Recruter est un besoin permanent de l’armée française. Mais donner envie de s’engager sans occulter la dangerosité inhérente au métier de militaire est un véritable défi. En résultent des campagnes de recrutement plus ou moins fidèles à la réalité du terrain.
Des soldats qui échangent des tirs nourris contre un ennemi invisible, un marin qui s'engouffre dans un hélicoptère en train de décoller, des militaires qui évacuent des civils... Les spots de recrutement des armées s’appuient sur des images fortes. Le but : recruter de nouveaux militaires pour renouveler les effectifs. Ce sont les jeunes, entre 15 et 24 ans, qui sont ciblés par les campagnes. « Souvent, ils ont le goût de l'aventure, l'envie de voyager, d'avoir un métier d'action, explique la capitaine Anne-Lise Llouquet, chargée de communication. L'armée de terre offre ces possibilités, donc on axe notre communication là-dessus. Forcément, dans la réalité, ce n'est pas aussi idyllique. Ce n'est pas l'aventure, c'est aller sur des théâtres d'opération. »
Depuis l'annonce de la professionnalisation de l'armée par Jacques Chirac en février 1996, l'armée de terre a mené huit campagnes de recrutement. Les premières mettent en exergue la diversité des métiers proposés par l'armée. Aucune arme n’est visible : « Un jeune voulait d'abord trouver un emploi plutôt qu'embrasser une carrière militaire. Mais l'engagement était oublié au profit des métiers, alors que nous sommes avant tout des soldats », analyse la capitaine Anne-Lise Llouquet.
En 2001, la campagne se recentre sur le soldat : « Il a fallu rappeler que ce métier peut être risqué », relate le lieutenant-colonel Emmanuel Dosseur, adjoint au chef du marketing et de la communication de l'armée de terre. En cause, un contexte international de plus en plus difficile. « Il y avait de plus en plus d'opérations extérieures, les campagnes devaient refléter la réalité de la situation », ajoute-t-il.
Depuis 2007, nouveau tournant. L'épanouissement personnel est valorisé. La campagne de cette année-là, « Lorsque vous vous engagez, nous nous engageons », est la seule à évoquer la vie privée du militaire, au bowling ou en sortie avec sa copine. L'objectif est de se rapprocher des jeunes, dont les envies évoluent : « Ce sont des populations paradoxales, très éprises de liberté et ayant un rapport assez distancié avec l'autorité. En même temps, ce sont des populations qui ont besoin d'être en tribu, d'avoir un cadre assez clair », souligne Fabrice Conrad, directeur général de l'agence de communication Havas Paris, responsable de la campagne de la marine nationale « Faites un pas vers votre avenir ».
Difficile, toutefois, de rappeler que le militaire exerce un métier dangereux sans faire fuir les potentiels candidats. En témoigne la dernière campagne de l'armée de terre, « sengager.fr ». Se référant au code du soldat, l’un des spots cite l'article 2 : « Je serai au service des autres et j'agirai avec la volonté de vaincre ». Sauf que la dernière partie, « si nécessaire au péril de ma vie », a été laissée de côté. « C'est de la pub, c’est fait pour attirer, fait valoir la capitaine Anne-Lise Llouquet. L'aspect violent du métier est évoqué plus tard, en centre de recrutement. »
Implicite, sous-entendue, jamais revendiquée : dans les spots de la marine nationale, la violence s’expose sans ostentation. « Il n'y a pas vraiment de violence exprimée mais on sent que le marin qui sort de l'eau l’arme à la main est prêt à l'utiliser », estime le lieutenant de vaisseau Olivier Ribard, chef du bureau communication du service de recrutement de la marine nationale. Le communicant Fabrice Conrad, lui, se défend d'occulter cet aspect du métier : « On essaye d'être fidèle à ce que représente réellement la vie des marins, de ne pas être dans une surpromesse ni une déformation de la réalité. »
Aujourd’hui, les campagnes se veulent plus authentiques. Depuis quelques années, ce sont des militaires qui jouent dans les spots et non des acteurs. « Qui de mieux qu'un soldat pour parler de son métier ? », questionne la capitaine Anne-Lise Llouquet.
Ces campagnes ont convaincu Boris, 17 ans, de se rendre en centre d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa) : « J'étais avec un ami et j'ai vu passer un spot de l'armée à la télé. Ensuite, je suis allé voir sur le site Internet et j'ai laissé mes coordonnées. » Contrairement à Geoffrey, 20 ans et sur le point de s’engager, qui critique le manque de réalisme des campagnes : « C'est vendre du rêve. Dans les publicités, c'est tout beau, mais ce n'est pas ce qui se passe réellement dans les pays extérieurs. »
L’armée de terre promet une prochaine campagne mieux indexée sur la réalité. « Nous n'avons pris que des images réelles d'opérations extérieures ou intérieures, dévoile le lieutenant-colonel Emmanuel Dosseur. On montrera l'engagement tel qu'il est et non tel qu'on l'imagine. » La campagne sera lancée le 10 mars prochain. L'année 2015 est passée par là.
Élodie Troadec
Chaque année, l'armée multiplie les rencontres avec les jeunes pour séduire de nouvelles recrues. Le métier attire mais la sélection est rude pour les candidats qui doivent passer une série de tests. En définitive, seul un dixième des jeunes rejoindra les rangs.
Assis face à l'adjudant-chef Laurent, chargé du recrutement, Geoffrey, les mains posées sur les genoux, parle de son projet d'intégrer l'armée. Boulanger de formation, le jeune homme d’une vingtaine d’années a franchi la porte du Centre d’information et de recrutement des forces armées (Cirfa) de Strasbourg il y a déjà quelques mois et espère trouver au sein de l'armée un emploi, une stabilité qu'il n'a plus dans le civil. « Je veux changer de la routine et me créer une seconde famille », évoque-t-il. Pour la capitaine Marie-Ange Tourillon, directrice du Cirfa de Strasbourg, il n'y a pas de mauvaise motivation : « Ce n'est pas parce qu'il n'a pas rêvé toute sa vie d'être le chevalier servant de la nation qu'il ne fera pas un bon soldat. »
Tout le monde ne peut pas faire ce métier. Les futures recrues devront être prêtes à voir des blessés, des morts et à tirer. Chaque candidat doit donc répondre à des critères. Avoir entre 17 ans et demi et 29 ans et être de nationalité française sont des prérequis. Les recruteurs se concentrent ensuite sur la personnalité et la capacité du candidat à suivre une formation militaire. « On analyse cinq traits de caractères, explique l’adjudant chef Laurent : le rapport qu'il a à la collectivité, à l'autorité, le goût de l'effort, ses capacités à se remettre en question et surtout sa gestion du stress. »
Les tests d’évaluation dans l’un des cinq centres de sélection et d’orientation (CSO) répartis sur le territoire national sont décisifs. Pendant deux jours, le candidat, encadré et surveillé par plusieurs recruteurs, doit faire ses preuves dès les premières minutes de son arrivée au centre. « On voit comment le jeune est au sein d’un groupe, s’il est perdu, s’il est à l'aise et s’il respecte les consignes », explique le major Gilles, chef de la section évaluation au CSO de Nancy. Lors de la visite médicale, le candidat enchaîne tests auditifs, ophtalmologiques et cardiaques. Pour certains, le séjour s’arrête là. « Être en bonne santé ne suffit pas, il faut qu'on sache s'il peut être un bon soldat, est-ce qu'il pourra porter du poids sur lui, est-ce qu'il pourra être endurant », explique le capitaine Sébastien, chef de la section opération de recrutement au CSO de Nancy. Geoffrey apprend lors de ces examens qu'une scoliose détectée par les médecins l'empêcherait d'exercer certaines qualifications au sein de l'armée, comme les parachutistes.
La sélection se poursuit par une série de tests psychotechniques mêlant français, anglais, logique, arithmétique et questionnaire de personnalité. Florian, 22 ans, retient une question : « On me demandait si en cas de situation conflictuelle ou de problème, j'aimais passer du temps en intime avec certains proches, cite celui qui veut intégrer l'infanterie, je devais dire si ça me correspondait ou pas. » Avec ces tests, l'armée cherche à savoir si les candidats ont des capacités cognitives suffisantes pour pouvoir suivre la formation qui leur sera donnée. Le tout est analysé par un recruteur formé en psychologie qui détermine le profil du jeune et son potentiel à devenir un bon soldat.
Le deuxième jour, les candidats passent trois épreuves sportives. Ils sont une vingtaine affublés de chasubles bleues marquées d'un numéro. Le moniteur détaille le programme de la matinée. Après une course d'endurance, les jeunes enchaînent avec un parcours d'obstacles. Lancer de balles, saut en longueur, traversée d'une poutre… Des exercices simples qui permettent aux recruteurs d'observer la coordination et l'équilibre. Les candidats terminent par une série de tractions pour jauger leur force musculaire. « On demande toujours un bon niveau sportif, souligne le major Gilles. Mais on sera plus exigeant envers un futur combattant par rapport à un personnel qui sera dans la maintenance ou dans l'administration. »
Plus que le niveau physique, ces tests permettent de saisir la personnalité du candidat. Les recruteurs observent sa capacité à gérer son stress, à obéir aux consignes et à se surpasser. Un des jeunes reste longtemps suspendu à la barre de tractions. Sous l'effort, il grimace, hurle pour se hisser une dernière fois, sous le regard encourageant d'un recruteur. En vain. « C'est vraiment un beau geste, ça montre le dépassement de soi », commente le capitaine Sébastien.
Après ces deux jours de tests, les dossiers sont transmis à la commission nationale d'affectation à Paris. Elle seule valide ou non la candidature. « On ne sait pas toujours pour quelles raisons, admet la capitaine Marie-Ange Tourillon. On essaie d'avoir un maximum de renseignements sur le pourquoi du refus. » Parfois, les résultats de l'enquête de sécurité expliquent ce rejet. L'armée inspecte le casier judiciaire et demande à la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) de mener une enquête sur le jeune et son entourage. « Par exemple, si son frère fait l'objet d'une fiche S, le candidat peut être vulnérable, son frère peut agir sur lui pour lui faire dévoiler des secrets », indique la capitaine.
Même lorsque les dossiers sont validés, les résultats des évaluations ne correspondent pas toujours au projet du candidat. Vincent, 24 ans, va devoir se réorienter à l'issue des épreuves au CSO de Nancy : « Je visais sous-officier pour être chef de groupe mais les tests ne sont pas assez favorables donc je vais être EVAT (engagé volontaire dans l'armée de terre). » L'armée a aussi des quotas à remplir et doit jouer entre les aspirations des candidats et ses besoins. Si le premier vœu de Geoffrey est d'exercer son métier de boulanger au sein de l'armée, il n'est pas non plus exclu qu'il devienne fantassin, faute de place.
Estelle Pattée, Jule Scharr et Élodie Troadec
Les attentats du 13 novembre à Paris se sont traduits par une explosion des demandes d'information auprès de l'armée. Pourtant, peu se concrétisent par un engagement sous les drapeaux.
« Le week-end des attentats, toutes les demandes d'infos par le biais d'Internet ont été multipliées par trois. On est passé d'une quinzaine à une quarantaine », explique le maréchal des logis-chef Joackim, membre du centre d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa) de Strasbourg. Si les centres de recrutement ont constaté une recrudescence des demandes sur le site sengager.fr, peu se traduisent par des prises de rendez-vous.
La salle d'attente du Cirfa de Strasbourg est d'ailleurs bien vide en ce mardi après-midi, près d'un mois après les attentats du 13 novembre à Paris. Un père patiente en attendant la fin du rendez-vous de son fils. Baptiste, lui, est venu pour un entretien d'orientation. Il a déjà passé la batterie de tests. Il avait entrepris les démarches pour s'engager bien avant les attentats.
Les Cirfa font également face à des requêtes très diverses. C'est ce que raconte la capitaine Marie-Ange Tourillon, chef du Cirfa de Strasbourg : « Le lundi 16, on a reçu toutes sortes de demandes. Des gens qui veulent être utiles et qui nous demandent comment l'être. »
Mais cela ne suffit pas. Le personnel des ressources humaines procède à une sélection stricte. Raisons médicales, limite d'âge (29 ans), et mauvaises motivations - pour les recruteurs, la vengeance en est une - nombre de prises de contact n'aboutiront finalement pas. Avec un processus de trois mois minimum pour le recrutement des militaires du rang, l'effet, si effet il y a, ne sera visible qu'au cours du premier trimestre de 2016.
Adrien Max
Dans certains quartiers dits « difficiles », l'armée se présente comme un employeur potentiel. Une opportunité pour certains jeunes qui peinent à dessiner leur avenir et se sentent souvent rejetés par leur pays.
Des jeunes de banlieue, tous équipés d'un treillis, jouent à la guerre : tir à la carabine, atelier combat, lancer de grenades factices. Ils tiennent des armes entre leurs mains, passent des ponts de singes, rampent par terre. Le temps d'une journée, une quarantaine de jeunes du quartier Florimond Bel Air de Colmar s'est glissée dans la peau... d'un soldat. Bienvenue dans un rallye, événement organisé en collaboration entre un centre socio-culturel et l'armée. Le but ? Faire découvrir l'institution aux jeunes et, éventuellement, les motiver à s'engager. Les ados arrivent tôt le matin, sont répartis en binômes et passent d'atelier en atelier. À la fin, on compte les points. Puis c'est le vin d'honneur, avec remise des prix pour les gagnants.
Karim a grandi dans le quartier Bel Air. Il y a 15 ans, il participe à l'un de ces rallyes. À l'époque, il s'en sortait « difficilement » à l'école. Quand il n'était pas dans la rue, Karim passait du temps dans un centre socio-culturel. Là-bas, des animateurs lui ont parlé du rallye. « C'était comme un challenge », se remémore le jeune homme, l'âme sportive. Une quarantaine de jeunes du quartier a participé à cette journée. Le jeune homme s’en souvient encore.
« Quand on vit dans une cité, on a cette impression d'être mis à l'écart, de ne pas avoir les mêmes chances que les autres », raconte Karim. Une fois en tenue militaire, tout est différent : « Cet uniforme nous habille et impose le respect de manière uniforme pour tout le monde. En fait, on est tous pareil. Et c'est d'autant plus honorable quand on est en recherche d'appartenance et de reconnaissance », décrit-il.
Ce jour-là, Karim a manié une arme. Il a alors ressenti un sentiment inhabituel : il avait entre ses mains une responsabilité. Et l'âme de sportif s'est transformée. « Quelque part je me voyais en guerre. Je me voyais partir, avec cette âme de guerrier », se rappelle-t-il. Deux ans plus tard, le jeune homme entreprend des procédures pour s'engager. Mais échoue aux tests. « J'aurais pu faire carrière », regrette-t-il. Karim n'a pas abandonné l'uniforme pour autant. Aujourd'hui, il est pompier volontaire.
L'exemple de Karim est loin d'être isolé, même si, selon le colonel Rummelhardt, un réserviste qui organise des rallyes pour les lycéens de Mulhouse, « cette année les populations de la diversité sont plus rares dans les rallyes ». Dans une étude effectuée pour le compte du ministère de la Défense en 2010, selon la sociologue Carine Le Page et le statisticien Jérôme Bensoussan, l'engagement et la surreprésentation des catégories populaires au sein de l'armée sont significatifs. L'armée aussi, de son côté, semble montrer un intérêt particulier pour les jeunes des quartiers. Il existe, dans la réserve citoyenne, environ 160 postes spécialement dédiés à la promotion de l'institution et au recrutement dans ces milieux. Le colonel Jean-Paul Rummelhardt fait partie de ces réservistes. Pour accomplir sa tâche « difficile », il use de stratégies : « Il faut passer par le biais des associations de quartier, montrer plutôt que baratiner, organiser des rallyes, et ne pas oublier l'intérêt de ces populations : la seule recherche d'un emploi. » Une mission pour laquelle « le social ne devrait pas prendre le pas sur le militaire, qui doit en rester le fondement », estime-t-il.
Également réserviste « VRP de l'armée » dans les banlieues, Mourad Hanich a lui-même grandi dans un quartier. Quand l'armée l'a contacté, il était directeur d'un centre socio-culturel. Pour lui, ce fut comme une main tendue, comme un message de la France à ceux que l'on a tendance à délaisser. « Je veux bien le relayer, ce message, dire à ces jeunes qu'ils appartiennent à la nation. Ils n'auront plus besoin de se raccrocher à une tradition ou une religion pour exister », assure-t-il. Pour lui, « un jeune qui s'engage, c'est un jeune de sauvé ».
Cela fait plusieurs années que Mourad Hanich n'a plus organisé de rallyes, mais depuis fin novembre, les autorités militaires semblent insister pour renouveler l'expérience. « Il y a trois casernes qui souhaitent que l'on organise un rallye avec le centre socio-culturel du quartier », s'étonne-t-il à moitié.
Une fois dans l'armée, plus de distinction. « Les jeunes n'appartiennent plus au quartier mais à la Défense », ajoute Mourad Hanich, qui ne peut dire lesquels des ados qu'il a vu grandir se sont engagés. Dans les centres de recrutement, on est clair sur la question : peu importe les origines et l'adresse des recrues. Mais ces jeunes, pour la plupart peu diplômés, se retrouvent souvent au poste de combattant, constate le sociologue Elyamine Settoul. Pour eux, l'armée représente une deuxième chance (si ce n'est une première), un escalier social fondé sur la méritocratie. Mais la désillusion est souvent la plus violente chez les « engagés de rupture » comme les appelle le chercheur : « Depuis une décennie, on constate une précarisation des contrats dans l'armée. Ils ne durent souvent que cinq ans et ne sont pas renouvelables, analyse Elyamine Settoul. Quand on est conducteur de char ou tireur d'élite, il n'y a pas de reconversion possible dans le civil. »
Violette Artaud
Elyamine Settoul est docteur en sociologie, sciences politiques et relations internationales. Il a écrit en 2013 une thèse qui s'intitule « Enfants d'immigrés, enfants de la patrie : des banlieues de la République à la défense de la Nation ». D’origine algérienne, il considère l'armée comme une clé de compréhension de l'histoire franco-algérienne.
Vous portez un intérêt majeur aux populations issues de l’immigration et plus particulièrement aux populations de confession musulmane dans l'armée. Pourquoi ?
La plupart des armées dans le monde recrutent très souvent dans les milieux populaires. Il se trouve qu'en France, dans les milieux populaires, on a une certaine composante musulmane. De manière mécanique, on retrouve de nombreux soldats musulmans dans les armées françaises.
Vous avez constaté que l'armée a une image positive dans les banlieues. Est-ce lié au fait que ce sont en grande partie des populations issues de l'immigration qui y vivent ?
Une des clés d'explication, c'est le recrutement méritocratique. Quand l'armée évalue un jeune, elle ne va pas regarder sa couleur de peau, son nom, sa religion. Elle évalue son état physique et psychotechnique. C'est quelque chose de très apprécié dans les milieux populaires et dans les banlieues. Les jeunes ont le sentiment d'être traités comme les autres. C'est pour cela que l'armée jouit d'une image positive.
Qu'espèrent ces jeunes en s'engageant dans l'armée ?
Ils espèrent trouver une stabilité professionnelle. Certains veulent voyager, voir du pays, sortir de leur quartier. Ils veulent éviter des discriminations. Ils veulent avoir une vie un peu plus trépidante que travailler en intérim dans une usine.
Vous dites que ces jeunes, souvent sans diplôme, font fréquemment le choix de devenir combattants. Pourquoi ?
Comme l'a bien montré Pierre Bourdieu, on choisit souvent des sports en fonction de son milieu social. Dans les catégories populaires, on choisit plus souvent des sports de combat, des sports où ce sont les forts qui comptent. Très souvent, ces jeunes-là, qui ont un capital sportif, essayent de le convertir en capital professionnel. Si vous n'avez pas fait d'études et que vous êtes sportif, vous avez de très fortes chances de travailler dans l'infanterie, dans un régiment de combat. Il y a aussi une figure de virilité qu'il faut rappeler ici. Cette figure de virilité et du combattant attire beaucoup les jeunes qui entrent dans l'armée. Mais elle peut aussi attirer aujourd’hui les jeunes qui entrent chez Daesh.
Est-ce qu’il y a des points communs entre le recrutement de l’armée française et celui du groupe Etat islamique ?
Daesh a compris que le marketing et l'image sont extrêmement importants pour recruter. Dans le visuel et l'esthétique de leurs campagnes de publicité, ils s'inspirent beaucoup de ce que font les grandes armées occidentales : la figure du héros, l'esthétique presque parfaite dans la qualité des images.
Quelles sont les motivations communes des jeunes qui souhaitent s'engager dans l'armée et des jeunes qui se radicalisent ?
On peut y voir la quête d'un cadre structurant, d'une identité positive, d'un cadre affectif. Beaucoup de jeunes qui entrent dans les armées viennent de familles éclatées ou de foyers d'accueil. Ils trouvent dans l'armée une espèce de famille. Dans des mouvements radicaux, on peut trouver ça aussi.
Est-ce qu'on peut dire que les personnes qui sont ciblées par l'armée pour être recrutées peuvent être les mêmes que celles que le groupe Etat islamique arrive à convertir ?
Est-ce qu'on peut le dire ? On peut le penser. Quand on est un jeune de 17 ans et qu'on veut de l'adrénaline, quand intellectuellement on n'est pas forcément encore totalement construit et si on a des fragilités, c'est vrai qu'on peut vite tomber dans ces types de mouvements. Oui, il y a des points communs.
Propos recueillis par Violette Artaud et Jule Scharr