Le CHU de Strasbourg est l’un des pires élèves de France en matière de temps passé aux urgences. Dans un volet consacré aux urgences hospitalières, le rapport annuel de la Cour des comptes, rendu public le 6 février, révèle que la durée de passage médiane, incluant l’attente et la prise en charge, atteint les 4h15 dans ce service.
Autrement dit, la moitié des patients à Strasbourg a attendu 4h15 ou plus, l’autre moitié 4h15 ou moins. Cette durée médiane s’établit à 2 heures sur le plan national. « Un problème chronique qui remonte à plusieurs années », regrette Syamak Agha Babaei, urgentiste dans le Nouvel hôpital civil (NHC) de Strasbourg et délégué de l’Association des médecins urgentistes de France.
La première piste pour soulager les urgences se situe en amont : encourager le recours à la médecine de ville. Le rapport de la Cour des comptes révèle que 20% des passages aux urgences hospitalières sur le plan national auraient pu être évités, en les réorientant vers la médecine de ville. L’étude rappelle que le plan « Ma santé 2022 » prévoit d’expérimenter pendant trois ans l’attribution d’une incitation financière aux structures d’urgence s’efforçant de réorienter vers la ville les patients ne nécessitant qu’une consultation simple.
« La médecine de ville est une piste. Mais le gros du problème persistera, car la majorité du flux que nous accueillons doit être hospitalisée, et a donc besoin de lits dans l’hôpital », précise Christian Prud’homme, anesthésiste au NHC et délégué syndical FO.
D’après Syamak Agha Babaei, les urgences du NHC sont contraintes de retenir les patients plus longtemps que nécessaire, faute de lits suffisants dans les autres services pour les hospitaliser. D’autant que « dans nos urgences, le pourcentage de patients qui nécessitent une hospitalisation après leur passage aux urgences s’élève à 50%», précise-t-il. Contre 26% à l’échelle nationale d’après le rapport de la Cour des comptes.
Manque de lits en aval
Un constat partagé par Christian Prud’homme. « Vendredi dernier, nous avons reçu 74 patients aux urgences, 52 parmi eux demandaient un traitement dans un autre service, et donc des lits en aval. Vers 21h, on a lancé une alerte mais il n’y avait aucun lit disponible sur tout le CHU », raconte-t-il. « Dans ce cas, on ne peut pas faire sortir les patients des urgences », regrette-t-il. Joint par téléphone, le service de communication du NHC a dit « refuser de communiquer sur le sujet.»
Pour réduire le temps d’attente, le personnel du NHC réclame donc d’augmenter la capacité d’accueil des différents services, ce qui permettrait de désengorger les urgences. Cinq grèves ont eu lieu sur les dix dernières années. La dernière en date, qui remonte à début 2018, a amené l’administration de l’hôpital à ajouter 25 lits. A son inauguration en 2008, le NHC comptait 715 lits.
Une augmentation « insuffisante » pour Syamak Agha Babaei, qui appelle à accroître la capacité globale du NHC de « 50 à 70 lits » pour soulager les urgences, et passer à « 15 médecins urgentistes au lieu d’une dizaine actuellement », qui exercent aux côtés d’une « soixantaine d’infirmiers et d’une trentaine d’aides-soignants.»
Pour sortir de cet état de « pénibilité », Syamak Agha Babaei propose également de « donner la priorité aux patients en urgences dans l’accès aux examens complémentaires comme la radiologie et le scanner, avant les autres patients dans l’hôpital ».
« On commence à se demander si on fait bien notre métier, si on est là pour ça, car on se transforme plus en gestionnaires de flux qu’en médecins et donc on s’interroge sur le sens à donner à notre métier », conclut-il.
Louay Kerdouss