Le "Canard" a 100 ans ! Ou presque. Publié pour la première fois le 10 septembre 1915, “Le Canard enchaîné” commence à paraître régulièrement en 1916. Quoi qu’il en soit, depuis sa naissance pendant la Grande Guerre, le palmipède a souvent été en première ligne. Pendant tout le 20ème siècle, le journal du mercredi a fait de l’indiscipline et de l’impertinence ses chevaux de bataille. Né en 1915 dans un contexte de censure, le journal cultive depuis une défiance à l’encontre du pouvoir politique. Valéry Giscard d’Estaing et les diamants de Bokassa, Maurice Papon collaborationniste, Mitterrand et son système d’écoutes d’envergure… Autant de têtes canardées par le titre. Autant d’affaires ayant fait trembler la République. Etat des lieux des Unes les plus retentissantes.
"Une" du Canard enchaîné, 5 décembre 1973, numéro 2771
L’affaire des plombiers ou “watergaffe”
Le 3 décembre 1973, de faux plombiers, agents de la DST, se sont font surprendre tard dans la nuit dans les locaux du "Canard", en pleine installation de matériel d’écoutes téléphoniques. Malgré les preuves amassées par le journal, la DST nie les faits et sera innocentée quelques années plus tard.
"Une" du Canard enchaîné, 19 janvier 1972, numéro 2673
La fiche d’impôts de Jacques Chaban-Delmas
En novembre 1971, le "Canard enchaîné" publie un avertissement provenant de la trésorerie du XVIe arrondissement adressé à Jacques Chaban-Delmas. Le scandale éclate quand le journal dévoile que le Premier ministre n'a pas payé d'impôts de 1966 à 1969. Certes, il n'est pas en tort, car il bénéficie de l' “avoir fiscal”, une mesure légale datant de 1965. “Ce qui ressort de cette affaire est plus grave et moins piquant que ne le serait une étourderie de M. Chaban-Delmas, écrit Françoise Giroud dans L'Express. C'est l'iniquité fondamentale d'un système fiscal qui privilégie la fortune.” La polémique aura pour effet d’écarter Chaban-Delmas de la course à la présidentielle de 1974, et de permettre à son rival Giscard-d’Estaing de le devancer.
"Une" du Canard enchaîné, 10 octobre 1979, numéro 3076
Les diamants de Bokassa
L’une des plus célèbres affaires révélées par le journal est celle des diamants offerts à Valéry Giscard d'Estaing par le dirigeant centrafricain Jean-Bedel Bokassa lors de déplacements dans le pays entre 1970 et 1975. Le président de la République qualifie ces accusations de “grotesque”, avant d’affirmer que les cadeaux ont été revendus, et l’argent reversé à des œuvres humanitaires. L'affaire empoisonne la fin de son mandat et sa campagne présidentielle, perdue en 1981.
"Une" du Canard enchaîné, 6 mai 1981, numéro 3158
Maurice Papon
En 1981, le volatile divulgue le rôle du ministre du Budget Maurice Papon (RPR) dans la déportation de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il était secrétaire général de la préfecture de Gironde. Il est inculpé en 1983 de "crimes contre l'humanité" et condamné en 1998 à dix ans de réclusion criminelle.
"Une" du Canard enchaîné, 28 décembre 1983, numéro 3296
Les avions renifleurs
En 1975, deux escrocs proposent à la direction du groupe pétrolier Elf-Erap un projet inédit : il s'agit d'un système de radio-détection qui permet de repérer des gisements pétroliers depuis le ciel. Avec l'accord de l’Etat, l'entreprise publique va investir dans ce projet et conclure deux contrats pour le développement de ces "avions renifleurs". La supercherie est mise au jour en 1979. En 1981, la Cour des comptes chiffre les pertes à 1,5 milliard de francs, soit 250 millions d’euros. Le "Canard enchaîné" dévoile l'affaire en 1983.
"Une" du Canard enchaîné, 15 mars 1989, numéro 3568
Paul Touvier, chef de la milice lyonnaise durant la Seconde Guerre mondiale sous protection
Dans son numéro du 15 mars 1989, le journal révèle la protection accordée à Paul Touvier, ancien chef de la milice lyonnaise sous l'occupation allemande, par une association catholique traditionaliste. Cette enquête permet son arrestation et sa condamnation en 1994 à la perpétuité pour crimes contre l'humanité.
"Une" du Canard enchaîné, 3 février 1993, numéro 3771
Un million de francs pour Bérégovoy
Certainement la révélation aux conséquences les plus dramatiques. Le "Canard enchaîné" annonce en février 1993 que Pierre Bérégovoy, Premier ministre, s’était vu allouer en 1986 un million de francs (environ 150 000 euros) d'un ami de François Mitterrand, l'industriel Roger-Patrice Pelat. Ce prêt, sans intérêt et qu'il disait avoir remboursé, lui avait permis d'acheter son appartement parisien. Très vite, le Premier ministre se retrouve au coeur d'une vaste polémique, qui va crescendo au fil du temps. Après ce qui restera considéré comme un véritable lynchage public, le 1er mai 1993, Pierre Bérégovoy se suicide d’une balle dans la tête.
"Une" du Canard enchaîné, 10 mars 1993, numéro 3776
Les écoutes de l’Elysée
En 1993, le "Canard" jette un pavé dans la marre en accusant le président François Mitterrand d’avoir mis en place un système d’écoutes aux contours très flous entre 1983 et 1986. Une surveillance commandée à la cellule antiterroriste et visant près de 150 personnalités. Parmi elles, le directeur du "Monde", Edwy Plenel, l’écrivain Jean-Edern Hallier, ou plus surprenant, l’actrice Carole Bouquet. Officiellement, le nom de code de cette mission porte le nom “Bûche”, censé assurer la “sécurité de la personnalité de le Défense”. Interrogé à ce propos lors de l’ouverture d’une interview accordée à la RTBF, Mitterrand nie sèchement : “L’Elysée n’écoute rien. Il n’y a pas de système d’écoute ici”, et met fin à l’entretien télévisé.
"Une" du Canard enchaîné, 7 juin 1995, numéro 3893
Le luxueux HLM d'Alain Juppé
En 1995, le "Canard" fourre son bec dans les quittances de loyer d'Alain Juppé. Il révèle que le Premier ministre dispose d'un appartement de 180m2, propriété de la ville de Paris, loué à un prix défiant toute concurrence depuis 1990. Quatre mois plus tard, il est contraint par le parquet de Paris de quitter son logement en échange du classement de l'affaire.
"Une" du Canard enchaîné, 23 avril 1997, numéro 3991
Jean Tibéri et les faux électeurs du 5e arrondissement de Paris
En 1997, le palmipède épingle le maire du 5e arrondissement de Paris, Jean Tiberi, soupçonné d'être au cœur d'un vaste système comptant 3 à 4000 faux électeurs, dont il aurait été le principal bénéficiaire. En mars 2013, 16 ans plus tard, il est finalement condamné en appel à dix mois de prison avec sursis, 10 000 euros d'amende assortis de trois ans d'inéligibilité.
"Une" du Canard enchaîné, 2 février 2011
Les vacances de MAM dans la Tunisie de Ben Ali
La ministre des Affaires étrangères est accusée par l'hebdomadaire de s'être rendue en Tunisie en décembre 2010, après le début des manifestations contre le président Ben Ali, et d'avoir bénéficié des largesses d'un proche du régime au pouvoir. Il s'agit de l'homme d'affaires Aziz Miled, dont elle aurait emprunté le jet privé, accompagnée de son concubin, également ministre, Patrick Ollier. S'ensuivent des mois de polémiques qui déboucheront, le 27 février 2011, sur la démission de MAM du gouvernement. François Fillon expliquera au Parisien que "la sortie d'Alliot-Marie du gouvernement était devenue inéluctable car sa voix en tant que chef de la diplomatie était devenue inaudible".
Hélène Capdeviole, Benjamin Hourticq