L’Élysée et Matignon auraient laissé Nestlé commercialiser des eaux non conformes à la réglementation et à risque pour la santé. Le président de la République Emmanuel Macron dément ces révélations.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire avait alerté sur la non-salubrité de l’eau en sortie de puits. Photo Unsplash / Jonathan Chng
L’enquête du Monde et de Radio France est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ce mardi 4 février, Matignon s’est vu accusé d’avoir dès 2023 "privilégié les intérêts de Nestlé au détriment des consommateurs" par les deux médias. Si Nestlé est au cœur de la tourmente depuis un an pour ses eaux non conformes, l’affaire prend aujourd’hui un tournant politique. L’exécutif aurait accordé des dérogations sur l’usage de microfiltres à la filiale du géant suisse de l'agroalimentaire.
Pourtant, les deux médias citent directement une note du 20 janvier 2023 de Jérôme Salomon, alors directeur général de la santé (DGS). Celui-ci recommande de "suspendre immédiatement l'autorisation d'exploitation et de conditionnement de l'eau pour les sites Nestlé des Vosges" et d'étendre cette interdiction "au site d'embouteillage de Perrier (dans le Gard)". Un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur l'utilisation de microfiltres inférieurs à 0,8 micromètre concluait en effet que l’eau en sortie de puits n’était "pas microbiologiquement saine".
La note avait ensuite été transmise au cabinet de la Première ministre Elisabeth Borne et recommandait de refuser à Nestlé toute dérogation. Sauf qu’un mois plus tard, les cabinets de Matignon et de l’Élysée auraient autorisé la microfiltration d’après les informations du Monde et de Radio France. Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, avait d’ailleurs rencontré des représentants de Nestlé, ce qui laisse à penser que cette autorisation serait le fruit d’un lobbying efficace.
Du lobbying à l’Élysée
En janvier 2024, Nestlé Waters avait reconnu avoir eu recours à des systèmes interdits de microfiltration pour maintenir la "sécurité alimentaire" de ses eaux minérales. Après une plainte de Foodwatch, le groupe propriétaire des marques Vittel, Contrex et Hépar, puisées dans les Vosges, et Perrier dans le Gard, a accepté en septembre dernier de payer une amende de 2 millions d’euros pour échapper à un procès.
Le président Emmanuel Macron a réagi, en marge d’un déplacement à l’institut de lutte contre le cancer : "Je ne suis pas au courant de ces choses-là. Il n'y a de l'entente avec personne, il n'y a pas de connivence avec qui que ce soit."
"Le gouvernement français aurait cautionné une fraude d'ampleur mondiale. Foodwatch demande qu'un procès établisse les responsabilités et que des sanctions exemplaires tombent", a réagi l'ONG mardi.
"Comme toute entreprise, Nestlé est amenée à dialoguer régulièrement avec les autorités de tutelle sur son activité. Quant aux demandes formulées auprès de certaines autorités, elles sont toutes déclarées et donc publiques sur le site de la HATVP, conformément aux règles en vigueur", s’est défendu Nestlé auprès de l'AFP.
L'ONG Transparency International France a demandé ce mardi 4 février la publication des conclusions de l'enquête de la HATVP sur le lobbying de Nestlé déclenchée en février 2024. "Selon l'analyse du répertoire des représentants d'intérêt de la HATVP, le groupe Nestlé n'a pas déclaré ses rencontres avec Alexis Kohler et des conseillers de l'Élysée", affirme l'ONG.
Également interrogée, la DGS n’a pas réagi pour le moment. Le 23 janvier, l’actuel directeur général Grégory Emery a indiqué au Sénat que cette affaire n’était "pas un sujet de sécurité sanitaire mais un sujet de fraude".
Lucie Campoy avec AFP