Après l’exposition à Pointe-à-Pitre d’un tableau sur lequel le président de la République est peint avec la tête coupée, celui-ci a annoncé porter plainte. L’engagement d’une procédure judiciaire soulève des questions sur la liberté d’expression et le seuil de tolérance des puissants.
Ce n'est pas la première fois qu'Emmanuel Macron porte plainte depuis sa prise de pouvoir en 2017. Photo Élodie Niclass
Un homme brandit une tête décapitée : celle d’Emmanuel Macron. L’œuvre est signée de l’artiste Blow, membre du Kolèktif Awtis Rézistans. Son tableau était visible en janvier dans le cadre d’une exposition en Guadeloupe sur le scandale sanitaire du chlordécone. Ce pesticide hautement toxique, utilisé jusque dans les années 1990, affecte encore aujourd’hui les Antilles. Quoi qu’il en soit, la création a déplu : le Président a annoncé porter plainte ce mercredi 5 février, sans qu’on en connaisse l’exact motif. Sur ses réseaux, l’artiste Blow a réagi en mentionnant, entre autres, le #JeSuisCharlie.
Dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, les limites juridiques à la liberté d’expression continuent d’être questionnées. En mars 2023, le journal satirique avait lui-même publié pour sa Une la tête d’Emmanuel Macron venant d’être guillotinée. Le dessin n’avait pas fait l’objet de poursuites. Le curseur de la tolérance a-t-il bougé ?
Une précédente plainte
Si le dépôt de plainte d’un président en exercice n’est pas monnaie courante, ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron saisit la justice. Pendant la pandémie de Covid-19, il avait porté plainte contre Michel-Ange Flori, à l’origine d’affiches le représentant à l’effigie d’Hitler. L’ancien publicitaire avait d’abord été condamné pour injure publique. La Cour de cassation avait annulé cette décision, considérant qu’il n’avait pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression.
Avant Emmanuel Macron, d’autres présidents de la Vème République avaient saisi la justice. Près de 500 fois, pour Charles De Gaulle. Il n’avait par exemple pas supporté une caricature le représentant en vautour griffant des soldats français. C’était en 1963. Depuis, le recours à la justice d’un président de la République est plus rare, mais il existe : Valéry Giscard d’Estaing avait par exemple obtenu la saisie d’un jeu de cartes le caricaturant en personnages historiques. Autre exemple : Nicolas Sarkozy, qui avait porté plainte en 2008 à l’encontre de t-shirts parodiant son patronyme.
Jurisprudence européenne
Une affaire en particulier peut faire jurisprudence à l’échelle européenne, d’après le spécialiste en droit de la presse Philippe Piot. Elle nous ramène en Espagne, en 2007, date à laquelle deux indépendantistes catalans avaient brûlé une photo du roi d’Espagne et de son épouse. Les institutions espagnoles avaient considéré cet acte comme une “injure à la Couronne”. En appel, le tribunal avait conclu que l’acte impliquait une incitation à la violence et ne pouvait être protégé au titre de la liberté d’expression. À l’inverse, la Cour européenne des droits de l’homme a finalement tranché que cela entrait dans ce champ.
Avec cet antécédent, difficile de croire à une condamnation de l’auteur de la peinture exposée en Guadeloupe. Même si on ne peut pas totalement l’exclure. “La jurisprudence n’est pas constante. Elle peut évoluer vers davantage de maintien de l’ordre”, rappelle le docteur en droit. Ce qui n’est pas possible, en tout cas, c’est que l’œuvre soit considérée comme une offense au chef de l’État. Tout simplement car ce délit a été abrogé en 2013.
Élodie Niclass
Édité par François Bertrand