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17/02/23
14:14

La dette, un fléau difficile à maîtriser en détention

Deux tiers des détenus sont endettés selon un rapport réalisé par Emmaüs et le Secours catholique. Ces créances, contractées à l’extérieur, comme les sanctions économiques entravent la réinsertion.

« L’arrivée en détention provoque presque mécaniquement des impayés », souligne Hélène Ducourant, maîtresse de conférence en sociologie à l’université Gustave Eiffel. © Théodore Laurent/Cuej.info

« Quand je suis entré en détention, le premier courrier que j’ai reçu, ce n’est pas une lettre de ma famille, de ma mère ou de mon avocate mais un courrier de ma banque pour impayés », se remémore Marc, détenu à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) de 2014 à 2018. Ce quadragénaire, alors salarié au SMIC, avait contracté plusieurs crédits à la consommation d’une valeur totale de 10.000 euros avant sa condamnation. S’il commençait à avoir du mal à rembourser sa créance, son incarcération a fini de siphonner ses derniers deniers.

La privation de liberté n’entraîne pas l’interruption des prélèvements sur les comptes bancaires, mensualités de crédits, loyers et autres abonnements (internet, salle de sport…). À cela s’ajoutent, dans de nombreux cas, les sanctions économiques dont les détenus font l’objet à l’occasion du jugement de leur affaire : condamnations pécuniaires, frais de justice, dommages et intérêts, redressements fiscaux. « L’arrivée en détention provoque presque mécaniquement des impayés », souligne Hélène Ducourant, maîtresse de conférence en sociologie à l’université francilienne Gustave Eiffel et auteure d’une longue enquête sur la question.

Avant d’être placé quatre mois sous les verrous pour vol en mars 2022, Sylvain était chauffeur d’une camionnette pour une société privée et touchait un peu plus que le SMIC. Avec sa femme, ils avaient du mal à joindre les deux bouts en élevant leurs quatre enfants en bas âge. Ses 40.000 euros de crédits à la consommation ne lui facilitaient pas la tâche.

En cellule à la maison d’arrêt de Strasbourg, l’angoisse le prend aux tripes. « Le remboursement de mes crédits ne me laissait déjà presque plus rien pour subvenir aux besoins de ma famille. Mais sans revenus, le déficit s’est creusé très rapidement, témoigne le quinquagénaire. Moralement c’était catastrophique. »

S’y prendre à temps

« Dans la plupart des cas, les prisonniers considèrent l’endettement comme un problème secondaire car ils doivent s’acculturer à un nouveau mode de vie, observe Hélène Ducourant. Mais plus la prise en charge prend du temps et plus les sommes à recouvrir vont être importantes. Et puis certains n’en ont pas forcément conscience. »

À Fleury-Mérogis, le point d’accès au droit (PAD), que les détenus peuvent solliciter pour être accompagnés, informe les arrivants de la nécessité de résilier au plus vite leurs abonnements et autres comptes inutiles. « On fournit un livret pour signaler les démarches à effectuer. On leur donne aussi des modèles de lettres de rupture », explique Justine Baranger, cheffe de service point d’accès au droit pénitentiaire de la maison d’arrêt. Mais beaucoup de détenus passent à travers les mailles du filet. Tous les PAD ne semblent pas aussi attentifs à la question de la dette, souvent en raison du manque de moyens et de personnel.

D’autant que « l’information ne suffit pas. Résilier un contrat peut paraître simple à l’extérieur, mais en détention, c’est une autre histoire, souligne Justine Baranger. Il faut se souvenir de tous ceux souscrits, trouver l’adresse de résiliation. Et cela, sans accès à Internet. L’acheminement du courrier peut prendre plusieurs semaines voire des mois en détention. »

Procédure contraignante

En 2021, deux tiers des prisonniers étaient endettés selon un rapport d’Emmaüs et du Secours catholique. Pourtant, ils sont peu nombreux à envoyer un dossier de surendettement – dispositif qui propose aux particuliers un échéancement quand le paiement des créances n’est plus possible – à la Banque de France. Entre 2011 et 2020 l’institution a dénombré 1.029 dossiers jugés recevables et postés depuis un établissement pénitentiaire, soit une centaine seulement par an. En parallèle, 121.000 dossiers ont été déposés sur l’ensemble du territoire en 2021.

Détenus et proches des dossiers pointent le manque d’informations sur l’existence de celui-ci ainsi qu’une procédure contraignante. « J’en ai entendu parler grâce au bouche-à-oreille durant la promenade », se souvient Marc. Les surveillants ont d’autres préoccupations. On ne voit quasiment jamais les conseillers d’insertions de probations. C’est donc au détenu d’aller chercher des informations.

Ou à ses proches, comme Martine, mère de Fabrice, incarcéré à la maison d’arrêt de Strasbourg depuis juin. « J’ai pris connaissance du dispositif de surendettement car une amie effectuait une demande, expose-t-elle. Pour espérer que le dossier soit recevable, il faut fournir des factures, l’avis d’imposition, la carte vitale, la carte d’identité… Des documents impossibles à rassembler pour une personne depuis sa cellule. »

La tâche s’avère également compliquée à l’extérieur. La quête de ces justificatifs a éprouvé la patience de la retraitée. « Pour obtenir la copie de la carte d’identité de mon fils auprès de l’administration pénitentiaire, il m’a fallu attendre plus de trois semaines, vous vous rendez compte ! », souffle-t-elle. Les prisonniers qui disposent de peu de liens familiaux à l’extérieur, se retrouvent pénalisés.

Sentiment de « soulagement » assombri

À Strasbourg, l’association Crésus intervient deux fois par semaine à la maison d’arrêt pour aborder le surendettement et servir d’intermédiaire entre les détenus, l’extérieur et la Banque de France. Francis Corbe, bénévole depuis 17 ans, constate que « la plupart des dossiers sont remplis après la détention », faute d’arriver à réunir tous les documents demandés. La Banque de France réfléchit à mettre en place un dispositif simplifié pour les personnes incarcérées.

Quand le dossier est finalement accepté par l’institution financière, les anciens détenus évoquent unanimement un sentiment de « soulagement ». Les créances de Sylvain ont été suspendues pour une durée de deux ans et demi. « Cela m’a permis de sortir la tête de l’eau car je n’aurais pas pu, et je ne pourrais jamais rembourser cette somme, confie-t-il. À la fin du moratoire, je déposerai un nouveau dossier. » Les ardoises de Stéphane et Fabrice ont quant à elles été effacées. « Mon fils envisage un nouveau départ plus sereinement », loue Martine.

Bien souvent le « soulagement » provoqué par l’annulation ou le rééchelonnement des arriérés est assombri par la clôture de compte en banque voire l’interdit bancaire. Fabrice, par exemple, ne pourra pas ouvrir de compte pendant cinq ans. « C’est très important pour les détenus d’avoir accès à un compte bancaire, notamment dans le cadre de leur réinsertion, insiste la sociologue Hélène Ducourant. Sans compte, ils n’auront pas de moyen de paiement, pas de moyen d’encaisser une prestation sociale ou un revenu, pas d’autonomie budgétaire une fois dehors. Leur insertion professionnelle, économique et sociale s’en trouve retardée de plusieurs semaines voire de plusieurs mois. » « Quand je suis sorti, je l’ai mal vécu parce que j’avais l’impression d’être encore vu comme un détenu », raconte Marc.

La réinsertion à l’épreuve des sanctions économiques

Ce ne sont pas les dettes domestiques qui constituent la plus grande partie de l’endettement des détenus mais les sanctions économiques dues à leur condamnation : dettes pénales, amendes douanières, frais de justice, dommages et intérêts aux victimes. Celles-ci ne peuvent pas être prises en compte par le dispositif de surendettement, les détenus sont donc contraints de s’en acquitter. Les montants avoisinent régulièrement plusieurs dizaines de milliers d’euros. L’universitaire pointe le « décalage entre le montant de la condamnation et la situation socio-économique des condamnés ».

Juliette Chapelle, avocate et présidente de l’association pour le droit des détenus évoque la situation d’un de ses clients sanctionné d’une peine d’emprisonnement de 3 ans et de 100.000 euros d’amende : « La personne était prête à faire plus de prison en échange d’une réduction de la sanction financière. Bien sûr c’est impossible mais cela en dit beaucoup sur l’état d’esprit de certains détenus. La sanction pécuniaire est vue comme égale voire pire que la peine de privation de liberté, parce que celle-ci a une fin. »

Condamné à régler des indemnités aux parties civiles, Marc n’a pas attendu sa sortie pour entamer les paiements. Sur les 200 euros de salaire qu’il percevait en détention, 20 étaient prélevés. « C’était une façon de reconnaître la souffrance des parties civiles. C’est aussi un geste envoyé à la société et l’administration pénitentiaire en montrant notre volonté de vouloir se réinsérer », assure-t-il.

L’ancien pensionnaire de Fleury-Mérogis, continue d’envoyer 10 % de ses revenus depuis sa sortie. Le quadragénaire imagine d’autres types de sanctions comme les travaux d’intérêts généraux plus « utiles à la société » selon lui. « Cela contrarie mes propres projets de réinsertion car j’ai aussi des rêves professionnels, familiaux et artistiques, avoue-t-il. Est-ce que je ne me suis pas déjà racheté en passant quatre années en détention ? »

Théodore Laurent
Édité par Nils Hollenstein

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