Portraits de chasseurs
Pose ton Gun
Rencontre avec le rappeur Mous BW et le beatmaker (compositeur) Chafik Marzouq alias Machakill. Ils sont tous deux issus de la scène rap strasbourgeoise. Dans certains de ses textes et clips, Mous BW exhibe les armes à feu. L’artiste se sert de cet artifice pour dénoncer certains aspects de la vie de quartier et l’usage des armes dans la société.
Grosses voitures, armes, femmes aux postures lascives et paroles trash : le décorum du rappeur évolue mais les codes persistent. Symbole d’une réalité parfois violente ou objet de fiction, les armes à feu sont mises en scène dans de nombreux clips de rap. Entretien avec la philosophe Benjamine Weill et le sociologue Louis Jésu.
Pourquoi les armes à feu sont-elles mises en avant dans certains clips de rap ?
Louis Jésu, sociologue travaillant sur les quartiers populaires et les disciplines du hip-hop:
Il est important de préciser que la question des armes à feu concerne un certain type de rap. On peut
notamment les retrouver dans les clips d’un style particulier, dit rap ghetto, qui met en scène la culture
des rues de façon un peu folklorique, à travers le trafic de stupéfiants ou les braquages. Les actes
délinquants y sont exacerbés en jouant sur un imaginaire qui associe la vie de gangster à celle du rappeur.
Dès leur plus jeune âge, certains rappeurs en font des tonnes pour vendre des disques. Voitures de luxe,
belles femmes, armes, ils ont bien compris qu’il fallait forcer le trait pour plaire à leur public. Mais
ces représentations sont de l’ordre de l’exotisme social, de l’attirance pour celles et ceux qui sont
étrangers à cet univers. Quand on regarde un film d’Al Pacino, par exemple, on découvre une certaine façon
de vivre, de manger et de parler qui retient l’attention. Dans les clips, c’est la même chose. Finalement,
si on parle beaucoup des clips, où les armes à feu sont exhibées, c’est parce qu’on a tendance à retenir ce
qui est le plus folklorisé et ce qui nous intrigue. Mais cela ne peut pas être généralisé à tous les styles
de rap.
Benjamine Weill, philosophe spécialiste de la culture hip-hop et questions liées au travail social: Il y a une fascination par rapport à la culture hip-hop américaine. Aux États- Unis, porter une arme est légal alors que ce n’est pas le cas en France. La culture hip-hop française a comme grande sœur la culture américaine. Les rappeurs français ont tendance à mimer les Américains. L’utilisation des armes répond à une demande pour être dans les clichés de la culture rap et espérer cartonner médiatiquement. C’est l’industrie musicale qui pousse dans ce sens là, pas le rap en lui-même.
Ces représentations correspondent-elles à une réalité des quartiers populaires en France ?
B.W.: Qu’il y ait du trafic d’armes dans les quartiers, ce n’est pas nouveau, ni récent. On sait que l’économie souterraine existe dans les quartiers. Mais cela reste malgré tout cantonné au grand banditisme. Dans les quartiers, ce qu’on observe depuis un certain temps, c’est la fascination pour le borderline ou les zones grises, à la limite de la légalité. Il y a une tentation de transgression liée au fait d’avoir des conditions d’existence précaires. Ce n’est pas pour autant qu’il faut assimiler les classes populaires aux classes dangereuses. Le médiatique met l’accent là-dessus, en signifiant que la violence est toujours du côté des quartiers populaires. C’est là qu’on y trouve des armes, il serait donc dangereux d’y aller. Mais ce n’est pas la réalité. Ce n’est pas éloigné, mais c’est une image largement fantasmée.
L.J.: Soyons un peu honnête, dans les quartiers populaires en France, ce n’est pas comme aux États-Unis. Les gens ne roulent pas avec des grosses cylindrées, armés de Kalachnikov. Ils ont rarement des liasses de billets de 500 euros, plein de femmes à leurs pieds et des flingues. On regarde ces clips comme on regarde un bon film de gangster. Les clips fonctionnent sur les mêmes ressorts artistiques que ces films. Si certains peuvent être habitués à cette culture, à cette violence dans la vraie vie, ils restent une minorité. Parmi les rappeurs, on trouve rarement des figures du grand banditisme, il s’agit plutôt de petite délinquance. On ne peut pas dire que ces clips soient révélateurs de la vie de banlieue ou de la rue. Ils en sont plutôt une version caricaturale.
Ces clips sont-ils une forme d’expression essentiellement virile?
L.J.: Si l’imaginaire de la vie de gangster parle aux jeunes garçons des quartiers populaires, c’est parce qu’il offre un espace où on peut encore exprimer certaines formes de justice sociale et de virilité populaire. Aujourd’hui, il existe très peu d’espaces sociaux où on peut encore affirmer cette virilité. Le modèle caricatural de l’homme patriarcal est de plus en plus remis en question. Dans le rap ghetto, au contraire, faire le dur reste valorisé. Les jeunes hommes des classes populaires n’ont pas besoin d’effacer leur virilité pour réussir. Ils peuvent réinvestir ce type de comportement pour percer, comme dans certaines pratiques sportives telles que le foot ou la boxe.
B.W.: C’est l’expression d’une certaine virilité, pas forcément masculine. J’observe une scission dans le rap autour de cette question. D’un côté, il y a une surenchère des caricatures comme celle de l’homme noir. On la retrouve chez Booba, qui est un peu le mythe dans l’imagerie viriliste de l’homme noir descendant d’esclaves. Il s’agit d’une représentation biaisée où le rappeur est représenté comme illettré, tout en muscles et dans la violence. C’est une représentation colonialiste où l’exotisme est forcément excitant et à la fois dévalorisant. En même temps, il y a une ouverture vers l’expression de l’intime masculin et des souffrances masculines. Grâce à PNL, les clips ont beaucoup changé. Avant on n’imaginait pas des clips à l’extérieur des quartiers et sans lascars. Aujourd’hui, on peut commencer à faire des clips différents, scénarisés, dans des paysages divers. On est plus sur l’imagerie classique du rap et on sent bien que les clichés ont évolué. Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’ils sont portés par ceux qui essaient de s’en défendre. On commence à sortir le rap de la cité avec l’idée de ne pas oublier d’où il vient.
Autre regard sur les armes à feu avec Amina et Anne, deux rappeuses strasbourgeoises réunies autour du projet Art & Miss. Entre théâtre et hip-hop, elles défendent un rap à leur image. L’arme à feu ne figure ni dans leurs textes ni dans leurs clips. Une distance assumée.
Sonia Boujamaa et Noor Oulladi
Trois femmes au stand
L'Alsace compte plus de 9 000 tireurs sportifs. Anne, Carole et Jacqueline, trois femmes de générations différentes pratiquent cette activité en famille.
Hugues Senger, président de la Ligue de tir d'Alsace : « Démystifier l’arme »
De haut niveau ou de loisir, le tir est une discipline sportive méconnue. Pourtant, en France, elle est pratiquée par 224 000 licenciés. Hugues Senger, président de la Ligue de tir d’Alsace, insiste sur la nécessité d’assimiler les règles de sécurité.
Le tir sportif peut-il être considéré comme une pratique dangereuse ?
L’arme en elle-même n’est pas dangereuse si elle est maniée correctement. Il faut donc éduquer le tireur pour qu’il maîtrise parfaitement les règles de sécurité. C’est comme pour la conduite. Est-ce la voiture qui est dangereuse ou le conducteur qui téléphone au volant ? Pour conduire, il faut apprendre le code de la route, prendre des leçons. Chez nous, c’est exactement la même chose. Lorsqu’on initie les enfants au tir sportif, il faut commencer par leur apprendre les règlements sportifs et à respecter un comportement.
Quels sont les bons gestes ?
La première chose consiste à démystifier l’arme, tout en tenant compte des ses dangers potentiels de cet objet. En école de tir, le premier niveau d’apprentissage est consacré exclusivement au maniement en sécurité : toujours diriger son arme vers la cible, ne jamais la diriger vers quelqu’un, toujours la considérer chargée. Ce sont les trois règles de base de la sécurité à assimiler, avant même de penser à la technique et au perfectionnement.
Pour garantir une pratique sécurisée du tir, faut-il contrôler les motivations des tireurs ?
Il faut toujours veiller à ce que les tireurs soient en accord avec l’esprit de ce sport. Nous ne sommes pas des clubs paramilitaires. Pour tirer, il faut aimer les armes. Par contre, si la passion pour elle prend une proportion incompatible avec la philosophie du tir sportif, cela ne peut pas fonctionner. Une personne intéressée par le tir qui insiste davantage sur la détention de l’arme ou sur le sentiment de sécurité qu’elle pourrait lui procurer, c’est quelque chose qui nous déplaît énormément. À la Fédération française de tir, nous prônons un usage strictement sportif et compétitif.
Le tir sportif en Alsace
Texte : Johan Cherifi et Noor Oulladi
Infographie : Justine Hanquet
Terrain miné pour les collectionneurs
Souvent passionnés d’histoire, les collectionneurs amassent des objets de guerre, de chasse ou d’apparat dans le but de préserver le patrimoine. Mais dans le marché des armes anciennes, ils se heurtent à des contrefaçons : un piège parfois difficile à éviter.
« La première arme que j’ai achetée, c’était un revolver Bulldog. Je l’avais trouvé dans une brocante. » Yannick Yax collectionne les armes anciennes depuis 2011. Pour ce fils de militaire, ce n’est pas un hasard. « Mon père est un féru d’histoire. Petit, je regardais beaucoup de documentaires avec lui. » Le germe de sa passion pour les guerres mondiales.
Ce Mosellan d’origine possède aujourd’hui une vingtaine d’armes anciennes, françaises et allemandes. Chacune évoque son fragment d’histoire. « Je tiens particulièrement à ce Lebel, dit-il en montrant le fusil emblématique des Poilus. C’est un trophée de guerre de mon arrière-grand-père. En tant que Mosellan, il était dans l’armée allemande et l’a ramené des combats. » Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’arme a été cachée dans la ferme familiale.
Au lendemain du conflit, le grand-père de Yannick Yax a récupéré le fusil et son oncle en a ensuite hérité. « Dans ma famille, ça n’intéressait personne. J’ai demandé à mon oncle ce qu’il avait gardé de mon grand-père… je suis reparti avec un carton plein. »
Préserver les objets d’époque, c’est une manière de ne pas oublier leur mémoire.
Armes, casques, gourdes, uniformes, il est toujours en quête d’objets militaires pour enrichir sa collection. Chacune de ses pièces s’intègre à un ensemble cohérent. « Quand j’ai acheté mon revolver, c’était pour équiper un mannequin des Forces françaises de l’intérieur. Puis je me suis dit : “Je mettrais bien un fusil Mauser sur un mannequin de soldat allemand”. »
De par ses origines géographiques, Yannick Yax a toujours baigné dans un milieu historiquement riche. « Il y a eu de tout dans ma famille : des malgré-nous, des combattants de l’armée française, des résistants. Préserver les objets d’époque, c’est une manière de ne pas oublier leur mémoire. »
À sa petite échelle, Yannick Yax poursuit une véritable quête : préserver un pan de l’Histoire. « Les collectionneurs ne montrent pas toujours leurs pièces, mais en les conservant, ils entretiennent eux aussi le patrimoine, comme les musées. » Certains d’entre eux ont même permis d’alimenter les collections muséales, destinées avant tout à l’exposition. Au Musée historique de Strasbourg, la majorité des armes à feu proviennent de dons ou de legs.
L’arme, le tableau d’une société ?
« Il y avait un monsieur, Fritz Kieffer, qui, enfant, a assisté au siège de Strasbourg de 1870, raconte Monique Fuchs, conservatrice de l’établissement. Cet événement en a fait un francophile convaincu. Il a alors décidé de collectionner des armes et d’autres objets comme des uniformes d’Alsaciens qui ont été au service de la France. » Faute d’héritier, sa collection a été léguée à la Ville puis exposée à partir de 1934 au Musée historique.
Ce lieu emblématique de Strasbourg s’attache à retracer l’histoire de la capitale alsacienne depuis le Moyen Âge. Si les armes ne sont pas le cœur de la collection de ce musée, elles renseignent sur la vie de la cité à différentes époques. « On expose des armes de chasse car en 1761, les artisans strasbourgeois n’avaient plus le droit de créer des armes à feu pour le compte de l’armée. Ils ne fabriquaient plus que des armes de chasse. Ça illustre un aspect de la vie de Strasbourg », explique Monique Fuchs.
Aux yeux de Christophe Pommier, adjoint à la directrice du département artillerie au musée de l’Armée aux Invalides, « les armes sont des objets de collection particuliers à cause de leur finalité : tuer. Mais, en tant que témoins de l’histoire de la guerre, des techniques, de la métallurgie ou de l’industrie, ce sont des œuvres à part entière ». Et comme toutes les œuvres, l’un des enjeux est de parvenir à une évaluation juste de leur prix.
« La valeur est connue des collectionneurs, explique Yannick Yax. Un simple poignard peut coûter plus cher qu’un fusil ! » Plusieurs critères permettent l’estimation d’une pièce. L’état général de l’arme est prépondérant , mais entrent également en ligne de compte son ancienneté, sa nationalité, son fabricant ou le régiment dans lequel elle a été utilisée.
Du fait de sa rareté outre-Atlantique, un fusil Mauser, d’origine allemande, coûtera plus cher aux États-Unis qu’en France. Une arme qui a appartenu à la SS vaudrait plus qu’un modèle d’un membre de la Wehrmacht. « Les poinçons certifiant l’origine de l’arme sont primordiaux. Sans ça, elle perd 90% de sa valeur », explique Gérard Simon, 76 ans, qui parcourt les bourses aux armes toute l’année.
Pour s’y retrouver dans cet univers très codifié, les collectionneurs se plongent dans des ouvrages spécialisés, se documentent sur Internet, échangent avec d’autres passionnés, dans les bourses ou sur les forums. « On ne peut pas se lancer là-dedans si on n’a pas la connaissance de la valeur, insiste Gérard Simon. C’est un marché où il y a beaucoup d’arnaques. »
L’ombre des faussaires sur le marché
Le collectionneur aguerri confie s’être fait avoir à ses débuts : « J’avais acheté un pistolet à silex dans une vente aux enchères à un bon prix. Après l’avoir observé de plus près, j’ai compris qu’il s’agissait d’un pistolet à percussion, plus récent, qui avait été retransformé en pistolet à silex car ça vaut bien plus cher. »
Les faussaires ne vont pas toujours jusqu’à modifier les mécanismes de l’arme. Parfois, une réplique est écoulée comme une arme d’époque. « Pour un pistolet an XIII datant du Premier Empire, il faut que l’arme soit étiquetée “pistolet an XIII époque Empire”, assure Gérard Simon. On voit souvent des mentions comme “de type an XIII” ou “au modèle an XIII” qui n’ont aucune valeur. Ça ne garantit pas l’époque, c’est une astuce pour vendre l’arme plus chère. »
Dans sa boutique, située dans le marché aux Puces de Saint-Ouen, Serge Davoudian déplore ces malhonnêtetés. « C’est à cause de ça que j’ai arrêté de collectionner. On m’a refilé une paire de pistolets de mauvaise marque. Ça m’a dégouté. » Aujourd’hui, il propose quelques armes anciennes de luxe placées dans des vitrines à côté d’autres objets rares, comme des éventails ou des nécessaires de voyage. « Le marché est pourri par les faussaires. Les gravures d’armoiries, par exemple, sont très simples à reproduire. C’est presque indétectable. » Le professionnel dénonce ces pratiques : « Certaines armes anciennes sont tellement recherchées que des vendeurs vont jusqu’à fabriquer des répliques. »
Conserver des pièces authentiques devient alors un enjeu majeur pour ces passionnés. S’ils souhaitent avant tout sauvegarder le patrimoine, « le but ultime c’est de partager et transmettre », confie Yannick Yax. Lors de la commémoration du 11 novembre, il a exposé sa collection dans son village en expliquant l’histoire de chaque arme parce que « tout collectionneur devrait porter son savoir au public ».