Le Forum européen de bioéthique a rassemblé, mardi 4 février, des généticiens pour aborder la question de la médecine sur mesure. Aujourd'hui, la recherche avance à toute vitesse pour mieux traiter les tumeurs.
Les thérapies ciblées contre les tumeurs se prennent par voie orale, sous formes de comprimés ou de gélules. / Photo CC by Peggy Huang
Et si notre ADN pouvait nous donner des clés pour comprendre et guérir le cancer ? Mardi 4 février, journée mondiale de lutte contre la maladie, cinq chercheurs ont abordé la question en table ronde à Strasbourg lors d’une conférence sur les progrès de la génétique. Elle avait lieu dans le cadre de l’édition 2020 du Forum européen de bioéthique, qui réunit chaque année des experts en médecine. L’occasion pour ces généticiens d’expliquer le processus de l’examen génétique pour traiter le cancer : « On le réalise quand on veut chercher dans les gènes d’un individu une variation, une altération ou une mutation, explique Stanislas Lyonnet, pédiatre à l’hôpital des enfants malades. La variation reste neutre, l’altération provoque déjà quelque chose et la mutation peut aller vers une maladie. »
Les gènes défaillants de nos ancêtres
Or, le cancer, c’est une mutation malsaine des gènes. Dans notre organisme, des cellules porteuses de notre ADN se dédoublent sans cesse pour faire pousser nos ongles, nos cheveux, et il peut parfois arriver une erreur de copie. Nous perdons alors une partie d’un gène et des protéines vitales nécessaires pendant la division cellulaire. Certains gènes nous permettent de détecter les anomalies et de supprimer les mauvaises cellules mais s’ils sont affectés, les cellules frappées par un dysfonctionnement continuent à se diviser et la tumeur fait son apparition.
Pour éviter la catastrophe, il est possible de prédire les risques de cancer au moyen d’un test génétique. L’examen ne fonctionne que pour les cancers à prédisposition héréditaire, soit 5 % des tumeurs, le plus souvent du sein ou du colon. Mais pour Thierry Frebourg, le chef de service en génétique du CHU de Rouen, il ne faut pas sous-estimer sa portée : « 5 % c’est peu, mais dans le cas du cancer du sein, on estime aujourd’hui qu’une femme sur dix peut être atteinte, et une femme sur 200 par prédisposition héréditaire. » Le gène BCRA1 augmente ainsi les risques d’un cancer du sein avant 70 ans, de 51 à 75 %.
Des thérapies pour éviter la chimio
Mais la recherche génétique voit aussi l'avènement d’une nouvelle médecine personnalisée. La science génomique, plus récente, permet désormais d’identifier directement les gènes de la tumeur. Le test génomique est donc réalisé quand le patient est déjà atteint d’une pathologie, et permet de répondre à une anomalie génétique précise et de prévenir les récidives. Le traitement appliqué est alors censé être plus approprié et plus efficace. Et surtout, il permet d’éviter le traitement, très lourd, de la chimiothérapie, en éliminant uniquement les cellules malades de l’organisme. Ces thérapies ciblées ont le vent en poupe : sur 43 autorisées depuis leur apparition dans les années 2000, 28 l’ont été entre 2012 et 2015 selon l’Institut national du cancer.
Problème, ces remèdes spécifiques traitent aujourd’hui presque quasi exclusivement des stades avancés de cancer, et ne sont pas sans effets indésirables. Leur efficacité n’est pas garantie non plus, puisque la tumeur peut résister au médicament, et refaire son apparition quelques semaines voire quelques années après.
Une efficacité encore à prouver
Mais pour développer ces thérapies, encore faudrait-il que les tests permettant d’identifier les gènes à traiter soient remboursés. En février 2019, la Haute Autorité de Santé a rendu un rapport qui estimait encore trop « prématurée » la prise en charge de ces tests génomiques. Quatre tests sont reconnus par la loi aujourd’hui en France, tous pour le cancer du sein. La HAS reconnaît leur « intérêt potentiel » dans la prévention du cancer, mais estime que les résultats actuels ne présentent pas de « valeur ajoutée » par rapport au diagnostic clinique traditionnel. Elle encourage cependant à poursuivre la recherche, et la génomique progresse à toute vitesse. « Jusqu’à il y a vingt ans, on ne pouvait lire que par petits bouts l’encyclopédie de notre organisme et cela pouvait prendre des années, à des prix très élevés, rappelle Damien Sanlaville, chef du service génétique des Hospices civils de Lyon. Mais aujourd’hui, des machines industrielles permettent de faire un séquençage massif en une semaine pour 1 000 dollars. »
Lancé par le gouvernement en 2016, le plan « Médecine France Génomique 2025 » a retenu de projets de séquençage à très haut débit du génome humain. Avec un budget de 200 à 300 millions d’euros, il ambitionne de faire de la France l’un des pays les plus engagés dans la médecine génomique. Et de lui dédier une filière nationale.
La retransmission en vidéo de la conférence sur la médecine sur mesure est disponible sur le site du Forum européen de bioéthique.
Caroline Celle