Les actes antisémites ont quasiment doublé pendant la première moitié de l'année 2014, affirme un rapport publié lundi. Selon Nils Muiznieks, commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, le nombre de juifs qui quittent la France pour Israël a triplé par rapport à 2012, avant les attentats de janvier dernier.
Les profanations à Sarre-Union ne sont pas des cas isolés, selon le rapport publié mardi. Ici une tombe sur le cimetière juif de Strasbourg en 2010. (Photo: AFP)
C'est sans savoir ce qui allait se produire à Charlie Hebdo, l'Hyper Casher ou encore dans le cimetière juif de Sarre-Union que Nils Muiznieks a rédigé son rapport en septembre 2014. Après s'être rendu à Paris puis Marseille, le commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe s'inquiète de façon globale "du recul de la tolérance" en France et du racisme, ainsi que du non respect des droits de l'Homme concernant les migrants, les gens du voyage, les Roms et les personnes handicapées. Son rapport dénonce notamment la progression alarmante ces dernières années des actes antisémites en France.
Une augmentation significative des actes antisémites
"Pendant la seule première moitié de l'année 2014, les actes antisémites ont quasiment doublé tandis que le nombre de juifs qui ont quitté la France pour Israël a triplé par rapport à 2012, ce qui est un signe révélateur de leur sentiment d'insécurité", affirme le commissaire dès les premières lignes du rapport.
Sur la base des données du ministère de l'Intérieur et du Service de protection de la communauté juive, le commissaire Nils Muiznieks note que les actes antisémites recensés ont augmenté de 91 % au cours des sept premiers mois de l'année 2014: entre le 1er janvier et le 31 juillet, 520 actions ou menaces antisémites ont été enregistrées, contre 276 en 2013. La hausse la plus importante concerne les violences (agressions, dégradations et vandalisme): 241 recensés, c'est à dire +130 % entre 2013 et 2014. Les menaces (propos, gestes, tracts, courriers) sont elles en hausse de 79%.
Dieudonné et Internet
Nils Muiznieks souligne la présence en France "d'un discours de haine à résonance particulière". À l'image des affaires Dieudonné de 2013 et 2014 qu'il décrit comme, "un humoriste devenu militant antisémite". Pour le commissaire, "outre le contenu des spectacles qui tournaient en dérision l'Holocauste et ses victimes, certaines réactions des partisans de Dieudonné ont également présenté un caractère antisémite". Des affaires qui ont particulièrement touchées la communauté juive.
Autres phénomènes soulignés par le commissaire: l'augmentation des dérives rendues possibles grâce à internet et aux réseaux sociaux. En autonome 2012 par exemple, la multiplication sur Twitter de messages antisémites comportant le mot-dièse #unbonjuif avait donné lieu à de nombreuses poursuites judiciaires. Nils Muiznieks salue cependant la réponse pénale apportée à ces propos haineux par le tribunal de grande instance puis la cour d'appel de Paris.
Des départs en Israël toujours plus nombreux
L'affaire Dieudonné, Merah, Nemmouche, l'Hyper Casher, la montée du Front National poussent de plus en plus les juifs de France à faire leur "Alyah" note le rapport sans évoquer précisément le nombre de départ.
Ce retour en Terre-Sainte, de l'hébreu "ascension" constitue depuis quelques années un véritable phénomène encouragé par l'Agence Juive - qui s'occupe spécifiquement de l'organisation de ces départs- et par l'appel du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou de faire venir les juifs d'Europe en Israël.
Comme le montre le graphique ci-dessous, en 2014 selon l'Agence juive et le ministère de l'intégration israélien ils étaient 7000 à partir en Israël, alors qu'on n'en comptait que 1850 en 2012. Toujours selon les chiffres de l'Agence Juive, les inscriptions pour les réunions d'informations pour les départs en Israël on été multipliées par 30 depuis le début l'année à la suite des attentats. L'agence prévoit pour l'année 2015 environ 10 000 départs.
Un pays pourtant armé pour réagir
Dans les 52 pages de son rapport, le commissaire letton formule plusieurs recommandations. Il salue "le solide cadre juridique et institutionnel de lutte contre le racisme et les discriminations et exhorte les autorités à continuer de lutter fermement contre ces phénomènes". Bien que les moyens ne soient pas toujours suffisants en France, Nils Muiznieks évoque la création d'un comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme crée en 2003 sous l'autorité du placé auprès du Premier Ministre. Il est fondé "sur l'éducation, la sensibilisation et la formation et se décline en un large éventail de mesures". Une initiative positive selon le commissaire.
Pour Nils Muiznieks, il existe surtout deux moyens de lutter contre ce phénomène: tout d'abord encourager les représentants de l'Etat et les membres de la classe politique à porter un discours fort et clair qui rejette le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination, mais aussi valoriser le principe d'égalité et le respect des différences. Un discours, certes, convenu mais utile dans le contexte actuel.
Milena Peillon