Tous les jours, insultes, injures et menaces déferlent sur les réseaux sociaux. La législation évolue, mais les responsabilités restent floues et les plaintes peu nombreuses.
« J’appelle à ce que vous vous fassiez égorger »,« Tire-toi une balle dans la tête » … Les mots « doux » fleurissent sur Twitter à l’encontre de Nicolas Hénin, ancien otage de l’Etat islamique. Menaces, injures, appels au lynchage : l’ex-journaliste a porté plainte mardi 5 février pour menaces de mort, menaces de commettre un crime et cyberharcèlement.
Il a été victime d’un « raid numérique », autrement dit, d’opérations de harcèlement en ligne menées en masse par des internautes contre une ou plusieurs victimes. Avec la loi de Marlène Schiappa d’août 2018 sur les violences sexuelles et sexistes, ces harceleurs encourent jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Face au cyberharcèlement, la législation a connu plusieurs évolutions. Il faut attendre 2014 pour que la mention « service de communication au public en ligne » apparaisse pour la première fois dans la loi. Les téléphones portables, les forums, les jeux en lignes, les messageries instantanées ou encore les réseaux sociaux tombent alors sous le couperet de la loi. Par exemple, insulter de manière répétée via les réseaux sociaux devient un délit, punissable de 30 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement.
Qui est responsable ?
Les harceleurs d’abord, mais leur identification peut se heurter à leur anonymat sur la toile. « C’est tout le problème », poursuit Marie Piquette, déléguée à la protection des données à l’université de Strasbourg. « L’anonymat sur le web est aussi censé protéger des personnes qui auraient besoin de rester sous pseudonyme. C’est toujours l’utilisation détournée qui est faite de ces moyens de protection qui pose question », ajoute-elle.
Derrière, chaque personne qui « partage » un post insultant sur les réseaux sociaux se rend responsable devant la loi. Et ce, y compris pour dénoncer l’auteur du harcèlement. Mieux vaut plutôt signaler la publication à la Cnil, le gendarme du web. La plupart des menaces sont hébergées par des plateformes en ligne. Toutes permettent aux utilisateurs de signaler ou demander le retrait de contenus injurieux ou inappropriés, mais rarement plus. « Les sites sont responsables de leur contenu, ils sont censés vérifier celui qui contrevient à leur public, souvent a posteriori de la diffusion et à la suite de signalements. Ils sont responsables du contenu, surtout si ce contenu reste », ajoute Jeoffrey Sabbah, doctorant à l’université de Strasbourg.
Lundi 4 février, le site jeuxvideo.com a enfin rejoint le code de conduite de l’Union européenne contre la haine sur les sites internet. Son forum de discussion « Blabla 18/25 » est surtout connu pour ses campagnes de cyberharcèlement à répétition. En juillet dernier, trois internautes ont été condamnés après avoir proféré des menaces de mort envers Nadia Daam. La journaliste avait critiqué le forum lors d’une chronique sur Europe 1. La plateforme s’engage dorénavant à répondre en moins de 24 heures au signalement de contenus inappropriés.
Peu de plaintes
Mais souvent, ces dispositifs ne suffisent pas, le mal étant déjà fait. L’année dernière, une cinquantaine d’adolescentes de la région de Strasbourg ont été victimes de cyberharcèlement sur Snapchat. Plusieurs comptes ont publié des photos dénudées (volées ou faites avec des montages photos) des jeunes femmes âgées de 13 à 16 ans. Des situations récurrentes dans le milieu scolaire. Selon une récente enquête de l’Unicef, 9,5 % des élèves sondés déclarent avoir été agressés ou harcelés sur les réseaux sociaux. Le chiffre grimpe à 24 % chez les adolescents âgés de 18 ans.
Si des plaintes ont été déposées, elles restent largement minoritaires. En cause, le manque d’information, la complexité administrative, la peur du regard des autres... « A l’image de certaines femmes qui n’osent pas porter plainte en cas de harcèlement sexuel parce qu’elles ont honte », termine Marie Piquette. En 2017, selon les données du ministère de la Justice et du journal 20 minutes, sur 558 000 condamnations, seules 8 concernaient un acte de cyberharcèlement. Un chiffre dérisoire. Pour beaucoup de victimes, face aux ressorts juridiques, porter plainte, c’est presque peine perdue.
Camille Wong