Pas de panique, Jean-Claude a un plan…


Plombée par la rigueur budgétaire et une faible demande, l’économie reste atone. Le nouveau président de la Commission se voit confier la mission de la stimuler par une relance de l’investissement. Son plan est chaleureusement salué par les capitaux privés, par ailleurs un peu trop habiles à échapper à l’impôt.

En avant derrière Juncker

 

La promesse aux accents rooseveltiens d’une nouvelle donne pour la croissance peine à se concrétiser. Faute d’argent public, il faudra séduire les investisseurs privés. L’assainissement budgétaire et les réformes structurelles se poursuivent.

2015 sera l’année du plan Juncker. Cet ambitieux plan d’investissement est finalement la seule mesure concrète adoptée par les chefs d’Etats et de gouvernements lors de leur sommet du 18 décembre. Il forme la principale, sinon la seule, nouveauté de la «nouvelle donne pour la croissance», slogan inventé par Jeroen Dijsselbloem, président de l’eurogroupe.


Jeroen Dijsselbloem (à droite) peine à répondre à l’appel lancé à Jackson Hole par Mario Draghi (à gauche). Photo Council of the European Union/M@S.
Ce « New deal » à trois volets répond à l’appel de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE) lancé à Jackson Hole en août dernier: trouver face à sa politique monétaire «un accord politique qui connecterait la consolidation budgétaire, les réformes structurelles et l’investissement». Comme souvent, ce type d’accord au sommet aurait dû passer par un compromis franco-allemand qui a finalement fait défaut.

Mobiliser 315 milliards d’euros privés

Le plan Juncker tiendra donc lieu d’investissements publics, une mission habituellement dévolue aux États. Avec une garantie initiale de 21 milliards d’euros issus du budget européen et des réserves de la Banque européenne d’investissement, il s’agit d’ici trois ans d’en mobiliser 315, privés, par un double effet de levier. Keynes est jeté aux oubliettes, mais Goldman-Sachs est bien vivant. Le tout financera des projets stratégiques dans toute l’Union, notamment dans le domaine des infrastructures comme le haut débit, l’énergie et les transports, l’éducation, la recherche et l’innovation, les énergies renouvelables… En parallèle, le plan prévoit de renforcer la sécurité juridique des investisseurs pour casser la crise de confiance qui les décourage de s’engager.

Le volet investissements de la formule de Dijsselbloem n’a pu aller au delà en raison d’un mésentente ou au mieux d’un malentendu au sein du couple franco-allemand. Le socialiste Gilles Savary, membre de la Commission des finances à l’Assemblée nationale, résume le point de vue français, «notre situation et la conjoncture de rigueur ne nous permettent pas, à un moment donné, de créer une relance. Ce n’est pas à la France de le faire, c’est l’Allemagne qui en a la clé…» Un point de vue qui s’est vite révélé inaudible de l’autre côté du Rhin. Début décembre, Wolfgang Schäuble s’est montré très clair: «Il est essentiel pour la vigueur de l’économie européenne de maintenir la confiance dans l’effort de réduction des dépenses publiques.»

Statu quo entre Berlin et Paris

Les deux autres volets de la «nouvelle donne», les réformes structurelles et l’assainissement budgétaire sont à la charge des Etats. Et sur ces points aussi, le rapport de force n’était pas en faveur de Paris. «Pour les Allemands, si l’Europe n’est pas sortie de la crise, c’est parce que la France n’en fait pas assez en matière budgétaire et qu’elle est en quelque sorte le malade de l’Europe», admet Christophe Caresche, membre PS de la commission des finances. La politique budgétaire se réduira donc à un peignage des recettes et des dépenses, afin de vérifier qu’elles sont bien «favorables à la croissance». «L’essentiel est de respecter nos engagements en matière de consolidation budgétaire», a martelé Wolfgang Schäuble en guise de message appuyé au gouvernement français.

Les Français ont pourtant déployé tout leur arsenal tactique pour faire bouger les lignes. Ils ont ainsi tenté d’obtenir des conservateurs allemands qu’ils lâchent un peu de lest en s’appuyant sur les sociaux-démocrates (SPD), qui participent à la coalition au pouvoir en Allemagne.

Porte-drapeau de cette offensive: un rapport commandé en commun par Emmanuel Macron (PS) et Sigmar Gabriel (SPD), les ministres de l’Économie des deux pays, qui décline un agenda de réformes et d’investissements conjugués, à mener en France et en Allemagne. Le rapport Pisani-Enderlein, du nom de leurs auteurs, préconise de rendre plus flexible le marché du travail en France et appelle à une modération salariale pour dynamiser la compétitivité des entreprises. Pour leur part, les Allemands sont invités à utiliser leurs excédents budgétaires pour favoriser la croissance en Europe.

Beaucoup d’efforts pour peu de résultats. A  l’issue du sommet franco-allemand du 1° décembre, ne restent en définitive que les concessions en matière de réformes projetées par la loi Macron.  Son accueil a été plutôt mitigé à Berlin.

Mark Ionesco

Jeroen Dijsselbloem,  New Growth Deal for the Eurozone: connecting reform agenda, budgetary consolidation and supportive investments, 10 octobre 2014, (en anglais)
http://www.eurozone.europa.eu/newsroom/news/2014/10/new-growth-deal-for-the-eurozone-connecting-reform-agenda,-budgetary-consolidation-and-supportive-investments/

Henrik Enderlain et Jean Pisani-Ferry , Réformes, investissements et croissance: un agenda pour la France l’Allemagne et l’Europe, 14 novembre 2014
http://www.strategie.gouv.fr/publications/reformes-investissement-croissance-un-agenda-france-lallemagne-leurope

47° conseil financier et économique franco-allemand , Strengthening investment, advancing Europe, 2 décembre 2014 (en anglais) http://www.bundesfinanzministerium.de/Content/EN/Standardartikel/Topics/Europe/Articles/2014-12-02-bilateral-talks-franco-german-financial-and-economic-council.html?__act=renderPdf&__iDocId=330644

Le projet de loi sur la croissance et l’activité, dite loi Macron, sur le portail de l’économie et des finances, 10 décembre 2014
http://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2014-12-10/croissance-et-activitee

FMI, Das Publik Kapital, how much would higher german public investment help Germany and the Euro Area? 17 décembre 2014 (PDF en anglais) http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2014/wp14227.pdf

Plan Junker: le miracle de la multiplication des milliards

Source: Fiche d’information de la Commission: d’où vient l’argent? (PDF)
http://ec.europa.eu/priorities/jobs-growth-investment/plan/docs/factsheet2-where-from_fr.pdf

Blanc petit

Les investisseurs flairent la bonne affaire

Construit avec une garantie publique, le plan de relance de Jean-Claude Juncker dépend de sa capacité à séduire les capitaux privés.


Fondée en 1974, la Fédération européenne des fonds et des investissements (Efama) a établi son secrétariat permanent à Bruxelles en 1990. Photo Célia Garcia-Montero/Cuej.

Le site de la Commission consacré au plan Juncker
http://ec.europa.eu/priorities/jobs-growth-investment/plan/index_fr.htm

Le site de la Banque européenne d’investissement consacré au plan Juncker
http://www.eib.org/about/invest-eu/index.htm

Dès son élection au poste de président de la Commission européenne, le 15 juillet 2014, Jean-Claude Juncker a annoncé le lancement d’un plan d’investissement de 315 milliards d’euros sur trois ans. Appelés à y prendre part, les investisseurs privés saluent une formule audacieuse.

Après sept années de crise économique, et alors que les coffres publics sont vides, l’Union européenne se lance dans une politique d’investissement inédite. Le plan Juncker propose des projets dotés de solides coussins communautaires d’amortissement des risques pour inciter les investisseurs privés à y placer leurs fonds. Les cibles visées: les groupes d’assurance, les fonds de pension ou encore les fonds souverains et les banques.

A Bruxelles, dans le quartier des lobbies, les fédérations d’investisseurs se disent très réceptives. «Les fonds de pension ont beaucoup de capitaux disponibles qu’ils veulent rediriger vers des actifs illiquides», explique Agathi Pafili, conseillère politique en chef à l’European fund and Asset management association (Efama). Son association représente près de onze mille milliards d’euros gérés par 55.000 fonds d’investissement à la fin de juin 2014. Sécuriser ses placements est essentiel à sa stratégie. Même son de cloche positif à la représentation des assureurs français: «Le plan Juncker arrive à un moment où nous cherchons à diversifier nos investissements», renchérit Bertrand Labinnoy, directeur des affaires économiques, financières et internationales à la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA). En 2013, les assureurs européens ont investis 8.500 milliards d’euros dans l’économie.

Prêts à retourner investir dans les pays à risques

Le plan Juncker, soulignent-ils, leur permettra d’investir dans des projets plus risqués grâce à sa formule financière innovante. «Les fonds publics prendront tous les risques sans exiger une rémunération trop élevée», apprécie Bertrand Labinnoy. François de Clippele, porte-parole d’Assuralia, y voit un invitation à revenir dans les pays touchés par la crise: «Nous nous étions désengagés de Grèce car l’Etat avait abandonné ses garanties. Là, le contrôle est différent. Il est donc important d’y investir car le pays a besoin d’infrastructures et cela fera du bien à l’UE». «Nous constations un intérêt accru pour l’Europe de l’Est», confie pour sa part Agathi Pafili.

Une première liste de 2.000 projets ayant été rendus publique le 9 décembre, reste à un groupe d’experts indépendants à la passer au tamis de trois critères: valeur ajoutée pour l’UE, viabilité économique, capacité à démarrer rapidement.

Ce n’est qu’ensuite que les investisseurs se manifesteront sur les plans qui les intéressent. Chacun à travers sa propre grille. «Notre politique d’investissement se décide en fonction de la nature des projets: la durée des prêts, le rendement, les ressources», prévient Bertrant Labinnoy. Chacun décidera aussi en fonction des contraintes qu’imposent les nouvelles réglementations. «La modification du système d’évaluation de la solvabilité applicable dès 2016 va pousser les assureurs à être encore plus sélectifs dans le choix de leurs investissements», précise l’un de leurs représentants.

Les compagnies d’assurance se porteront plus volontiers vers l’immobilier ou les infrastructures routières. «C’est ce qui rapporte, avoue François de Clippele. Derrière ces projets, nous avons aussi l’idée de développer nos produits. Le groupe Europ-Assistance se tourne par exemple vers les maisons de retraite car il mise sur la dépendance.»

A terme, tous comptent sur une privatisation des infrastructures. «Les Etats veulent la propriété des infrastructures, mais ils n’ont plus les moyens pour ça», souligne Agathi Pafili. Les compagnies d’assurance seraient, elles aussi, très intéressées de prendre le relais des pouvoirs publics. «Mais il nous faut calculer au cas par cas ce qui pourrait être une réussite pour éviter que le scénario du tunnel sous la Manche ne se reproduise», précise François de Clippele.

Rendre prévisibles les retours sur investissements

Pour se prononcer plus en détail, Efama attend surtout le volet réglementaire qui renforcera la sécurité des investisseurs. Jean-Claude Juncker a déjà promis un allègement des charges administratives, il lui reste à délivrer à bride abattue les règlementations sectorielles qui encadreront les futurs marchés du numérique, de l’énergie ou des transports et rendront ainsi prévisibles les retours sur investissement. Sans oublier quelques garanties fiscales, souligne Olivier Marty, maître de conférences à l’Essec, dans une contribution de la Fondation Robert Schuman.

D’abord galvaudé pour son ingénierie financière et la modestie de son montant, qui représente seulement 0,7% du PIB européen sur 3 ans, le plan Juncker suscite désormais d’autres réserves. «C’est une bonne annonce, mais les résultats se feront en fonction des marchés. On ne règle pas la croissance comme ça», prévient Agathi Pafili. Frédéric Hache, expert à Finance Watch, contre-lobby financier de la société civile, invite lui aussi à modérer les attentes: «Le manque de croissance est lié à des causes structurelles, comme la démographie ou la hausse des inégalités. Or, rien, ni dans ce plan, ni ailleurs, n’est fait pour pallier ce problème.» Il met aussi en garde contre le développement des partenariats public-privé, «vu les résultats mitigés par le passé».

Concernant la croissance, Natixis estimait fin novembre que l’impact du plan Juncker sera positif, mais tardif. Ses premiers effets ne se feront sans doute pas sentir avant le deuxième semestre 2016.

Célia Garcia-Montero

Blanc petit

Le plan Juncker, d’où il vient, où il va

Blanc petit

L’Allemagne au miroir de la Sarre


Voisin de la France, le petit Land fait face aux défis cumulés du vieillissement de ses habitants et de ses infrastructures. Croissance, emploi et investissements: l’équation allemande.

 


Terrain vague et bâtiment à l’abandon côtoient l’usine de Saint-Gobain sur l’avenue principale de Brebach. Photo Aurore Dumser/Cuej.

 

A un quart d’heure de tramway du centre de Sarrebruck, la petite gare de Brebach semble perdue entre les maisons résidentielles, les bâtiments à l’abandon et les grands complexes industriels.

Dans ce quartier périphérique de la capitale sarroise, tout le problème démographique de l’Allemagne se trouve posé: près d’un habitant sur trois a plus de 60 ans, et un cinquième de la population a déserté le quartier. Le vieillissement concerne tous les habitants, y compris la première génération d’immigrés. «Les enfants et les familles s’en sont allés», note Dagmar Schackmann, travailleuse sociale au centre de solidarité local, le BürgerInnenzentrum.

S’adapter au changement démographique

Pour la première fois depuis les années 1950, la Sarre, ancien grand foyer minier et industriel, à la frontière de la France et du Luxembourg, est passée sous le seuil du million d’habitants. Et l’érosion démographique n’est pas terminée: le Land devrait encore perdre un quart de sa population dans les 50 prochaines années.

La nouvelle donne démographique est prise en compte par les autorités régionales du Land qui renforcent les services gériatriques, alors que les investisseurs visent les retraités à la bourse bien remplie. Le personnel soignant, lui, est débordé. La main d’œuvre sarroise préfère souvent le voisin Luxembourgeois aux salaires plus élevés. La réponse, de ce côté de la frontière, «est légale ou semi-légale» confie Franz-Josef Simon, expert du marché du travail. Autrement dit, ce sont des travailleurs immigrés, parfois payés au noir, en provenance d’Europe de l’Est, et en particulier de Pologne, qui accompagnent les personnes âgées. Face au défi du vieillissement, «il faut former du personnel spécialisé, ce qui n’est pas encore assez le cas», explique Dagmar Schackmann.


Avec sept naissances pour 1.000 habitants, la Sarre a le plus faible taux de fertilité du pays. Photo Aurore Dumser/Cuej.

 

A Brebach, le paysage urbain est marqué par de grands entrepôts et les grillages des zones industrielles. Dans la rue centrale qui traverse le bourg, le complexe de fonderie Saint-Gobain PAM Deutschland est incontournable. Le personnel a été divisé par dix depuis les années 1980 et ne compte plus que 320 ouvriers et employés. Pour une responsable, Christine Hauck, «l’entreprise a su s’adapter. C‘était ça ou disparaître». En 1995, un nouveau système de four a remplacé les hauts-fourneaux. Au final, une main d’œuvre moins nombreuse, mais plus qualifiée, davantage de robots et une spécialisation toujours plus poussée. Aujourd’hui, le cheval de bataille de Saint-Gobain, c’est la fonte ductile dont on fait des tuyaux.

Frilosité des investisseurs privés

La clef du succès de l’économie allemande est à chercher auprès de ces petites et moyennes entreprises (PME) tournées vers l’exportation. Chez Saint-Gobain, la part de l’export dans le chiffre d’affaires s’élève à 60%-70%, un taux supérieur à la moyenne déjà élevée des industries manufacturières sarroises. Mais une stratégie basée sur l’exportation comporte aussi des risques. Saint-Gobain a par exemple été affecté par le printemps arabe.

Ainsi, Christian Molitor, directeur commercial des banques «Sparkasse» de la Sarre fait remonter à l’été dernier une plus grande frilosité des investisseurs: «L’insécurité et la méfiance ont gagné les entrepreneurs allemands, et les nouveaux prêts accordés aux entreprises sarroises ont plongé suite à la crise ukrainienne et aux sanctions russes». Autre possibilité plus optimiste selon lui, les entreprises ont puisé directement dans leurs fonds propres.


Saint-Gobain PAM Deutschland a été fondé au pied de cette colline en 1756. Photo Aurore Dumser/Cuej.

 

A Saint-Gobain, le début des années 1990 rime avec la dernière vague dynamique du marché allemand: tout était à (re-)faire dans l’ancienne Allemagne de l’est. Mais depuis, pour Christine Hauck, le marché allemand n’a cessé de se réduire. Notamment parce que l’Allemagne n’investit plus, ou moins, dans les travaux d’assainissement et d’expansion des canalisations d’eau potable. Selon, l’institut Halbach, 17% des canalisations publiques (hors réseau d’eau potable) auraient besoin d’être rénovées.

Les investissements publics, premières victimes de la chasse à l’endettement

La question des investissements publics revient désormais dans le débat public parce qu’elle est au cœur des interrogations sur le modèle allemand. Ces investissements constituaient la seule exception à la Règle d’or inscrite dans la Constitution de 1948 qui interdit à l’État, aux Länder et aux communes de s’endetter. Insuffisamment contraignante, selon la Bundesbank,  la Règle d’or a été renforcée entre 2009 et 2011 pour étendre le verrou de l’équilibre budgétaire aux investissements publics. Sous l’appellation Schuldenbremse, littéralement « le frein à l’endettement », l’État fédéral et les Länder doivent présenter des budgets – structurellement – à l’équilibre: le schwarze Null (zéro noir). Pour l’Etat, l’objectif est atteint en 2014, pour la première fois depuis 45 ans. Les Länder, eux, doivent l’atteindre en 2020. A partir de cette date, ils ne pourront plus faire de nouvelles dettes, sauf conditions particulières et sans solidarité fédérale. Désormais, comme l’explique Eike Emrich, professeur d’économie à l’université de Sarrebruck: «L’emprunteur sera le payeur.»

En revanche, un espoir pourrait naître pour la Sarre avec la redéfinition du Solidaritätszuschlag. Cette taxe de solidarité de 5,5% à été instaurée sur les salaires, les sociétés et les revenus de l’ancienne Allemagne de l’Ouest au moment de la réunification allemande. Ce système a permis des transferts massifs de fonds vers les Länder de l’ancienne RDA et aujourd’hui, il représente environ 14 milliards d’euros par an. Prévu pour 30 ans, ce programme s’achève en 2019 et son avenir fait aujourd’hui débat. Certains anciens Länder de l’Ouest endettés comme la Sarre ou la Ruhr demandent à en bénéficier car ils ont du à la fois subir la fermeture des mines et participer à l’effort fédéral en faveur des Länder de l’est. Il semble très probable que la taxe de solidarité soit conservée, mais l’accord sur sa nouvelle distribution est encore loin. Pour Eike Emrich, c’est là un exemple d’équilibre à trouver entre «solidarité et concurrence», analogue à celui dont on débat à l’échelle européenne.

Le casse-tête budgétaire à l’épreuve des entrepreneurs et des ménages

Ces nouvelles orientations prennent une tournure très concrète pour la Sarre, endettée de près de quinze milliards d’euros, comme pour la ville de Sarrebruck, endettée de plus d’un milliard d’euros. Pour celle-ci, plus de 40 millions d’euros s’évaporent du budget chaque année pour payer les intérêts de ses dettes.


Vue sur Sarrebruck de la Berliner Promenade, projet financé par l’UE, l’Etat allemand, le Land et la ville pour un total de 25 millions d’euros. Photo Aurore Dumser/Cuej.

 

Aujourd’hui, tous les acteurs publics se serrent la ceinture. Le service d’urbanisme de la ville de Sarrebruck a vu son budget de fonctionnement diminuer de moitié en moins de dix ans. Alors pour la responsable Monika Kunz, l’issue est claire: «Nous ne pourrons pas assurer toutes nos obligations.» Le grand projet d’aménagement des rives de la Sarre est au point d’arrêt après la réalisation de la Berliner Promenade en 2010.

Dans ces circonstances, la tension est vive entre les élus et leurs administrés. Les habitants ont obtenu le maintien des piscines municipales. Les économies estimées à un million d’euros annuels seront donc à trouver ailleurs. Du côté de l’université, le budget doit diminuer d’environs 12% sur les cinq prochaines années. Les formations d’ingénieurs seront vraisemblablement privilégiées, soutenues par les industries de la région.

Selon Carsten Peter, responsable des infrastructures de transport et des infrastructures numériques à la CCI, les entreprises souffrent aussi du manque d’entretien des routes, rails et voies fluviales). Selon la commission Daehre, le manque à financer s’élève à 7,2 milliards d’euros chaque années, soit un quart du montant global alloué à ces dépenses. Un problème particulièrement crucial pour la Sarre par laquelle transite «90% du fret ferroviaire entre l’Allemagne et la France», selon la DeutscheBahn.


Les entrepreneurs allemands demandent plus d’investissements publics dans les infrastructures de transport. Photo Aurore Dumser/Cuej.

 

Les CCI de la Sarre et du Land voisin de Rhénanie-Palatinat ont donc mis au point un cahier de doléances. Parmi les projets, l’amélioration de la jonction autoroutière entre le Luxembourg et la Sarre et la construction d’une autoroute desservant l’axe Paris – Sarrebruck – Francfort. Le plan Juncker, qui prévoit de privilégier les investissements dans les infrastructures de transport, laisse dubitatif la CCI sarroise. Mais son volet Énergie intéresse les acteurs locaux. En effet, si l’Allemagne améliore son réseau de transport d’énergies renouvelables, les industries de la région seraient en première ligne. Elles sont déjà incontournables dans la construction d’éoliennes gourmande de métaux. L’entreprise de métallurgie sarroise Dillinger Hütte a investit 175 millions d’euros dans un site éolien en mer du Nord, inauguré en septembre 2014.

Les politiques européennes, et en particulier, monétaires, ont un autre impact dans la société allemande. Les taux d’intérêts extrêmement bas de la Banque centrale européenne (BCE) et ceux quasi nuls de la dette publique allemande se traduisent par une rémunération voisine de zéro (0,2%) pour les épargnants, qui sont souvent les plus âgés. Du coup, les ménages se tournent vers d’autres produits comme l’immobilier, mais aussi la bourse. Pour preuve, les placements en bourse ont augmenté d’un quart en deux ans, relève-t-on au siège des Sparkassen de Sarre. «Les retraites de l’État diminuent et si on ne peut plus compter sur nos épargnes…», remarquent Frieda et Werner Schweig, deux octogénaires très actifs au centre social de Brebach, «alors, il n’y aura plus grand-chose à transmettre aux enfants».

Aurore Dumser

Photo Aurore Dumser/Cuej.

Fiche technique du ministère des finances sur la règle d’endettement de l’État fédéral, 14 juin 2012 (PDF)
https://www.bundesfinanzministerium.de/Content/DE/Standardartikel/Themen/Oeffentliche_Finanzen/Schuldenbremse/2012-06-14-kompendium-fr.pdf?__blob=publicationFile&v=2

Commission Daehre, L’avenir du financement des infrastructures de transport, 1° décembre 2012  (en allemand)
https://www.muenchen.ihk.de/de/standortpolitik/Verkehrsnetze/abschlussbericht

France stratégie, Performances comparées de la France et de l’Allemagne, 1° décembre 2014
http://www.strategie.gouv.fr/publications/france-germany-performances-compared

Dagmar Schackmann

Dagmar Schackmann. Photo Aurore Dumser/Cuej.

Franz-Josef Simon.

Franz-Josef Simon. Photo Aurore Dumser/Cuej.

Christina Gauck

Christine Hauck. Photo Aurore Dumser/Cuej.

Christian Molitor

Christian Molitor. Photo Aurore Dumser/Cuej.

Eike Emrich

Eike Emrich. Photo Aurore Dumser/Cuej.

Monika Kunz

Monika Kunz. Photo Aurore Dumser/Cuej.

Encore une boîte à malices fiscales

Après les «tax rulings», ces accords fiscaux préalables popularisés par le scandale «LuxLeaks», un nouveau champ de bataille se profile à l’horizon dans la lutte contre l’optimisation fiscale et l’érosion de la base d’imposition: les «patent boxes» sanctuaires à propriété intellectuelle.

Pour que l’Irlande renonce dès 2015 à son fameux «double irlandais» , fondement de son système fiscal qui permettait aux multinationales d’échapper à l’impôt, il fallait une raison extrêmement solide. C’est pour cela qu’elle a annoncé dans la foulée l’adoption d’un régime de «patent boxes», emboîtant le pas de son voisin anglais. Signifiant littéralement «boites à brevet», il s’agit d’un régime fiscal favorable aux revenus de la propriété intellectuelle, prévoyant un allégement de l’imposition sur les revenus issus de brevets, mais également, selon les pays, de marques déposées, de dessins etc…

En d’autres termes, c’est l’outil idéal pour attirer les grandes entreprises qui exploitent des brevets et, élargi à la propriété intellectuelle, les multinationales qui vendent à leurs filiales leurs marques déposées ou y transfèrent leurs services de marketing. L’ instrument est de plus en plus plébiscité par les États au sein d’une concurrence fiscale qui tait son nom.

Compromis entre l’Allemagne et le Royaume-Uni

La France a adopté un régime fiscal dérogatoire pour les brevets dès l’année 2000. Modifié en 2005 et 2010, il prévoit aujourd’hui un taux effectif d’imposition de 15%, bien inférieur aux 33,3% officiels de l’impôt sur les sociétés. D’autres pays vont plus loin. A partir de 2007, les Pays-Bas ont mis au point un régime particulièrement agressif et extensif. Réformé et baptisé «innovation box» en 2010, il prévoit une déduction de la base imposable de 80% – pour un taux effectif d’imposition de 5% – des revenus tirés des brevets, marques, modèles déposés, dessins, droits d’auteurs sur logiciels ou noms de domaine internet…

Ses voisins du Benelux, la Belgique et le Luxembourg, l’ont rapidement imitée. Dernière en date à frapper fort: la Grande-Bretagne. Entre autres mesures fiscales, elle a adopté un régime de «patent box», applicable progressivement sur les revenus générés depuis le 1er avril 2013 et qui prévoit un taux effectif d’imposition de 10%. Et le cercle peut encore s’agrandir. La Suisse et l’Allemagne seraient également intéressés par l’adoption d’un tel régime. Cette dernière a toutefois voulu en limiter la portée. A quelques jours du sommet du G20, tenu à Brisbane en novembre dernier, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont établi un compromis: ces régimes devraient être limitées aux licences et revenus de brevets liés à la recherche et au développement effectivement entrepris dans le pays.

La Commission voit désormais ces pratiques d’un œil critique,  y soupçonnant aides d’État et distorsions de concurrence au sein du marché unique. A la Direction générale de la concurrence, un groupe de travail en ausculte actuellement les aspects dommageables et demande à plusieurs États membres de lui fournir plus amples informations. Au Luxembourg notamment. Ce dernier s’est montré coopératif, appliquant par anticipation l’échange automatique d’information. Il s’agit d’une mesure encouragée par l’OCDE et que l’Union souhaite adopter dès le début 2015, comme l’a confirmé le Conseil européen du 18 décembre dernier.

Lutter contre l’érosion de la base fiscale

L’OCDE a en effet mis au point un ambitieux plan de lutte, engageant 44 pays, contre l’érosion des bases d’imposition et le transfert de bénéfices, le plan BEPS (Base erosion and profit shifting). Réunis en novembre dernier à Brisbane,  les chefs d’Etats et de gouvernements du G20 se sont engagés a adopter les mesures qu’il préconise. Le communiqué final reconnaît tout de même que des progrès doivent être accomplis sur la question des «patent boxes», seul obstacle incontournable pour le moment.

Lors ces négociations, on a pu constater une évolution de la position britannique. A plusieurs reprises depuis 2010, le premier ministre David Cameron a clairement exprimé son souhait de voir la fiscalité britannique devenir la plus compétitive du G20. La preuve en est, entre autres, son nouveau régime de «boîte à brevet». C’est pourtant lui qui, aux côtés de la France et de l’Allemagne, a incité les leaders du G20 à soutenir le plan BEPS.

A l’issue du Conseil Écofin du 7 novembre dernier, Michel Sapin, ministre des Finances français, déclarait qu’en matière fiscale, «si on attaque pas au niveau mondial, on tape à côté». Il lui faudra se montrer convaincant, en commençant par l’Europe. Dans une lettre cosignée avec l’Italie et l’Allemagne, il a invité la Commission à proposer une directive anti-BEPS. En réponse, Pierre Moscovici, commissaire européen à la Fiscalité, a préféré ressortir des placards le projet d’une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (Accis). Un projet pourtant bloqué au Conseil depuis sa présentation en 2011. Le planning s’annonce donc chargé en 2015.

Sébastien Duhamel

Photo Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

Site de l’OCDE consacré à  l’érosion de la base d’imposition et aux transferts des bénéfices (tous les documents associés y sont téléchargeables)
http://www.oecd.org/fr/ctp/PlanActionBEPS.pdf

PricewaterhouseCoopers, L’OCDE révèle un plan d’action très attendu pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, 2 octobre 2013
http://www.pwc.com/en_GX/gx/tax/newsletters/pricing-knowledge-network/assets/pwc-locde-beps-plan-daction.pdf

G20, Communiqué du Sommet de Brisbane, 15-16 novembre 2014 (PDF en anglais)
https://g20.org/wp-content/uploads/2014/12/brisbane_g20_leaders_summit_communique1.pdfConclusions du Conseil européen du 18 décembre 2014


La taxe sur les transactions financières dans l’impasse

 

Annoncé depuis 2011, le projet de taxe sur les transactions financières (TTF) tarde à voir le jour. La version actuellement à l’étude est un ersatz édulcoré de la proposition initiale, qui prévoyait de taxer l’ensemble des transactions financières.

 

  • Juin 2011: la première pierre d’un projet attendu

En 2011, le constat est simple pour la Commission Barroso et répond aux attentes des contribuables: pendant la crise, les Etats ont engagé 4.600 milliards d’euros pour renflouer le secteur financier; ce dernier doit être mis à contribution. Il faut qu’il participe à la relance économique et à l’assainissement des finances publiques entrepris par tous les États membres, dont la dette publique a considérablement bondi. Au mois de juin, la Commission prévoit donc, dans sa proposition de budget 2014-2020, l’instauration d’une taxe sur les transactions financières (TTF) comme ressource propre de l’Union européenne.

 

  • Septembre 2011: une proposition initiale ambitieuse

Le 28 septembre 2011, la Commission adopte une proposition de directive sur un système de TTF commun dans toute l’Union. Cette taxe doit, dès le 1er janvier 2014, être prélevée sur toutes les transactions financières, quand au moins une des parties est située dans l’UE.

Selon les estimations de la Commission, son taux de 0,1%, appliqué aux échanges d’actions et obligations, et celui de 0,01% sur les produits dérivés généreront 57 milliards d’euros de recettes annuelles. Ce projet ambitieux enthousiasme Algirdas Šemeta, le commissaire à la fiscalité : «Notre projet est solide et réalisable. Je ne doute pas que cette taxe aboutisse aux résultats attendus par les citoyens européens, à savoir l’apport d’une contribution équitable par le secteur financier.»

 

  • 2012 – 14 février 2013 : face à l’opposition, la France et l’Allemagne impulsent la coopération renforcée

Le Luxembourg et le Royaume-Uni – dont la City de Londres est la principale place financière d’Europe -, soutenus notamment par la Suède, s’opposent au projet de la Commission. Cette taxe est «tout simplement de la folie», selon le Premier ministre britannique, David Cameron. Or, pour agir en matière fiscale, l’unanimité est requise au sein du Conseil. C’est l’impasse. En septembre 2012, onze Etats, pesant près de 90% du PIB de la zone euro, sollicitent la Commission pour qu’elle leur propose d’engager une coopération renforcée, ultime recours prévu par les Traités.

La France et l’Allemagne sont à la manœuvre.  Le Président François Hollande en a fait une promesse de campagne. Il a affirmé – en réponse à 16 ONG militant pour une TTF à des fins de solidarité – vouloir «imposer l’ensemble des transactions, y compris les dérivés». Après  approbation de la coopération renforcée par le Parlement et le Conseil, la Commission présente, le 14 février 2013, une proposition de directive qui reprend l’essentiel de l’ambitieuse proposition initiale de 2011. Elle prévoit désormais des recettes de 35 milliards d’euros, soit de 0,4 à 0,5% du PIB des onze Etats.

 

  • Avril 2013: la Grande-Bretagne passe à l’attaque, les lobbies également, la France recule

Le 19 avril 2013, le Royaume-Uni conteste le caractère extra-territorial de la taxe devant la Cour européenne de justice. Ce recours, bien que rejeté en avril 2014, rappelle la détermination britannique à entraver le projet.  Les lobbies bancaires, français en tête, rentrent en scène à leur tour, appuyés par les patronats français et allemand: la taxe va handicaper les institutions financières des pays qui y sont soumis et affaiblir leur participation à  l’économie.

Dès l’été 2013, alors qu’il est encore ministre français des Finances, Pierre Moscovici parait faire volte-face. Lui qui, en mai, déclarait encore vouloir «aller vite et fort» juge en juillet la proposition de la Commission «excessive». Il entend protéger la place de Paris, très bien positionnée sur le marché mondial des dérivés qui représente 85% des transactions financières, en excluant du projet ces produits, dont l’expansion est pourtant jugés dangereuse. L’adoption de la TTF est désormais espérée pour la fin 2014.

Bercy tente d’imposer un compromis excluant les obligations et les dérivés du calcul de l’assiette. En limitant le champ de la taxe aux actions, l’estimation des recettes générées tombe à 4,6 milliards d’euros.

 

  • 9 décembre 2014: un accord introuvable

Lors du Conseil Ecofin du 6 mai 2014, les ministres des Finances annoncent qu’un accord est trouvé pour… reporter l’entrée en vigueur de la TTF au 1er janvier 2016. Son application se ferait par étapes. Elle ne viserait dans un premier temps que les actions et certains produits dérivés, comme les CDS (credit default swaps), produits d’assurance jugés particulièrement aptes à la spéculation. Mais aucun consensus n’existe quant à la destination et à la répartition des recettes. La France se dit disposée à en affecter 10% à l’aide au développement. D’autres prônent un recentrage sur l’Europe.

Le compromis français ne convainc pas. L’Autriche et la Belgique jugent que cette mouture de la taxe manque d’ambition. Le blocage se confirme lors de la réunion des ministres des Finances du 9 décembre 2014. Michel Sapin, le ministre français des Finances annonce que la poursuite des discussions est reportée à 2015. Signe que la coopération renforcée, envisagée comme cadre pour le plus ambitieux projet d’harmonisation fiscale, n’est peut-être pas une panacée.

Sébastien Duhamel

* Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie, Slovénie.

Commission européenne, communiqué relatif à la proposition initiale d’une taxe sur les transactions financières, 28 septembre 2011
http://europa.eu/rapid/press-release_IP-11-1085_fr.htm?locale=en

Le Conseil de l’Union autorise la coopération renforcée, 22 janvier 2013  (PDF en anglais)
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ecofin/134949.pdf

Commission européenne, proposition de directive du Conseil mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières, 14 février 2013
http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/taxation/com_2013_71_fr.pdf

Lettre des 6 organisations professionnelles adressée à Pierre Moscovici,  2 avril 2013 (PDF)
http://www.amafi.fr/images/stories/pdf/docs/fiscal/courrier%20medef-fbf-ffsa-afg-pe-amafi%20%20m.%20moscovici%20%20ttf.pdf

Commission européenne, site dédié à la taxation du secteur financier
http://ec.europa.eu/taxation_customs/taxation/other_taxes/financial_sector/index_fr.htm