Manon a été infirmière pendant sept ans aux urgences de Strasbourg. Victime de nombreuses agressions, la jeune femme a décidé de quitter le service.
Manon Eber, 28 ans, a travaillé dans les deux services d'urgences de Strasbourg./ Photo Emma Conquet
« Je crois qu’il n’y a pas un seul truc que je n’ai pas aimé aux urgences », sourit Manon Eber. L’infirmière strasbourgeoise est passionnée par son métier : « La polyvalence, la réactivité, le travail d’équipe » mais surtout l’humain. « On est en première ligne, à l’accueil ou pour les soins. C’est un gros travail de discussion, de réassurance. » Après ses études, elle a passé sept ans aux urgences des hôpitaux de Strasbourg. Soit toute sa carrière. La soignante a d’abord officié au Nouvel Hôpital Civil, avant de rejoindre Hautepierre : « C’est beaucoup de rires, beaucoup de travail et surtout beaucoup d’organisation ! »
Pourtant, la jeune femme de 28 ans a souhaité changer de service il y a un mois, en juillet. « Je ne savais plus à quoi m’attendre en arrivant au travail. Avec le temps, la consommation des urgences a changé. On se fait insulter, on subit l’agressivité, les violences verbales voire physiques », soupire-t-elle. Elle décrit les coups et les cris qu’elle subit :
Manon Eber, infirmière, parle de son agression.
« Ça fait bizarre d’arriver sur son lieu de travail pour soigner des gens et finalement c’est toi qui doit être soignée. » Depuis, quotidiennement, Manon doit composer avec des patients violents, de plus en plus agressifs. Face à eux, la Strasbourgeoise se sent démunie. La nuit surtout, lorsqu’elle s’occupe de patients ivres, en grande situation de précarité : « A l’école d’infirmier, on t’apprend à soigner les patients. Pas à les attacher quand ils deviennent dangereux pour les autres et pour eux-mêmes. Ce qui arrive de plus en plus souvent. Tu les attaches à un brancard et tu attends que ça leur passe. »
Un vigile aux urgences
En juillet, une énième agression la pousse à quitter le service, alors qu’elle négocie depuis un an avec sa direction qui ne veut pas la laisser partir. « C’était une jeune fille, 20 ans, alcoolisée et en détresse psychologique. Elle n’a pas accepté de devoir attendre le médecin, s’est agitée. On a essayé de la calmer pendant un petit moment puis finalement j’ai appelé des renforts. A ce moment-là, elle met un coup de pied dans le visage d’une collègue puis m’agrippe la main, sachant que j’avais déjà été blessée au poignet avec trois mois d’arrêt. Là, je me suis dit qu’il fallait vraiment que j’en sorte. »
Ses supérieurs la laissent partir. Et ce en dépit des difficultés qu’ils éprouvent à retrouver du personnel pour le service des urgences, affirme la soignante : « Les infirmiers tiennent en moyenne trois ou quatre ans. Tu viens faire ton boulot, pas te faire agresser systématiquement. » Depuis une nouvelle attaque particulièrement violente subie en août par d’anciens collègues de Manon et la grève qui a suivie, les urgences de Hautepierre bénéficient d’un vigile présent en permanence.
Manon Eber a quitté le service des urgences après une énième agression./ Photo Emma Conquet
La jeune femme n’en veut pour autant pas aux patients, assure-t-elle, qui subissent autant qu’elle la situation actuelle des urgences. Et notamment le temps d’attente : « Il y a des fermetures de lits, donc ça impacte forcément. Et les premiers à qui les malades peuvent s’adresser, c’est nous. Ils patientent depuis dix, vingt-quatre heures qu’on les prenne en charge, personne n’a eu le temps de leur expliquer pourquoi ils attendent. On a des situations où certains sont perdus ou oubliés dans un coin » Les infirmiers sont les seuls qu’ils peuvent interpeller. « Ils deviennent agressifs, c’est humain. » Les urgences de Strasbourg avait été épinglées pour cette raison par la Cour des Comptes en février dernier. L’attente médiane pouvait atteindre 4 h 15, contre 2 h au niveau national.
Un système entier s’enraye. Le temps d’attente et l’insuffisance de lit mènent à un manque de brancards et fragilisent tout le fonctionnement des secours, comme le décrit Manon :
L'insuffisance de lits impacte toute la chaîne des secours.
Cette situation, des effectifs trop faibles, un salaire qui ne prenait pas en compte les risques, la violence … La Strasbourgeoise travaille désormais au service de réanimation. La soignante cumule aussi la vie d’infirmière volontaire pour les pompiers et de syndicaliste pour Force ouvrière. Preuve que son enthousiasme est toujours aussi présent qu’il y a sept ans. « De toute façon c’est un métier passion ! », rit-elle. Dynamique, elle retrouve au service de réanimation ce qui lui plaisait lors de ses débuts aux urgences : le temps de se consacrer à ses patients.
Judith Barbe