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1. Saint-Étienne

Saint-Étienne respire encore la poudre

Longtemps capitale de l’armurerie française, Saint-Étienne a souffert de la fermeture en 2001 de la Manufacture d’armes. En 2014, le Famas, le fusil d'assaut français qui était produit dans la ville depuis 1975 a été remplacé par une arme fabriquée en Allemagne. Aujourd’hui il ne reste plus qu’une dizaine d’armuriers industriels et artisanaux dans la Loire. Reportage dans l’entreprise Verney-Carron et chez Jean-Charles Savin.

Que reste-t-il de la capitale des armes ?

Une brève histoire des armes dans le Forez

L'histoire entre Saint-Étienne et les armes se compte en siècles. La Manufacture royale a été créée en 1764 afin de fournir l'armée française, des mousquets sous Louis XV jusqu'aux blindés dans les années 1970. Entreprise privée, Manufrance a, quant à elle, produit les fusils de plusieurs générations de chasseurs. Ces deux firmes emblématiques reflètent les soubresauts de l'industrie des armes stéphanoise.

Manufacture Royale VS Manufrance

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L'industrie de l'armement, qui faisait battre le cœur de la ville, a perdu son lustre d’antan. « Très peu d'acteurs sont restés, ce qui nous rend un peu triste », regrette Bertille Seive, une responsable de la Fédération professionnelle des métiers de l'arme et la munition de chasse et de tir (Fepam). Des industries florissantes du XIXe siècle et des chaînes de production du XXe, il ne reste que quelques survivants : Chapuis, Verney-Carron et Bretton-Gaucher. « Et ça reste de la production semi-industrielle. À coté, il n'y a que quelques artisans confidentiels », indique-t-elle. Seule une petite dizaine d'armuriers artisanaux sont encore domiciliés à Saint-Étienne.

Directrice de Manufrance depuis deux ans, Carole Tavitian pense qu'il est possible de rebondir. « Là on redémarre ! », s'enthousiasme la commerciale formée à HEC. On est loin de la grande époque durant laquelle l'entreprise employait 4 000 personnes. Aujourd'hui elle ne compte que trois employés et la vente se fait exclusivement sur Internet. La toute nouvelle gamme Manufrance est disponible depuis septembre seulement : des produits de chasse, nature et maison, fabriqués par d'autres entreprises et sur lesquels Manufrance appose sa marque.

La cheffe d'entreprise espère bientôt nouer des partenariats avec des armuriers pour produire à nouveau les fusils Falcor, Simplex ou Robust, qui ont fait la renommée de Manufrance. « Dans le futur on peut rêver que Manufrance redevienne connu et reconnu, espère Carole Tavitian. Beaucoup de gens nous écrivent des lettres pour nous encourager. » L'industrie de l'arme essaye de reprendre pied dans ce qui fut son berceau, porte le souvenir encore vivace de la capitale des armes.

Texte : Jeanne Meyer
Vidéo : Julie Paquet, Konstantin Manenkov et Quentin Monaton
Infographie : Justine Hanquet
2. Armurier

Soigner les armes et bichonner les clients

50 ans que Jean-Jacques Sipp, armurier et fils d'armurier, tient les rênes de son magasin, rue du 22-Novembre à Strasbourg. L'artisan navigue de son établi où il répare les armes, à la boutique où il conseille ses clients.

Jean-Jacques Sipp dans son atelier.
Jean-Jacques Sipp est fier d'avoir formé 27 apprentis au long de sa carrière. Quentin Monaton

Les armes tapissent les murs, soigneusement alignées sur des étagères en bois clair, sous vitrine et sous clé. Les plus belles sont exposées à l’arrière, dans un salon privé que seuls les clients privilégiés connaissent. Le patron, Jean-Jacques Sipp, 80 ans, ne se lasse pas de contempler son nom affiché sur l’enseigne : « Si je n’en étais pas fier, je n’aimerais pas mon métier. »

En s'enfonçant dans le magasin élégamment agencé, on découvre le vestiaire du chasseur. On y trouve de quoi habiller de pied en cap toute la famille, dans un style dandy forestier. À côté des riches étuis pour les armes et des pantalons de toile ou de tweed, des paniers à pique-nique, des besaces, et quelques livres animaliers. Moquette ocre et mobilier en bois verni, c’est le territoire de Josiane Sipp. Impeccablement coiffée, rouge à lèvres et foulard assorti, elle travaillait dans la haute couture avant de s’associer avec son époux. On sent la touche distinguée. Un air de gentleman chasseur habite les lieux. Armurerie familiale oblige, Audrey, l’une des deux filles Sipp, travaille également dans la boutique. « Moi, je vends l’arme, et elles, elles vendent l’accessoire », assène le patriarche, décrivant la répartition des tâches au sein de la boutique.

Désigné armurier

Ce n’est pas par passion pour les armes que Jean-Jacques Sipp a embrassé le métier. « Je suis un enfant de la balle », glisse-t-il, en savourant son jeu de mots. À 14 ans, son père le destine à la formation d’armurier : « Je voulais devenir dentiste, puis électronicien. Mais à l’époque, on ne choisissait pas ce qu’on voulait faire. » Au bout d’un an de formation, c’est le déclic, et le début d'un véritable engouement. Pour parfaire son apprentissage, il voyage pendant dix ans chez différents armuriers, français et européens. Il y apprend de nouvelles techniques, avant de rentrer en Alsace, pour épauler son père. Il prend la tête du magasin en 1973.

La passion a toujours guidé son travail. Il l’assure, c’est ce qui doit animer l’artisan au quotidien. « La personne qui travaille le matin uniquement parce qu’il y a un salaire le soir ne sera pas très bonne à la tâche ». Et le travail a porté ses fruits. L’établissement est réputé dans toute la France, il a vu défiler des chefs d’État français et allemands. Et à l'heure du numérique, son savoir-faire d’artisan armurier se révèle être sa seule arme.

Armes sur le web : « la fausse bonne idée »

« Ce serait faux de dire qu’on ne subit pas la concurrence d’Internet. Les armes semblent moins chères sur le web, mais les clients sont souvent perdants. » L'armurerie Sipp a appris à tirer avantage de cette redoutable concurrence en ligne. « Souvent, lorsqu’ils achètent sur Internet, les clients sont surpris de ne pas recevoir ce qu’ils pensaient commander, explique Jean-Jacques Sipp. Il leur manque un étui, des munitions… Les vendeurs en ligne ne sont pas bêtes ! Ils appâtent le client avec une arme à bas coût, mais font des bénéfices énormes sur les accessoires. »

Il y a un climat plutôt hostile contre les armes en France.

Maxime Spehner, son employé, donne l’exemple d'un acheteur ravi d’avoir acquis une carabine neuve moins chère sur le web. « Tous les réglages étaient à refaire et j’ai dû entièrement remonter son arme. Au final, l’argent qu’il pensait économiser, il l’a largement dépensé en recalibrage. » Si les deux armuriers ne sont pas rancuniers envers leurs clients infidèles, ils s’agacent tout de même du comportement de certains, qui viennent demander des informations, se renseigner plusieurs heures sur l’arme idéale, et l’achètent ensuite sur le web.

À ces ventes par correspondance qui affectent les armureries familiales s’ajoute la baisse du nombre de chasseurs en France. Jean-Jacques Sipp voit plusieurs facteurs pouvant expliquer ce désintérêt. « Les budgets sont plus restreints, les chasseurs vieillissent, on sent qu’il y a un climat plutôt hostile contre les armes en France, et surtout, les jeunes se désintéressent de la chasse, ils préfèrent d’autres activités… »

Un patron sans successeur

L’enseigne Sipp, qui a employé jusqu’à douze personnes, a réduit la voilure au fil des années. Jean-Jacques Sipp est lucide. « J’ai 80 ans, et si je devais arrêter l’affaire, je ne veux pas avoir à licencier beaucoup de personnes. Alors je n’ai pas remplacé ceux qui sont partis. » Personne pour reprendre le flambeau dans la famille Sipp. Le patron en est conscient, et le constat l'attriste. « Oui...ça me fait quelque chose. J’aimerais que l’enseigne continue, c’est tout. »

Maxime Spehner
Maxime Spehner est sorti de l'école d'armurerie de Liège en 2016. Quentin Monaton

Maxime, l’actuel bras droit de Jean-Jacques Sipp, en est au début de sa carrière et n’envisage pas encore d’avoir sa propre boutique : « Il me reste beaucoup de choses à apprendre. L’essentiel, c’est de me construire un réseau de clients. » Être un bon armurier ne suffit plus. Il est maintenant indispensable de maîtriser les codes de la communication et d’avoir un très bon contact avec les clients. L’ancien élève de l'école de Liège en Belgique ne se fait pas de souci pour son avenir. « Il y aura toujours des chasseurs et des tireurs, ils auront toujours besoin d’armuriers pour les conseiller et réparer leurs armes. »

Jeanne Meyer et Julie Paquet
3. Marché noir

Dans les coulisses du trafic

Silouhette
Sarah Nedjar

Selon une estimation de la police judiciaire, 30 000 armes à feu circuleraient illégalement en France. Un chiffre à prendre avec précaution, puisqu'il se base sur le résultat des perquisitions des forces de l'ordre. Ce marché de l'ombre répond à ses propres codes. Enquête sur l'un des trafics les plus juteux du marché noir.