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Faute d’hébergement, des sans-abris ont créé deux grands squats depuis juillet dernier. Il a fallu penser à tout, de l’occupation à la vie quotidienne. 

“Un lieu pensé par des SDF, géré par des SDF, pour des SDF.” Edson Laffaiteur désigne en ces mots le squat Bugatti, ouvert en septembre dernier dans la zone commerciale d’Eckbolsheim, dans un bâtiment désaffecté et propriété du groupe Lidl. La vie de près de 300 personnes est organisée par Lahcen Oualhaji, qui vivait jusque-là dans le parc des Glacis. Son lancement fait écho à celui de l’Hôtel de la Rue en juillet 2019 dans un immeuble de l’Eurométropole, 91 route des Romains à Koenigshoffen. Ce dernier accueille 200 personnes. Il est géré par Edson Laffaiteur, président de l’association La Roue Tourne, qui a vécu huit ans dans la rue et a ouvert des squats à Nantes, Bordeaux ou encore Perpignan. Lahcen Oualhaji et Edson Laffaiteur remplissent leur fonction avec méthode, et cela bénévolement.

Créer un lieu de vie et d’accueil pour les sans-abris, cela se prépare. La première étape consiste à dénicher des habitations capables d’accueillir des familles, qu’importe leur taille. “Je fais le tour de la ville pour repérer les bâtiments vides, prendre des photos. Ensuite je consulte le registre des cadastres sur internet. Si le propriétaire est l’Eurométropole ou un grand groupe industriel, je le retiens. J’ai identifié 63 bâtiments abandonnés qui correspondent à ces critères”, explique Edson Laffaiteur. Ce choix est tactique : il est plus facile d’exercer une pression sur la Ville, l'État ou les grosses entreprises pour obtenir un bail. L’occupation devient une dénonciation de l’absence d’hébergement pour les sans-abris. Le président de l’association La Roue Tourne ne souhaite pas poser problèmes aux particuliers : “On ne veut pas se les mettre à dos”. Le soutien de la population à leur démarche est essentiel pour le bénévole.

Subvenir aux besoins primaires

Une fois l’installation effectuée, il faut s’occuper de la literie, de l’alimentation et de l’hygiène. L’eau et l’électricité fonctionnaient dès le départ dans les deux squats. Au squat Bugatti, “90% de nos besoins de nourriture sont couverts par les associations et les particuliers”, détaille Lahcen Oualhaji.

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Edson Laffaiteur ne vit pas à l'Hôtel de la Rue mais se rend tous les jours sur place pour aider les résidents. © La Roue Tourne

Les deux animateurs gardent un œil attentif sur les stocks alimentaires, anticipent et relancent les appels aux dons via les réseaux sociaux. Pour assurer un minimum de confort et d’intimité dans les 2000 m² du Bugatti, il a aussi fallu aménager des pièces grâce à des cloisons, fabriquées à partir du matériel trouvé sur place, ou bien des grandes bâches en plastique. Des cabines de douche supplémentaires ont été installées rue Bugatti pour répondre à une demande croissante. Car “trois-quatre personnes arrivent chaque semaine”, constate Lahcen Oualhaji. 

Une gestion partagée 

Un autre point important est l’établissement de règles. “On a mis en place un règlement pour que ce ne soit pas la pagaille, précise Edson Laffaiteur, mais les habitants s’autogèrent.” Ils le consultent, mais ce sont eux qui ont le dernier mot. Encore récemment, avec le coronavirus, ce sont les occupants de l’Hôtel de la Rue qui ont pris l’initiative de désinfecter les 1850 m² du bâtiment. “Ils m’ont demandé de changer la serrure pour contrôler les entrées et les sorties, mais il n’y a qu’une clé et elle est en leur possession”, souligne Edson Laffaiteur. 

Rue Ettore-Bugatti, les mesures édictées sont différentes. En raison de la crise sanitaire, Lahcen Oualhaji a imposé plusieurs dispositions, comme le fait qu’un groupe cuisine pour tout le monde afin de mieux gérer les stocks de nourriture, mais les repas sont pris séparément. Ce qui n’a pas suffi à prévenir la propagation du virus. Il fait office d’intermédiaire avec Médecins du Monde pour le dépistage et la prise en charge des occupants infectés. En parallèle, la Ville s’est engagée à fournir de nouveaux points d’eau (douches, lavabos), du gel hydroalcoolique et des masques sur place.

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Au Squat Bugatti, les associations distribuent de la nourriture et organisent parfois des repas pour les habitants. © Killian Moreau

Habituellement, les deux sites hébergent des sans-abris et réfugiés d’origines diverses - Europe de l’Est et Afrique pour la plupart - aux langues, modes de vie et habitudes culinaires différents. Cela peut être source de conflits. “Au début, les bagarres étaient quasi quotidiennes. Il était impossible de tenir des réunions”, se rappelle Lahcen Oualhaji. Depuis, il se montre intraitable face à tout acte de violence. “Je me suis battu pour que chacun gère les gens de sa communauté. Si jamais la situation n’est plus gérable avec quelqu’un, j’appelle directement la gendarmerie”, ajoute-t-il. Du côté de l’Hôtel de la Rue, trois agents de sécurité rémunérés par la mairie se relaient entre 18h et 6h du matin, ce qui agace Edson Laffaiteur : “Ils sont payés une fortune alors que la Ville pourrait nous donner cet argent, comme si on n’était pas capable d’assurer la sécurité”.

Léo Bensimon et Clément Aubry

Sans infraction, pas d'expulsion

La jurisprudence dispose que, sans constat d’effraction (fracture d’une serrure, fenêtre forcée...) dans le délai de 48 heures, les forces de l’ordre ne peuvent plus expulser des squatteurs. La victime doit passer par une procédure judiciaire. La seule exception concerne le domicile principal des victimes où l’expulsion peut se faire à n’importe quel moment après le début de l’occupation du logement.

Pour parer au risque d’évacuation, Edson Laffaiteur a donc mis au point plusieurs techniques : “On n’utilise pas de pied de biche ou autre objet qui impliquerait une infraction. On utilise plutôt une clé anglaise et on change la serrure. Pour justifier les deux jours d’occupation, on peut poster un message sur les réseaux sociaux ou commander à manger.” La date et l’heure n’étant pas modifiables, les occupants peuvent le présenter à la police comme preuve de leur arrivée dans les locaux depuis plus de 48 heures.

Ouvrir un squat, c’est donc se mettre dans une situation d’illégalité mais ce sont des risques qu’Edson Laffaiteur est prêt à prendre. “Il y a trop de morts dans les rues ! 27 depuis février 2019, dont cinq personnes que je connaissais. Si les pouvoirs publics ne font rien, on ne peut que nous-mêmes se prendre en charge”, s’indigne-t-il. 

 

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