Méconnue du grand public, la différence entre « le bio » et « la bio » est pourtant fondamentale. Véritable modèle de société qui valorise une façon de consommer autrement, « la bio » est bien loin de la standardisation et de l'industrialisation « du bio » de grandes surfaces.
Attention, si vous dites « le bio », vous ne parlerez pas de « la bio ». En dix ans, si la consommation des produits bio des ménages français a triplé, Philippe Camburet, le président de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) est loin de s’en réjouir. Avec 13 milliards d’euros de part de marché en France en 2020, la demande de produits estampillés bio est en constante augmentation. Et, sans surprise, ce sont les grandes surfaces qui se taillent la part du lion. Elles détiennent 54,7 % des ventes contre 28,5 % pour la distribution spécialisée.
« Le bio reproduit des schémas de la grande distribution, explique Philippe Camburet. Les prix sont tirés vers le bas et la qualité sanitaire et diététique est mise de côté ». Selon le président de la FNAB, c’est la massification de la demande qui induit la standardisation des processus de production, nuisible à l’environnement et à l’humain.
Les fermes paysannes, un modèle contre la grande distribution
Le modèle que porte « la bio », au contraire, favorise une production locale qui respecte les valeurs paysannes : travail avec la nature, collaboration entre les producteurs et autonomie alimentaire. Nicolas Girod, le porte-parole de la Confédération paysanne préconise le développement des fermes paysannes, dont l’impact environnemental et social est la priorité : « Notre système de petites fermes n’est pas en adéquation avec le monde de la grande distribution. La dérive des prix se fait au détriment de nos engagements et de la rémunération de nos travailleurs », ajoute-t-il. « Sortons du mensonge qui fait croire aux consommateurs que la qualité peut être ‘pas cher’. Ce n’est pas la réalité».
Autre critique contre « le bio » : l'eurofeuille, le label européen, est jugée trop permissive par des associations comme Greenpeace. Exigences environnementales lissées vers le bas et dérives sociales, les critiques de la feuille sont nombreuses. « On se bat avec la réglementation européenne pour qu’elle soit plus rigoureuse, assure Philippe Camburet. Il y a trop de non-sens énergétique, environnemental et sociétal avec le bio industriel. » En effet, il est possible de trouver des fruits et légumes hors-saison et cultivés hors-sol en grande distribution. « Certains produits sont récoltés par des gens qui n’ont pas accès aux minima sociaux », se désole le président de la FNAB. Les tomates bio industrielles ramassées par des ouvriers surexploités en Espagne en sont peut-être l’exemple le plus frappant.
De nouvelles réglementations européennes en 2022
En 2009, le label français AB s’est aligné sur les normes européennes, moins exigeantes. Et ce, malgré des « contraintes climatiques et sociétales différentes d’un bout à l’autre de l'Europe », d’après Philippe Camburet qui milite pour que chaque pays ait un cahier des charges spécifique. Le Parlement européen prévoit, lui, de nouvelles réglementations revues à la hausse qui devraient entrer en vigueur en janvier 2022. Au programme entre autres : renforcement des contrôles anti-fraude sur les produits européens et les importations hors UE.
Malgré tout, les grandes surfaces permettent aux consommateurs de s’accoutumer à la présence d’autres modèles d’agriculture. « Je leur reconnais le mérite de faire connaître le bio, souffle Philippe Camburet. Mais je les mets au défi de ne pas tirer notre modèle vers le bas. » Acheter du bio industriel est aussi un premier pas : « au moins, les écosystèmes, l’eau et l’air sont protégés », reconnaît le président de la FNAB. Aux acteurs de « la bio » et aux pouvoirs publics de sensibiliser les consommateurs aux bienfaits du bien-manger pour soi, les autres et l’environnement.
Éléonore Disdero