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Entre casinos, bars à chicha et boîtes de nuit, la vie nocturne est réputée très animée de l’autre côté du Rhin. Pour vous, nous sommes allés voir ce qu’il en était réellement.

Tonight is the night. Un an après notre installation à Strasbourg, nous nous laissons enfin tenter par la perspective d’une soirée sulfureuse à Kehl. A nos yeux, cette cité frontalière se résumait jusqu’ici à une ville lambda, bon marché mais pas très sexy. La fièvre kehloise, les étudiants que nous sommes en avions entendu parler comme d’un paradis pour jeunes Français en quête d’un samedi arrosé. Mais nous n’avions jamais franchi le pas. Récit d’une nuit pleine de surprises dans la petite France qu’est devenu Kehl.

23h36 : Notre petit groupe de trois arrive à l'arrêt Landsberg, dans le quartier de Neudorf. Quentin, fêtard de la première heure, s’est joint à notre duo de journalistes de l’extrême pour vivre l’expérience. Tous les trois, nous avons misé sur une chemise. Pas question de se faire recaler. Le prochain tramway de la ligne D en direction de l’Allemagne n'arrive que dans neuf minutes. L’attente aurait pu être bien plus longue.

 

On ne boude pas notre plaisir et on décapsule les trois dernières Heineken qu'il nous reste. Entre deux gorgées, nous établissons un plan de bataille. Dans un premier temps, nous irons découvrir l'un des casinos de la ville. Ceux-là même qui attirent chaque week-end de nombreux Français. On se rendra ensuite à la soirée « Cartel » du Gold Club, grosse boîte de nuit kehloise au fort accent français. Ambiance de folie en vue, puisque l'évènement Facebook annonce sobrement : « Le Cartel se réunit pour une soirée sans limite. Moustache, chemise hawaïenne... I feel like Pablo. Quelques latinas et je brûle les billets like Pablo. La nuit sera blanche comme la coco des narcos. » Le ton est donné.

 

23h45 : Le tram arrive, bien rempli malgré l’heure tardive. Quelques rares personnes en descendent tandis que nous montons : décollage pour Kehl. Les rames sont pleines de filles tirées à quatre épingles. La gent masculine a opté pour le demi pot de gel dans les cheveux avec si possible t-shirt ou chemise bien moulants. La moyenne d’âge tourne autour de 18-19 ans. Jusqu’ici, tout le monde est plutôt calme. Chacun monte doucement en pression avant la longue soirée qui s'annonce. Il ne reste plus que quelques minutes avant d'atteindre la terre promise.

 

23h52 : Terminus. Le tram se vide de ses entrailles à la gare de Kehl. De rares personnes s'éparpillent en direction du centre-ville mais le gros de la troupe se dirige instantanément vers le Gold ou les lounge bars alentour, situés à dix minutes à pied de la gare. Bien décidés à décrocher le jackpot au casino répondant au doux nom de Merkur-Spielothek, nous marchons vers la Marktplatz.

 

00h04 : Petit arrêt à un distributeur : les Allemands ne sont pas friands de la carte bleue. La machine propose, en français dans le texte, de nous « débourser » de quelques euros. Les rues sont désertes, la ville complètement morte. On se dirige à présent vers le casino, à deux minutes de la place, tout excités par la perspective de déambuler dans ce genre de temple de la perdition, comme dans un Scorsese.

 

00h12 : Grosse erreur stratégique. En bons professionnels, on n’a pas regardé les horaires : l'établissement n'est ouvert que de 6h du matin (!) à minuit. Un peu désemparés, on ne se laisse cependant pas abattre. Que faire ? Les machines de jeu sont présentes dans à peu près tous les estaminets allemands. On décide alors de trouver l'un de ces bars à chicha, qui sont légion en Allemagne. Le genre de rade où deux mois de salaire peuvent passer à la trappe en deux heures sur une machine à sous.

 

00h24 : Après avoir marché quelques minutes et passé notre tour sur deux bistrots qui paraissent un peu trop craignos, nous tombons nez à nez avec le Zizou Sportsbar. Oui, un bar à la gloire de ZZ, en Allemagne. Sur la devanture, derrière le nom du bar en lettres néon, une photo grandeur nature de Zinédine Zidane. L’idole du peuple se tient fièrement, le regard au loin, comme prêt à nous coacher pour ce match nocturne. Notre chauvinisme français primaire prend un bon coup de boost. Il n'en faut pas plus pour nous inciter à nous engouffrer dans ce bar à chicha-casino hybride un peu étrange. A l’intérieur règnent fumée et forte odeur de fruit non identifiée. Du gros rap allemand vocodé qui ne fait pas dans la dentelle résonne dans les deux salles.

 

À notre plus grand désarroi, les machines à sous sont toutes occupées. Au nombre de trois, elle ne sont prises que par deux gonzes. Mais l’un d’entre eux, Karim*, joue sur deux tableaux en même temps. Pour patienter, nous commandons chacun une bière et lançons une partie de Puissance 4, une première depuis un moins une dizaine d'années. Ici déjà, les Français sont majoritaires : en plus des deux hommes aux Spielmachinen, trois autres sont assis à la table derrière nous, en train de savourer un narguilé en discutant de tout et de rien. Après quelques parties bourrées de suspens, Karim nous libère une machine à sous. Grand seigneur, Marlboro au bec et café noir dans la main gauche, il nous explique le fonctionnement du jeu.

 

Ce samedi 13 octobre, les enfants du quartier ont pu jouer aux jeux vidéo à la médiathèque du Neuhof.

Ouvrir le dimanche, envers et contre tout

Le Match de la Robertsau n’en est pas à son coup d’essai. En janvier 2017, le supermarché de 1900 m² avait ouvert un dimanche matin contre l’avis de la Ville qui interdisait l’activité dominicale des commerces alimentaires de plus de 1000 m². Le conseil départemental du Bas-Rhin, ceux de moins de 400 m².

Exclus du dispositif, le supermarché Match et le supermarché Carrefour Contact à Entzheim ont attaqué ces décisions en justice. Le 19 juillet dernier, la cour administrative d’appel de Nancy leur a donné raison et a annulé ces deux législations. Au-delà de la surface, la justice a jugé primordial de prendre en compte la nature des produits mis en vente.

Paradoxalement cette victoire dans les prétoires ne leur donne pas plus le droit d'ouvrir. Au contraire, suite à cet arrêt, retour au droit local initial : tous les commerces de plus de 120 m2 ne sont plus supposés ouvrir le dimanche matin. Cela n’a pas dissuadé le Match de rouvrir le dimanche, depuis le 9 septembre.

Du côté du Super U express, rue Boecklin, pas question de bafouer le droit local. « Il n’y a aucun intérêt à ouvrir le dimanche dans ce quartier : on n’est pas dans le centre-ville ou dans un quartier touristique, explique la gérante, Angélique Klein. Peut-être qu’on ferait un peu plus de chiffre d’affaires mais est-ce que le résultat serait plus intéressant économiquement ? Il faudrait cinq à six personnes sur place, payées double, payer l’électricité… »

Pas de réaction, pas de sanction

Hormis une mise en demeure de la Dirrecte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), qui avait appelé à « revenir sur ce projet d’ouverture dominicale qui se ferait illégalement », le Match n’a pas été inquiété outre mesure. Une situation incompréhensible pour Jacky Wagner, secrétaire général de la CGT du Bas-Rhin : « Personne ne bouge. Tout le monde fait comme si de rien n’était.» La CGT, CFTC et FO comptent déposer un recours en référé d’ici 8 à 10 jours.

Louise Claereboudt et Phœbé Humbertjean

Depuis début septembre, le supermarché de la Robertsau ouvre à nouveau le dimanche matin, en dépit de la législation en vigueur. Les commerces alentour souffrent de cette concurrence déloyale.

« Ce qui faisait vivre notre activité, c’est quand les autres étaient fermés. » Said Medroumi, gérant de l’épicerie La Pyramide, est désabusé. Il y a deux semaines, le commerçant a décidé de mettre la clé sous la porte, après dix-sept ans d’activité. Impossible de lutter contre le géant qui siège à quelques pas de là, route de la Wantzenau. Depuis début septembre, le supermarché Match accueille sa clientèle les dimanches matin.

Just dance pour les filles, Fifa 18 pour les garçons. Ce samedi à la médiathèque du Neuhof, les enfants jouent à la console entre copains. Depuis 2012, la structure propose des ateliers jeux vidéo, le mercredi ou le samedi, une fois par mois, de 14h30 à 16h30.

Elle met à disposition deux consoles : une Wii U et une PS4. Pour encadrer les enfants, Mustapha Elyassiri, responsable numérique à la médiathèque, reste présent toute la durée de l’atelier. « Je m’occupe de voir si tout se passe bien, s’il n’y a pas de souci au niveau technique », confie-t-il.

Pour lui, c’est le moyen d’attirer un nouveau public, pas toujours habitué à fréquenter ce genre d’endroit.

Juliette Mariage et Camille Wong

Une fois par mois, le samedi ou le mercredi, la médiathèque du Neuhof propose un atelier jeux vidéo. L'occasion pour le centre de se diversifier et d'attirer un nouveau public.

[ Plein écran ]

L'immeuble du 91 route des Romains, qui accueillera la maison de services publics. Cuej / T. V.

Koenigshoffen et la Montagne Verte ne bénéficient pas de bibliothèque permanente. Un manque qui pourrait être en partie comblé par la future maison des services publics, route des Romains.

Neuf médiathèques dans Strasbourg, 23 autres dans l’Eurométropole, mais aucune pour les 29 000 habitants de Koenigshoffen et de la Montagne Verte. Pour les résidents de l’Ouest de Strasbourg, les bibliothèques les plus proches se trouvent à Hautepierre, l’Elsau ou Eckbolsheim.

Dans une tribune publiée dans les Dernières nouvelles d’Alsace le 6 octobre, le conseiller départemental Eric Elkouby s’insurgeait de ce manque, déplorant la seule présence d’un bibliobus. La bibliothèque mobile mise en place par l’Eurométropole parcourt les quartiers privés d’installation permanente. Le bus se gare à Koenigshoffen le mercredi, et à la Montagne Verte le jeudi en fin d’après-midi. « Aujourd'hui, le bibliobus fonctionne très bien dans le quartier, reconnaît Eric Elkouby. Mais il passe à des horaires où les enfants sont en classe. Cela ne remplace pas une vraie bibliothèque. »

« Tirer le quartier vers le haut »

Avec 5000 ouvrages, CD et DVD, le bibliobus propose une offre diversifiée, notamment pour les enfants, mais l’absence d’un établissement en dur pose problème à certains utilisateurs. « C’est contraignant niveau horaires, explique Farida, une habitante de la route des Romains, qui vient régulièrement emprunter des livres pour elle et ses deux fils. Le bus reste à peine deux heures au même endroit. Ce n’est pas toujours facile d’être libre au bon moment pour aller rendre les livres. »

« Il y a aujourd'hui 29 000 habitants qui ne disposent d'aucun service public de culture, s'insurge Eric Elkouby. Pour tirer ce quartier vers le haut, il faut s'en donner les moyens. » La solution pourrait se trouver sur la route des Romains, dans les anciens locaux administratifs de la brasserie Gruber.

Un simple guichet de prêt

L'imposant bâtiment a été acquis par la mairie, qui veut investir ses plus de 1800m2 pour y rassembler certains services publics. La mairie de quartier, un centre médico-social, la caisse d'allocations familiales... et un service de retrait de livres, pourraient prendre place dans les locaux occupés jusqu'en 2010 par le Régime social des indépendants.

Un simple guichet de prêt, bien loin de la bibliothèque attendue, mais qui aurait au moins le mérite d'installer la lecture de façon permanente à Koenigshoffen. Maintenant le rachat par la municipalité acté, restent à entreprendre des travaux de rénovation et de réaménagement du bâtiment avant l'installation de cette « maison des services publics ».

Tom Vergez

« Fermée à partir du 13 août » : un grand panneau annonce la couleur, face à la déchèterie de Koenigshoffen, momentanément fermée pour rénovation.  Tractopelles à l’arrêt, dalle neuve et tout juste coulée, friches sur le côté de la route. Dans ce décor  post-apocalyptique, un samedi en fin d’après-midi, pas âme qui vive.  A première vue.

 

Des riffs de metal s’élèvent dans le ciel, un homme dodeline en rythme de la tête, assis sur une chaise, son bolide — une twingo bleue — garé sur le bord de la route. Sur sa casquette noire au-dessus de son tee-shirt noir, pas d’image d’ACDC ou de Metallica, mais le mot « sécurité ». Voici le gardien de la déchèterie fermée.

 

Sa mission, puisqu’il l’a acceptée : veiller, entre autres, à la non-multiplication des déchets sauvages. « Quand des personnes tentent le coup, je leur dis de les déposer au moins à côté de la poubelle, afin que les déchets soient ramassés », décrit-il. Ils les oriente aussi vers la déchèterie de la Meinau. Compter 2,6 km en voiture, soit environ sept minutes, dixit Google Maps. 

 

                                                                                 

Des permanences mixtes monopolisées par les hommes

Proposer des rencontres informelles dédiées aux femmes, que ce soit dans les locaux d’Opali-Ne ou à l’extérieur, c’est un moyen pour l’organisation d’attirer ce public spécifique. « Nos permanences sont mixtes, mais aucune femme ne vient car elles ne veulent pas croiser les hommes du quartier qu’elles connaissent », explique Julie Guignard. C’est justement pour pallier cette absence que la psychologue a été embauchée il y a deux ans. Et ce n’est pas une mince affaire. 

« Les hommes viennent entre amis pour se retrouver dans un lieu chaleureux, d’écoute et de bienveillance. La loi de la rue n'a pas sa place ici et ce cadre très stable et structuré les rassure, détaillent Céline Braune et Julie Guignard. Ici, ils touchent à la normalité. » Si l’accueil est inconditionnel, « le seul interdit, c’est de consommer ». Seulement, les femmes n’y trouvent pas leur place. « Il n’y en a qu’une seule qui vient dans le cadre du programme d’échange de seringues, mais elle ne s’approprie pas les lieux, commente Céline Braune. Elle reste dans le couloir en attendant qu’on s’occupe d’elle. » Selon l’éducatrice spécialisée, « la mixité pose problème ». 

Avec les femmes, « on est dans le contact »

Entre la peur du jugement et les stigmatisations que subissent les injecteurs, difficile de franchir le pas pour ces femmes, qui consommeraient davantage dans l’intimité de leur foyer. « Aller vers elles dans les squares, c’est OK, mais dans leurs logements c’est très, très, compliqué, déplore Céline Braune. Pour le moment, on tente des choses, on découvre. » Julie Guignard ajoute : « On n’est pas encore dans le lien, comme avec les hommes par exemple, on est dans le contact. »

Si le profil des hommes est clairement établi - 37 ans en moyenne, très précaire, souvent atteint d’une pathologie psychiatrique -, celui des femmes reste inconnu. « On ne connaît même leurs consommations. On a déjà observé des femmes qui s’alcoolisent dans l’espace public, mais en général il y a une autre problématique, comme le mésusage de médicament. » D’après les observations des deux professionnels, les femmes ne reconnaitraient pas les effets néfastes des substances sur leur santé. « Pour elles, un médicament, ça soigne, indique Céline. Elles n’ont pas l’impression de surconsommer. » 

Une des missions d’Opali-Ne est de sensibiliser tous les publics, consommateur comme non-consommateur, pour prévenir les risques de manière optimale. Tout cela passe par le dialogue. « Le lien est difficile à entretenir, explique Céline Braune. Ces derniers mois, à de nombreuses reprises, la permanence n’a pas pu être assurée pour cause d’absence de personnel. » Résultat : la confiance des consommateurs s’est considérablement fragilisée, ce que déplore l’éducatrice: « S’il n’y a pas d’accueil ou de travail de rue, on perd le lien, le contact avec les gens. » Au point de menacer la pérennité du projet dédié aux femmes ?

Juliette Mariage et Sophie Wlodarczak

(*) Lorsque Opali-NE a vu le jour en 2012, le but était de prévenir et réduire les risques liés aux addictions. Née d’une coopération entre trois associations spécialisées sur ces questions, OPI (Orientation, Prévention, Insertion) , Alt et Ithaque (deux associations dédiées aux soins, à l’accompagnement et à la prévention en addictologie), Opaline-Ne est un dispositif unique et pensé sur mesure pour le quartier du Neuhof. 

 

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