À l'heure où sites et applications de speed dating règnent sur le marché de la rencontre amoureuse, certains font dans le vintage. Entre Strasbourg et Colmar, une agence matrimoniale assemble les cœurs esseulés.
Les agences matrimoniales ont encore leurs adeptes à l'heure des applications de rencontre. © Candace McDaniel
« Une vie épanouie à deux » : c’est ce que fait miroiter Christine Bender sur un document qu’elle remet à ses clients à l’issue de leur première entrevue et avant la signature du contrat par lequel ils s’en remettent à son agence matrimoniale pour trouver l’âme sœur. La franchise alsacienne d’Unicis, qui vend l’amour dans 105 agences en France, mise sur « des relations stables et durables », martèle sa directrice, quelques instants avant de retrouver à Strasbourg un cœur à prendre, un ingénieur divorcé de 52 ans.
On croyait les agences matrimoniales précipitées dans l’histoire, au même titre que les petites annonces, par les Meetic, Tinder et autres Badoo. Fin 2020, ceux-ci séduisaient près d’un tiers des Français, d’après l’Ifop. Pourtant, assure Christine, le « slow dating » connaît un regain de succès, au point qu’Unicis, fondée en 1973, ambitionnerait de doubler le nombre de ses antennes. « Ringardes, les agences ? Non. » Mais démodées, oui, auprès des jeunes, concède Christine. Son cœur de cible a entre 40 et 60 ans, est bien installé et a déjà connu la vie de couple. En-dessous de 30 ans, les femmes sont rares et les hommes systématiquement refusés, car jugés « trop impatients ».
Les déçus de Meetic
Du temps long, un suivi personnalisé, des profils triés sur le volet : l’agence tient à afficher sa différence avec les sites et applications de rencontres. Pour mieux séduire ceux qu’ils ont déçus. « La moitié de nos clients reconnaissent être passés par un site. Mais j’estime qu’ils sont en réalité 80 %. » Et Christine de raconter les années passées seul derrière un écran, les aventures éphémères, les échecs à répétition.
Et les arnaques, comme les pièges posés par des « brouteurs de Côte d’Ivoire », qui profitent de l’anonymat des sites et de la solitude des célibataires pour leur extorquer des sommes colossales. « Trois clientes avaient noué une relation avec un homme qu’elles n’ont jamais vu. Elles y ont laissé chacune entre 7 000 et 12 000 euros. » Pour écarter escrocs, bonimenteurs et autres Don Juan, Christine rencontre en tête-à-tête chaque prospect et exige un justificatif de domicile, une fiche de paie, une preuve de divorce… et une attestation sur l’honneur qu’il est « libre de cœur ».
Coûts de cœur
« En bref, nous ne sommes pas un fast-food, où on mange au comptoir. Mais un restaurant gastronomique, où on vous sert et, si vous n’êtes pas satisfaits, on vous ressert. » Le haut de gamme a un prix : d’une centaine à 2 400 euros, pour la formule complète, durée illimitée et relooking en dessert. À partir de 1 400 euros, une coach en bien-être, Julie Vogt, les aide à apprivoiser leur image et à regagner confiance en eux par un tour chez le coiffeur ou en les incitant à porter des chemises et éviter les baskets éculées.
Tout le monde ne peut pas s’offrir les services de Cupidon, et 80 % de ses 200 clients sont des CSP+, attirées par l’efficacité et la discrétion vantées par l’agence, sise derrière la façade anonyme d’un immeuble bourgeois. La directrice égrène les architectes, médecins et chefs d’entreprise, « des personnes ayant pignon sur rue », qu’elle réunit parfois à l’occasion de soirées « Art et cocktails » dans une galerie privatisée.
À lire aussi : Saint-Valentin à Strasbourg : dites-lui avec des sextoys
Mais l’argent ne suffit pas (toujours) à acheter le bonheur. Les malheurs de Marie* l’ont prouvé. La soixantaine golfeuse, cette rentière à l’esprit vif et aux poches pleines enchaîne les déceptions avec les hommes présentés par l’agence, raconte Christine. La raison : « Elle vise au-delà de ses moyens ». Or, « elle n’est pas jolie, elle n’y peut rien » – sauf à baisser ses exigences. L’agence a beau ne pas envoyer de photos à ses clients avant qu’ils ne se rencontrent en chair et en os, le marché de la séduction reste cruel envers les physiques qui sortent de la norme. Christine préfère rappeler les happy endings, comme ce couple qui a eu le coup de foudre au premier rendez-vous ou ce célibataire endurci qui a trouvé l’amour à la suite d'un reportage sur Unicis. L’agence estime son taux de « succès » à près de 65 %.
* Le prénom a été modifié.
Yasmine Guénard-Monin
Édité par Séverine Floch