accompagnement de la ville.
Augustin Campos