Un nombre croissant de maires décident d’armer leurs policiers municipaux qui voient leurs missions s’élargir. La municipale pourrait bientôt devenir la « troisième force sécuritaire ».
« L’arme létale devrait être obligatoire pour tous les policiers municipaux. Il ne devrait même pas y avoir de débat là-dessus. » Délégué bas-rhinois du Syndicat national de la police municipale (SNPM), Vincent Trapp estime que l’arme à feu est « indispensable ». « Les maires nous envoient de plus en plus sur des missions de police nationale », martèle-t-il.
Un
rapport parlementaire,
présenté le 11 septembre au Premier ministre Édouard Philippe, révèle que 86% des 21 500 policiers municipaux recensés en France en 2016 sont équipés de tonfas, matraques et bombes lacrymogènes. La part d’agents armés de revolvers et pistolets est, elle, estimée à 44%, contre 39% en 2015, précise le rapport de la mission pilotée par les députés de La République en marche, Jean-Michel Fauvergue (Seine-et-Marne) et Alice Thourot (Drôme).
« Le revolver, c’est comme une assurance »
Longtemps habitué à porter une arme à feu à Bischheim, ville du nord de l’Eurométropole de Strasbourg, Vincent Trapp exerce depuis le 1er juillet 2018 à Ingwiller. Dans cette commune de 4 000 habitants, son nouvel employeur refuse le pistolet. « Il me permettrait de me sentir beaucoup plus en sécurité et plus apte à protéger les autres, au cas où on serait attaqué au moyen d’une arme létale », explique Vincent Trapp.
Une éventualité à ne pas omettre, dont peut témoigner Christophe, policier municipal à Schiltigheim. « En effectuant un contrôle routier, j’ai arrêté un individu en possession d’un pistolet chargé et prêt à être utilisé, caché sous son siège, raconte-t-il. Dans des situations pareilles, l’arme peut être très utile. » Pour l’un de ses collègues, qui préfère garder l’anonymat, « dès lors que nous portons des uniformes sur lesquels est inscrite la mention "police", nous devenons des cibles au même titre que les policiers nationaux. »
C’était le cas lors des attentats de janvier 2015, lorsque Clarissa Jean-Philippe, policière municipale à Montrouge (Hauts-de-Seine), a été tuée par Amedy Coulibaly. Cinq ans auparavant, une autre policière municipale, Aurélie Fouquet, avait succombé aux balles d’un commando de braqueurs à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne). « Il fallait sécuriser les agents après les attentats de Charlie Hebdo. Et je voulais lancer des patrouilles nocturnes, surtout en été. Or, la loi exige que les policiers soient armés pour assurer des patrouilles de nuit », détaille l’ex-maire UDI de Schiltigheim, Jean-Marie Kutner. Ce dernier a décidé, début 2015, de doter la police de la commune de revolvers Smith & Wesson, en plus des bombes lacrymogènes, tonfas et bâtons télescopiques qui composaient la dotation usuelle des agents.
Sa successeure, l’écologiste Danielle Dambach, a choisi de préserver la situation telle quelle, en attendant de faire un bilan en vue des prochaines municipales de 2020 : « Schilick n’est pas Brooklyn. On est dans une ville où les choses se passent presque toujours bien. Mais il suffit d’un seul acte grave pour qu’on commence à se dire : "Mince, si ma police était armée, on aurait pu éviter cette situation". »
Vague d’armement
La situation à Schiltigheim et Bischheim, où les policiers municipaux sont dotés d’armes à feu, est loin de refléter la situation générale sur le territoire français. Le rapport Fauvergue-Thourot a ravivé le débat sur cette question. Le document préconise, entre autres, « d’acter le principe que, de base, une police municipale est armée, sauf si le maire prend une décision motivée allant dans le sens contraire ». Cette proposition tend à inverser la logique qui prévaut jusqu’ici et qui laisse aux édiles le choix d’armer - ou non - les agents de leur commune, avant de faire une demande justifiée à la préfecture.
Cet engouement a été « encouragé par le contexte post-attentats de 2015, favorable à la généralisation de l’arme à feu dans les rangs des polices municipales », constate la sociologue Virginie Malochet, auteure d'une thèse sur les polices municipales. « On assiste à une inflexion du débat sécuritaire qui a conduit à une forte légitimation de ces polices. Elles sont de plus en plus considérées, notamment par les services étatiques, comme une police à part entière, mobilisée pour concourir à l’effort collectif de sécurisation », analyse-t-elle.
Si l’initiative des deux députés LREM a été bien accueillie par le Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM) et le SNPM, les représentants des maires se montrent, eux, beaucoup moins enthousiastes. « Les agents dépendent des maires, et ces derniers doivent garder la liberté de les armer ou non. Si un agent ne se sent pas en sécurité sans arme, il n’a qu’à se présenter aux concours de la Police nationale », rétorque Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine) et secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF).
Vers une police nationale bis ?
En plus de « l’atteinte » au principe de libre administration des collectivités locales, l’AMF craint le chevauchement des missions de la police municipale et celles de la Police nationale. « Nous refusons de doter nos agents d’armes à feu, avance Thierry Homberg, premier adjoint au maire PS de Forbach (Moselle). Il faut que l’État remplisse pleinement ses missions régaliennes en matière de sécurité. Nos agents doivent se limiter à des missions de proximité », poursuit l’adjoint à la sécurité.
De par son statut de police administrative, la police municipale a un rôle essentiellement préventif. Sa mission consiste en la prévention et la surveillance de l’ordre public, comme prévu par
l'article L2212-2
du Code général des collectivités locales.
Toutefois, les policiers municipaux peuvent remplir des missions de police judiciaire définies dans
l'article L511-1
du Code de la sécurité intérieure.
Ce texte permet aux policiers municipaux de constater des infractions et de les réprimer. Ils sont chargés notamment d’assurer l’exécution des arrêtés du maire et de dresser, par procès-verbaux, les contraventions auxdits arrêtés. Selon les dispositions de
l'article 21
du Code de procédure pénale, les policiers municipaux peuvent, verbaliser les contraventions aux dispositions du Code de la route. « Les policiers municipaux ont investi les terrains que les forces étatiques abandonnent. Les maires qui développent leurs polices disent vouloir pallier ce qu’ils perçoivent être un désengagement de l’État en matière de tranquillité publique », note la sociologue Virginie Malochet.
À Besançon (Doubs), où le maire reste réticent à l’armement des agents, ces derniers ne cachent plus leur mécontentement. « On va dans des quartiers dangereux où on se retrouve face à des dealers qui, contrairement à nous, sont armés », déplore Daniel Rozzi, policier municipal. Gendarme durant 18 ans, il estime que les policiers municipaux « n’ont plus à rougir » de leurs homologues nationaux, notamment au niveau des exigences de leur formation. « On tire plus de balles d'entraînement que les forces étatiques et on a bien plus de temps et de moyens, car le budget des nationaux est très restreint », affirme un moniteur en maniement des armes, également policier municipal dans le Bas-Rhin.
Le rapport Fauvergue-Thourot conforte d’ailleurs la position de la police municipale en tant que « troisième force sécuritaire » sur le territoire français, après la police et la gendarmerie nationales. Une tendance qui ne passe pas auprès de l’AMF. « Si l’État veut une police décentralisée pour le maintien d’ordre, il doit voter une loi pour ça, créer des polices locales et verser aux collectivités les moyens nécessaires », indique Philippe Laurent.
De son côté, Matignon a réagi, dans un communiqué daté du 11 septembre 2018, aux recommandations du rapport. Édouard Philippe a exprimé son souhait d’engager une concertation autour des propositions sur l’armement obligatoire des agents municipaux et l’ouverture des fichiers de la Police nationale à ces agents. L’exécutif promet « des suites opérationnelles à ces propositions ».
Louay Kerdouss
2. Non-lieu
« J'ai visé le thorax »
Ancien gendarme adjoint volontaire, Gérard* a ouvert le feu sur un homme, mort sur le coup. Il a bénéficié d’un non-lieu mais dénonce le manque de soutien de sa hiérarchie.
Aviez-vous déjà utilisé une arme à feu avant d’entrer dans la gendarmerie ?
J'ai beaucoup manié la carabine dans des compétitions de tir au plomb. Puis j'ai tiré au pistolet, quelques mois avant d’entrer en école de gendarmerie.
Le
rapport
de la Cour des Comptes, rappelle que vous devez tirer soixante cartouches tous les ans. Est-ce le cas ?
Non, je suivais une séance par an, et on devait tirer un minimum de 40 cartouches annuelles pour continuer à porter notre arme de service. Après, en fonction du budget de votre gendarmerie, vous avez plus ou moins de munitions. La fréquence des séances dépend aussi du nombre de stands ouverts. On a énormément de problèmes en gendarmerie pour avoir des créneaux de libres.
Et cela vous paraît suffisant ?
Les gens disent que 40 cartouches par an, ça suffit pour savoir utiliser son arme. C'est faux ! Tirer, c'est comme le vélo. Quand on n'en fait pas pendant longtemps, on hésite et on n’a pas forcément le résultat escompté.
Ce n'est pas rassurant, parce que quand on est amenés à ouvrir le feu, c'est pour viser juste, pas pour mettre à côté. C'est pour ça qu'il y a beaucoup de policiers et de gendarmes qui, comme moi, prennent une licence sur leurs propres deniers.
Sentiez-vous une différence avec vos collègues qui ne s’entraînaient pas au tir en plus des séances obligatoires ?
Oui, clairement. Je faisais partie d’une unité de 23 personnes. Les gens sur qui je pouvais vraiment compter, auxquels je pouvais confier ma vie, il n’y en avait que cinq.
Dans ce métier, il y a des gens réfractaires au fait d'utiliser l'arme : ils ne se voient pas tirer. Mais, ils représentent un danger pour la sécurité des citoyens, pour celle des collègues, et pour la leur.
Je vise le thorax, mais avec le stress, ça part dans le visage
Vous avez été amené à ouvrir le feu en service et la personne est décédée. Vous avez bénéficié d’un non-lieu au titre de la légitime défense. Que s’est-il passé ?
On a pris en charge un détenu pour un transfert. Tout le long, il avait un comportement étrange. Aucune expression. D’un coup, il se jette sur mon collègue et l’agresse. Je dégaine. Je fais une première sommation, mais le détenu frappe l’agent avec ses poings. Je réalise que si je tire, ça ne sera pas
proportionnel à la menace.
J’ai utilisé le tonfa, en vain.
Je décide de ressortir mon arme, pour le dissuader. Le temps de lever les yeux, il est sur mon collègue, dont je n’aperçois plus l’arme. Je me dis que si le détenu s’en est saisi, il peut tirer, nous blesser et s’enfuir. Je fais une dernière sommation. Le détenu ne lâche rien. Je vois dans ses yeux qu’il est déterminé. Je vise le thorax, mais avec l’adrénaline, le stress, la balle part dans le visage.
Dire que la gendarmerie est une grande famille ça reste un beau slogan
Qu’avez-vous ressenti après le coup de feu ?
Les pompiers sont arrivés. J’ai appris qu’il était mort sur le coup. Dans le véhicule de secours, je me suis écroulé. J’étais en pleurs. Il y a eu toute la descente d'adrénaline. J’ai insisté auprès du Samu pour voir un médecin. J’ai exigé de pouvoir parler à une psychologue. Il fallait que j’en parle.
La suite, c’est 48 heures de garde à vue, une enquête de
l’IGGN
et des convocations au tribunal. Et bien entendu, tout ça on ne vous y prépare pas. La décision du policier ou du gendarme de faire usage de son arme, elle se prend en un dixième de seconde. Après, c’est plusieurs années de procédure judiciaire. Moi ça a duré près de quatre ans. Et encore, mon cas a été relativement rapide comparé à certaines affaires.
Au-delà des procédures judiciaires, quelles ont été les conséquences sur le plan personnel ?
Ça laisse des marques, un stress post-traumatique. J’allais toutes les semaines chez une psychologue militaire. Je prenais des calmants pour essayer de dormir la nuit. J'ai été reconnu innocent, on a reconnu la situation de légitime défense. Ce n'est pas pour autant que ça m'a fait plaisir de tirer sur quelqu'un et de lui ôter la vie. Ça n’a rien d’anodin.
Avez-vous reçu le soutien de vos supérieurs durant la procédure judiciaire ?
Non. Je n’ai pas été soutenu, pas à la hauteur de ce que je méritais. En off, on vous dit : « Vous avez bien fait, vous avez évité à votre collègue de mourir », mais quand on vous met au placard aux affaires immobilières, la pilule est difficile à avaler.
Pendant trois ans, pas de nouvelles du commandant d'unité, ni des collègues. À part mon parrain en brigade qui m’a adressé la parole, je pense que les autres ont reçu des ordres. On a beau dire que la gendarmerie est une grande famille, ou que c'est une force humaine, ça reste de beaux slogans.
Est-ce que cela participe selon vous au mal-être des gendarmes ? On a dénombré 17 suicides en 2017 dans la gendarmerie. Un chiffre atteint dès le mois de mai en 2018.
C’est un tout : un manque de préparation, d’effectifs et de la fatigue. Il y a des référents pour plein de choses, mais il n’y a pas assez de formateurs à l’intervention professionnelle. Il y a encore eu un suicide en gendarmerie cette semaine en Dordogne (le 17 décembre 2018). On a signé pour aider la société à vivre correctement, pas pour être porté par six personnes entre quatre planches.
Propos recueillis par Marie Dédéban et Meerajh Vinayagamoorthy
* Le prénom a été modifié.
3. Législation
Petit manuel d'ouverture du feu
La publication de l'article L435-1 du Code de la sécurité intérieure a donné aux forces de l'ordre et aux militaires une plus grande marge de manœuvre pour faire feu.
Bénéficier des mêmes droits que les gendarmes en matière d’ouverture du feu est une ancienne revendication des syndicats de police. Après les attentats de 2015 et l’attaque de deux véhicules à Viry-Châtillon (Essonne), les policiers descendent dans la rue à l’automne 2016 pour exprimer leur colère face au manque de moyens. Un mouvement de contestation qui pousse l’État à réagir. Une commission est mise en place quelques mois plus tard pour plancher sur une
nouvelle
loi
En réalité, il s’agit d’aligner les règles d’ouverture du feu des policiers sur celles des gendarmes. L’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure est instauré par décret le 28 février 2017, dix jours seulement après la création de la commission. Des experts donnent leur avis sur cette réforme législative.
Quelles sont les règles qui encadrent l’ouverture du feu par les forces de l’ordre ?
Comment les agents ont-ils été formés à la nouvelle législation ?
« Pour garantir qu’un texte aussi compliqué soit bien mis en œuvre, il faut une bonne formation,
explique
Olivier
Cahn, directeur adjoint du
CESDIP.
Il faut que les forces de l’ordre aient le texte en tête. Il ne faut pas attendre qu’elles se retrouvent
dans un contexte de peur ou de stress pour qu’elles le prennent en considération », insiste le
juriste.
La formation est un élément central dans l’intégration des conditions d’ouverture du feu par les agents des forces de l’ordre. Le manque de moyens financiers et humains a contraint le ministère de l’Intérieur à opter pour la formation en ligne. Sur une plateforme intranet, les agents ont à leur disposition des vidéos explicatives illustrées par des situations concrètes, chacune suivie de trois questions.
En complément, un rappel des textes est prévu lors de chacune des séances de tir réglementaires, dont le nombre oscille entre deux et trois par an, selon le corps professionnel. Mais
la Cour
des comptes
rappelle que 51% des policiers n’ont pas pu effectuer ces séances en 2017. Là aussi, en raison d’un
problème de temps, de formateurs et d’argent.
Une nouvelle loi et quelques incertitudes...
« Sur le papier, les règles contenues dans l’article L435-1 sont claires et bien définies. Mais il est toujours plus compliqué d’analyser la situation en une fraction de seconde lorsque l’on est face à un danger », nuance un agent de la Police nationale, qui préfère garder l’anonymat.
La loi laisse pourtant une forte marge d’interprétation aux agents des forces de l’ordre. La
CNCDH
estime que le quatrième point (l'ouverture du feu sur un véhicule en fuite) ouvre la voie à un usage inapproprié de l’arme par les policiers, par exemple, dans des situations de courses-poursuites urbaines, puisque « le véhicule pourchassé engendre, par la dangerosité de sa conduite, un risque pour l’intégrité des autres usagers de la route et des passants ». D’après la CNCDH, ce manque de précision pourrait inciter les policiers à ouvrir davantage le feu dans des situations qui ne le justifient pas nécessairement.
… voire des soupçons de déviances
Certaines associations, comme le collectif
Urgence notre police assassine, vont plus loin. Dans une
vidéo
publiée en juillet 2018 par L’Obs,
Amal Bentounsi,
fondatrice du collectif et sœur d’une victime, demande l’abrogation de la loi sur la sécurité publique. « La dangerosité de cette loi, avance-t-elle, est que les policiers l’utilisent pour évoquer la légitime défense, alors qu’ils ne le sont pas [en légitime défense] ». Elle parle même d’un « processus qui criminalise la victime à titre posthume ». À ses yeux, cette réforme serait équivalente à « un permis de tuer accordé aux policiers ».
Sans aller jusque-là, une avocate pénaliste spécialisée dans la défense des policiers concède, sous couvert d’anonymat, qu’il est rare de voir condamner un policier ayant plaidé la légitime défense. « Tant qu’il n’y a pas de faute lourde, ni l’impression que le flic a dépassé ses fonctions, il ne sera pas condamné. Devant les tribunaux, c’est tellement du feeling, et de toute façon le juge sera toujours très clément avec les policiers. »
D’après Marie-France Monéger-Guyomarc'h, directrice de
l'IGPN
,le recours aux armes à feu chez les policiers augmente : + 54% entre 2016 et 2017, soit 394 ouvertures du feu, qui ont toutes été considérées comme de la légitime défense.
Marie Dédéban et Meerajh Vinayagamoorthy
4. Domicile
Arme au foyer
Un conjoint qui rentre du travail avec un
Sig-Sauer SP 2022
à la ceinture : habituel pour Aurélie, Émeline*, et Ève*, qui partagent la vie d’un policier. Toutes les trois se confient sur l’immixtion de cette arme dans leur quotidien.
Aurélie : « Je lui ai dit : "Vas-y, ramène l’arme" »
Aurélie vit en Aquitaine. Elle est mariée à un
CRS
avec lequel elle a deux filles. Elle préside l’association
Femmes des forces de l’ordre en colère
(FFOC).
« Il y a une haine anti-flic grandissante. Mais j’ai un mari qui est très cool, très calme. Rien ne l’inquiète. Il m’a demandé au sujet de l’arme car il n’avait pas vraiment d’avis sur le sujet. Dès que l’autorisation a été donnée par sa hiérarchie, je lui ai dit : "Vas-y, ramène l’arme." C’est rassurant d’avoir un mari qui a la maturité pour savoir utiliser son arme ou pas. J’ai une très grande confiance en lui : je sais qu’il ne va pas sortir son arme car quelqu’un sonne chez nous à la tombée de la nuit ! »
« Chaque fois qu’il rentre, il la stocke dans une mallette sécurisée qu’il ne range jamais au même endroit. Elle est planquée, je ne sais jamais où elle est… L’arme se trouve chez moi entre une semaine et quinze jours par mois, quand il n’est pas en mission ou en vacances. »
« Ma fille sait très bien qu’il ramène son arme à la maison : il l’a à la ceinture quand il rentre – en civil – du travail. On fait comme si de rien n’était. Ça ne l’a jamais perturbée, elle ne s’en rend même pas compte. On n’en parle pas, elle n’en parle pas. Et si elle en parle, on lui répondra. Elle est en cinquième, elle est tout à fait en âge de regarder les informations et de comprendre ce qui se passe. »
Émeline : « Mon compagnon ne garde pas son arme sous l’oreiller »
Pacsée avec un CRS, Émeline réside dans le Nord-Est de la France. Le couple a un fils de sept ans.
« Mon compagnon ne m’a même pas demandé mon avis : il l’a fait. Mon accord ou non, il s’en fout, il l’aurait fait quand même. Il m’aurait dit : "ah, mais je te demande pas ton avis !" On ressent moins la menace, on est dans un village. Certains savent qu’il est CRS, mon fils le dit à l’école. »
« Je ne sais pas toujours si l’arme est là ou pas… Et concrètement, c’est une chose à laquelle je ne veux pas trop penser. Je ne veux pas vivre dans une psychose. Ça ne m’inquiète pas si elle n’est pas là : ça arrive. Il faut avoir réalisé des séances de tir chaque trimestre pour ramener l’arme. Mais à cause des emplois du temps et des manques d’effectifs, ils sont tout le temps sur le terrain et ils n’ont pas le temps de faire ces séances. Ils n’ont alors plus le droit de ramener l’arme. C’est un peu le chat qui se mord la queue : "Ben t’as pas ton arme ? - Ben non, j’ai pas fait mes séances de tir, je peux plus la ramener." »
« J’ai touché l’arme une fois, pour la peser, mais c’est tout. C’est lourd, quand même ! Je n’ai pas ressenti de plaisir, ni de dégoût : c’était vraiment juste pour voir le poids que ça faisait. Et il m’a dit : "T’as pas à savoir t’en servir, ça t’appartient pas." »
« Mon compagnon ne garde pas son arme sous l’oreiller ! On la conserve dans un coffre-fort, qu’on a dû acheter à nos frais, évidemment. Quand il rentre tard le soir et repart tôt le matin, ça lui arrive de la laisser dans la table de nuit à côté du lit. Mon fils entre très peu dans notre chambre et sait que l’arme de papa, il n’a pas à y toucher. On a toujours parlé avec lui, même petit, avec des mots à sa hauteur pour qu’il puisse comprendre les choses. »
Ève : « C’est assez effrayant que ce petit machin puisse tuer des gens »
Ève vit en Alsace. Mère d’un petit garçon, elle a vécu pendant huit ans aux côtés d’un policier dont elle est aujourd’hui séparée.
« Au départ, ça arrivait qu’il ramène son arme car il commençait tôt le lendemain. Mais on n’en parlait jamais : je la voyais, c’est tout. Je n’étais pas du tout à l’aise, je ne regardais ça que de loin. Je n’osais pas trop m’en approcher : c’était un truc qui me faisait flipper. C’est assez effrayant que ce petit machin puisse tuer des gens. »
« Puis les policiers sont devenus des cibles. Il y a eu un basculement après les attentats – notamment
Magnanville.
Ça m’a rassurée qu’il ramène son arme. C’est la seule période où j’ai ressenti ça. J’étais même contente de le savoir armé lorsqu’on sortait. Même si c'est un peu ridicule face à un mec qui a une
kalach.
»
« Ma peur était surtout par rapport à notre fils. J’avais toujours en tête ces histoires américaines dans lesquelles des gamins se servent d’un pistolet qui traîne à la maison et vont tuer quelqu’un d’autre sans faire exprès. Mais chez nous, l’arme était sécurisée dans une mallette et déchargée, on la mettait en hauteur pour qu'elle ne soit pas accessible. Donc a priori, il n’y avait aucun risque. »
Vincent Ballester
* Les prénoms ont été modifiés.
5. Carrières
Carrières armées
Trois hommes. Trois parcours différents où l’arme a toujours été présente. Pour eux, les Tonfa, Sig Sauer, Glock
17
et HK UMP sont, ou ont été, des outils de travail. Des outils qui changent au fur et à mesure des carrières et
des
postes occupés, indispensables à la sécurité de ceux qui les portent.
De flic à douanier
Après trois ans dans la police nationale, Jérôme* a choisi de
rejoindre
les
services de la douane. À 28 ans, il est aujourd’hui contrôleur en brigade de surveillance
intérieure.
Jérôme porte une arme au travail depuis 2011. Trois années de
contrat en tant
qu’adjoint de
sécurité au sein de la Police nationale l’ont familiarisé au métier et au maniement du Sig
Sauer Pro 2022.
« Lorsque j’étais adjoint de sécurité, j’ai rencontré beaucoup de
gardiens de
la paix, de commissaires, mais aussi de douaniers, du fait de la coopération interservices,
raconte
le
jeune homme. Je me suis dit que j’allais essayer de voir si ce secteur me plaisait davantage. »
Ses deux premières années dans la douane, Jérôme les passe en
brigade
de
surveillance extérieure, chargé de contrôler les passagers dans les aéroports. Après une montée
en
grade,
il rejoint la douane
volante, qui intervient principalement le long des axes routiers et autoroutiers. Il
y
est en
poste depuis un an.
Si sa mission principale n’a pas changé, son équipement s’est
adapté à
son
nouvel environnement de travail. Être en poste dans un aéroport ou en bord de route ne requiert
pas
le même
dispositif de sécurité. Dans le second cas, les douaniers sont seuls à assurer leur protection
en
cas
d’attaque armée.
Ce contexte amène Jérôme à porter régulièrement une arme plus
lourde, le
HK UMP : « Ce fusil, nous le prenons seulement lorsqu’on est assez nombreux dans l’équipe
»,
ajoute-t-il. De par son poids et sa taille, le HK UMP représente un fardeau lors d’une fouille
: «
Nous
l’utilisons lors de contrôles au niveau d’un grand péage, quand cela n’empiète pas sur notre
première
mission qui est la recherche de la fraude. »
L’effet tunnel
Le jeune homme n’a jamais eu à ouvrir le feu. Dégainer son arme,
si :
« Cela
m’arrive assez fréquemment. » Par exemple, face à un automobiliste qui refuse d’obtempérer
pendant
un
contrôle et prend la fuite. Dans ce cas, la poursuite est systématique, et la mise en joue du
fuyard
souvent inéluctable.
« Lorsque l’on met quelqu’un en joue, on ressent ce qu’on appelle
l’effet
tunnel : le fait de faire une course-poursuite et de sortir son arme, ça met un coup de
pression
énorme. Le
cœur bat très vite, détaille Jérôme. Lorsqu’on arrive à rattraper le fuyard et qu’on le braque,
on
ne voit
plus ce qu’il se passe autour ». Et c’est là le principal danger : « On ne voit pas s’il y a
d’autres
personnes armées à proximité ou d’éventuels complices. » Pour contrer ce phénomène, les membres
de
l’équipe
doivent s’organiser afin que chacun ait un rôle bien défini : certains fixent l’individu,
tandis
que les
autres restent en retrait pour surveiller les alentours. Une conduite simple à appliquer en
entraînement,
mais difficile à tenir en conditions réelles.
Ce type d’intervention libère évidemment une puissante dose
d’adrénaline. Mais
Jérôme est loin d’y être accro. « Je préfère le moment où, après avoir enquêté sur un individu,
vient le
temps de la perquisition. Là, c’est plus sécurisant, on sait où on va, on a tout prévu. Il y a
moins de
danger pour moi, et pour les autres. »
* Le prénom a été modifié
Photo : Meerajh Vinayagamoorthy
Texte : Camille Battinger
De maton à gardien d'élite
Marc* a la cinquantaine. Avec sa carrure athlétique, on pourrait
facilement lui
en donner dix de moins. L’homme a intégré l’administration pénitentiaire en 1985 et rejoint un
groupe
d’intervention
d’élite en milieu carcéral.
C’est en 2004 que Marc décide de passer le concours des Eris, les
Équipes
régionales d’intervention et de sécurité. Créées un an auparavant, après une vague de
mutineries
dans les
prisons françaises, ces unités armées assurent des missions à l’intérieur des établissements
pénitentiaires
– agression sur personnel, retranchement en cellule, prise d’otage – mais aussi à l’extérieur,
lors
d’extractions judiciaires et de transferts de détenus.
Un changement de service, mais pas seulement : s’il a été formé au
tir
à
Enap, l’École nationale d’administration pénitentiaire, il ne portait presque jamais d’arme à
feu
lorsqu’il était surveillant – pour des raisons de sécurité, au cas où un détenu s’en
emparerait.
Désormais Eris, il a toujours une arme
de poing au ceinturon lorsqu’il part en mission.
Le quotidien des Eris est rythmé par des interventions ou des
entraînements :
séances de tir, de sport de combat et des simulations d’intervention. Le tout lesté d’un
matériel
pesant
entre 15 et 20 kilos, avec lequel il faut courir, apprendre à embarquer dans un véhicule ou
monter
des
étages.
Armes de poing, d’épaule et à létalité réduite
Tout comme la pratique sportive, l’arme fait partie du quotidien de
Marc : «
Il faut constamment manipuler l’arme pour savoir en faire usage, et ne pas avoir peur de s’en
servir. » Des
armes, les hommes des Eris sont amenés à en porter plusieurs. Le Glock
17 leur permet de répondre spontanément à toutes sortes d’agressions armées : « Il
peut y
avoir
des armes en cellule, précise Marc. Il ne s’agit pas forcément de pistolets. » Souvent des
armes
artisanales discrètes, comme un simple bout de verre ou un morceau de miroir.
« Lors des interventions, on va privilégier l’utilisation d’une
arme
intermédiaire plutôt que celle d’une arme à feu. » Ces armes
à létalité réduite, ce sont notamment le lanceur de balle de défense ou le pistolet
à
impulsion
électrique, mieux connus sous les noms de Flashball
et de Taser. Les armes
d’épaule font également partie de la panoplie, mais elles ne sont utilisées que lors
des
transferts, pour leur puissance de feu en cas d’agression armée.
À ce jour, Marc n’a pas eu à faire usage d’une arme à feu en
intervention.
Mais il a déjà été amené à dégainer. « Sortir son arme ne veut pas dire
systématiquement tirer.
Je
peux la
sortir pour donner des injonctions et faire cesser une action uniquement par la menace »,
précise
t-il.
Quant à ouvrir réellement le feu : « Le risque existe à chaque fois que je me déplace ou que je
suis en
mission. J’ai mon arme à portée de main. Je m’en servirai si nécessaire. »
* Le prénom a été modifié
Photo et texte : Camille Battinger
Propos recueillis par Camille Battinger et Phœbé Humbertjean
De militaire à convoyeur
D’abord chasseur
alpin au sein du 7e régiment de Bourg Saint-Maurice, Frédéric est devenu
convoyeur de fonds après une blessure au genou.
La première fois qu’il a touché une arme, Frédéric avait 19 ans.
Il
venait de
s’engager dans l’armée, abandonnant ainsi son projet initial : devenir aide-soignant.
Grâce à un bon niveau en ski et en escalade, le jeune homme
intègre le
7e
régiment de chasseurs alpins, à Bourg Saint-Maurice (Savoie). Pendant ses trois ans au sein de
l’armée, il
découvre une dizaine d’armes, comme le Famas,
la mitrailleuse Mini-mi, le lance-roquette AT4 ou le mortier de 81 mm.
En 2011, suite à une opération du genou, il raccroche l’uniforme
et
devient
convoyeur de fonds. Il abandonne alors les armes de guerre, sans réticence : « Passer d’une
arme à
l’autre,
ça ne fait rien. L’arme s’adapte au risque. On ne va pas équiper les convoyeurs de fonds d’une
mitrailleuse
ou d’un fusil automatique », souligne-t-il.
De l’armée au transport de fonds
Son itinéraire n’a rien d’atypique : « Au sein de l’armée, il se
disait que
les entreprises de convoyage de fonds aimaient bien recruter d’anciens militaires. » Dans son
nouveau
métier, le jeune homme tire profit de sa maîtrise des armes. « Nous avions deux semaines de
formation pour
le port d’arme en arrivant chez les convoyeurs. Pour moi ça allait. Mais pour les gars qui
n’avaient jamais
tiré, ce n’était pas suffisant. »
Pendant un an, Frédéric ne porte pourtant aucune arme, ni gilet
pare-balles. Il déplace des sommes d’argent en voiture banalisée, un poste mal payé et trop
exposé
selon
lui : « Un convoyeur de fonds, même en civil, reste une cible facile. Ce côté insécurité ne me
plaisait pas
trop. Quand il faut sortir et parfois faire de longs chemins, et qu’on transporte plusieurs
milliers
d’euros, c’est bien d’être armé. »
Au bout d’un an, il rejoint une société de convois blindés et
armés.
Mais
c’est la désillusion. Le jeune homme, qui était à la recherche d’action, réalise que le
quotidien
du
convoyeur en manque incontestablement. « Être convoyeur, c’est finalement être un livreur armé
: on
livre
de l‘argent d’un point A à un point B, de façon sécurisée, grince-t-il. Et le travail de
livreur,
ce n’est
pas du tout passionnant. »
Un métier presque ordinaire, bien loin des opérations
militaires
qui restent gravées dans la mémoire de Frédéric. Aujourd’hui, le trentenaire
est
technicien cordiste. Il n’exerce plus un métier armé, mais continue de tirer à la carabine à
plomb. Juste
pour le plaisir.
Photo : Phœbé Humbertjean
Texte : Camille Battinger
Propos recueillis par Camille Battinger et Phœbé Humbertjean