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Entre indifférence et indignation, le forage géothermique ne fait pas l’unanimité

18 octobre 2018

Malgré une campagne de communication intensive, les Illkirchois vivant à proximité du forage géothermique semblent ignorer son existence. Ils se plaignent du manque de communication autour de ce projet d’envergure et pointent du doigt des nuisances sonores. Deux points sur lesquels l’arrêté préfectoral du 21 septembre 2015 avait pourtant insisté.

« Je ne suis pas du tout au courant. Personne n’a cherché à me joindre, et pourtant depuis mon accident, il y a un an, je suis coincée chez moi. S’ils avaient voulu discuter, ils m’auraient facilement trouvée. » Danièle* vit depuis 21 ans à Illkirch-Graffenstaden. Début septembre, tout d’un coup, un gros bruit est venu perturber son quotidien. « Ça fait comme un bruit de moteur continu », décrit-elle. En discutant avec sa voisine, Chantal*, elle comprend : ce bourdonnement incessant, c’est le forage géothermique.

Lorsqu’on questionne les Illkirchois du quartier des Ormes, situé à 500m à vol d’oiseau du forage, leur méconnaissance, voire leur ignorance totale du projet, revient souvent. Même constat lorsqu’on discute avec les parents venus assister au match de foot de leurs enfants — le stade est  à 500m à peine du rig — ou les promeneurs du dimanche. Le forage géothermique, projet de grande envergure, aurait-il été lancé sans que les Illkirchois en soient avertis ?

Une campagne de communication (trop) intensive

« On a régulièrement communiqué, se défend Bernard Kempf, directeur du développement chez ES Energie, qui exloite le site. On a fait une importante campagne de presse au début du projet et on a de nouveau convoqué les médias le 6 septembre, au moment du lancement du forage. »

Emmanuel Bachmann, adjoint à la mairie d’Illkirch en charge des nouvelles technologies et du développement durable, est déçu. « On en est à six articles sur Infograff, notre magazine municipal. On a fait des réunions publiques, dont une, il y a trois ans, où 50 personnes se sont déplacées, dans une salle qui pouvait en contenir 450 ! »

Le rapport d’enquête publique stipule en effet que le 10 avril 2015, 80 personnes, dont « une majorité d’élus », ont assisté à la réunion publique du jour. Mais dans ce même document, l’enquêteur public en charge du dossier, Yves Kleiser, pointe « la manque d’information en amont de la population sur la géothermie par les pouvoirs publics, notamment de la part de l’Eurométropole ». Il va même jusqu’à qualifier l'erreur de « manquement grave », d'autant que le document santé et sécurité n’est pas mis à la libre disposition du public.

Depuis, l’Eurométropole a rectifié le tir. « L’ensemble du projet ES est accessible en ligne, sur un site internet qui lui est entièrement dédié, commente-t-on au centre administratif. Il y a toute une documentation disponible à la mairie de quartier. On est un service public, on n’avance pas masqué. »

« C’est le mal moderne, le manque de communication, ou plutôt le trop plein de communication, déplore Emmanuel Bachmann. C’est pareil dans tous les domaines. »

Ces prospectus sont disponibles à la mairie de quartier.

Des riverains partagés

Danièle et Chantal, elles, ne décolèrent pas. « On ne sait rien, personne n’est venu nous dire ce que ça pouvait nous apporter, ou les risques éventuels », s’indigne Danièle. « En lisant l’article dans Infograff, renchérit Chantal, je pensais que le forage serait beaucoup plus loin des habitations. »

Les deux voisines se sentent laissées-pour-compte. Et lorsqu’on évoque avec elle les nombreuses réunions publiques, elles haussent les épaules. « De toute façon, qu’on y aille ou pas à ces réunions, tout est déjà décidé à l’avance », clame Chantal, résignée. « Ce qu’il aurait fallu, ce sont des gens qui viennent, qui sonnent aux portes, qui nous expliquent tout, ou nous laissent quelque chose dans la boîte aux lettres », revendique Danièle.

Une demande de proximité qui semble irréalisable pour la Ville comme pour l ‘Eurométropole. « Il faut tenir compte des réalités politiques d’aujourd’hui », avance la représentante de l’Eurométropole. « On ne va pas faire du porte-à-porte à chaque fois que l’on a un projet », renchérit Emmanuel Bachmann. « Vous savez, les gens ne s’intéressent qu’à ce qui se trouve devant leur porte », déplore Bernard Kempf.

Alain Blaudez, lui, s’y est intéressé. Il y a trois ans, lors de l’enquête publique. Il a saisi l’opportunité de rencontrer l’enquêteur public, pour questionner l’Eurométropole sur la redistribution de l’énergie produite. « Je voulais savoir quelles habitations allaient bénéficier de cette énergie verte », explique-t-il. Depuis, c’est au travers de la presse qu’il en a appris davantage sur le sujet. « C’est vrai que je n’ai pas eu de réponse précise à ma question, reconnaît-il. Mais je les comprends, ce n’est pas évident d’avoir toutes les informations à ce stade du projet. »

En revanche, de l’autre côté de la route du Rhin, le parc d’Innovation s’estime suffisament informé. « La communication avec la Ville d’Illkirch et ES Energie c’est très, très bien passée, déclare Martine Meyer, responsable du parc. Nous avons eu et nous avons encore des réunions régulières, autour des avancées du projet, et nous avons été associés au comité de pilotage, mis en place par la préfecture. »

La crèche Léo et Léa est à quelques mètres du forage, dont la tour est visible bien visible depuis leurs fenêtres./Marie Dédéban

La lancinante question du bruit

Reste le problème du bruit. Côté parc d’Innovation, ni Martine Meyer, ni Aline Stantmann, co-directrice de la salle de sport Fit’n Well, ni même Marine Gary, directrice de la crèche Léo et Léa ( pourtant située à quelques mètres à peine du forage), n’ont détecté le moindre bruit.

Dans le quartier des Ormes, en revanche, c’est une autre chanson. « Dans la journée c’est imperceptible, reconnaît Danièle. Mais le soir, à partir de 19 heures, quand le quartier est plus calme, on n’entend que ça. »

« On pourrait dire que oui, il suffit de garder les fenêtres fermées. Mais à cette période où il fait encore doux, on apprécie d’être dans la jardin. Et puis je l’entends quand même dans ma veranda », argumente Chantal.

Emmanuel Bachmann, lui, déclare qu’aucune plainte à ce sujet n’a été rapportée à la mairie.

Pourtant, en signant l’arrêté préfectoral du 21 septembre, le maire d’Illkirch s’est porté exécuteur dudit arrêté. Or, l’article 8 est clair : « Des mesures de niveaux sonores seront réalisées avant le démarrage des travaux pendant les périodes diurnes et nocturnes à proximité des habitations les plus proches du site afin de déterminer le bruit de fond local. Des mesures de contrôle des niveaux sonores seront réalisées dès le démarrage des travaux. »

« Je ne sais pas quelle est l’intensité de ce bruit, ni s’il a été mesuré », affirme Emmanuel Bachmann, qui indique que les tests seraient réalisés «en cas de plaintes». Dont acte.
 

Marie Dédéban et Clémentine Rigot

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