Le Nicky Larson version Philippe Lacheau sort ce mercredi au cinéma. Tout laisse à penser que l’adaptation du dessin animé culte n’aura pas grand-chose à voir avec City Hunter, son manga d’origine. Comme beaucoup d’autres œuvres japonaises édulcorées pour convenir au public français dès 1990.
Avec l’adaptation de Nicky Larson, l’un des dessins animés préférés de la génération Club Dorothée, Philippe Lacheau n’a pas choisi le défi le plus facile pour son nouveau film, qui sort ce mercredi 6 février. L’auteur et acteur principal de Babysitting s’est attiré avec ce projet beaucoup de critiques avant même la sortie du long-métrage, de la part d’internautes qui redoutaient une adaptation peu fidèle au matériel d’origine. Des critiques qui oubliaient que la version de Dorothée n’avait elle-même pas grand-chose à voir avec City Hunter, le manga dont elle est issue.
Car avant d’être rebaptisé Nicky Larson par la télévision française à sa première diffusion en 1990 sur TF1, le garde du corps s’appelait Ryô Sabeba dans le manga City Hunter, diffusé dans le Weekly Shonen Jump, le magazine référence en termes de manga. Dans cette version japonaise, l’humour s’axe principalement autour des érections fréquentes du héros, qui emmène des jeunes filles au love hôtel. Inacceptable alors pour le CSA en France. Selon Olivier Fallaix, ex-rédacteur en chef du magazine Animeland : « Dorothée devait diffuser ses émissions devant un comité de psychologues en amont de leur diffusion pour vérifier que tout allait bien. Cela a entraîné beaucoup de suppressions de passages à connotation sexuelle de Nicky Larson. »
Dans la version animée française, les love hotel sont donc curieusement transformés… en restaurants végétariens. Et ce n’est pas la seule différence : exit l’alcool - transformé en limonade-, les personnages travestis - coupés au montage - et les méchants complexes - rendus ridicules par les doublages -. Même si l’esprit originel est conservé, Nicky Larson est épuré autant que possible, comme d’autres séries du Club Dorothée. Dragonball, l’œuvre culte d’Akira Toriyama, a par exemple été privée de ses séquences les plus violentes. Quant à Ken le Survivant, dessin animé ultra violent dans un univers post-apocalyptique, il a été bourré de jeux de mots douteux pour enlever de sa gravité.
Les animés japonais passent par le filtre du CSA
« Avant, il y avait un malentendu : on voulait diffuser dans des cases jeunesse des séries qui n’était pas destinées aux enfants, détaille Olivier Fallaix. Le problème à la base, c’est qu’on n’a pas saisi à qui s’adressait la série au Japon. » Une impression confirmée par Antonin Bechler, maître de conférences au département d’études japonaises de l’Université de Strasbourg : « On présentait Nicky Larson au CSA comme une émission pour enfants, alors qu’elle s’adressait de base à un public plus mature. »
Le Club Dorothée a donc dû se mettre en adéquation avec les codes de diffusion en France, là où la télévision nippone est plus permissive. « Au Japon, on estime que la caricature et le médium qu’est l’animation créent un sas entre le spectateur et la situation présentée, qui ne se veut pas réaliste », détaille Antonin Bechler. Dans ce contexte, beaucoup d'éléments tendancieux, relevant notamment de l'humour noir, sont reçus avec plus de légèreté.
Aujourd'hui, les éditeurs japonais s'autocensurent
Si aujourd’hui le style d’animation du pays du Soleil levant est mieux perçu par les instances de régulation française, ce penchant pour la censure des animés a été conservé. « Il arrive encore qu’on cherche à gommer la moindre aspérité, confirme Olivier Fallaix. On enlève surtout les plans sur les jupes un peu courtes, les plans serrés sur la poitrine, qui ne sont pas politiquement corrects dans les pays occidentaux. »
Désormais, cette censure est plus généralisée et gérée à un niveau international. Des sociétés américaines, telles que Fumination ou 4Kids, visionnent chaque épisode, retouchent les images et les adaptent aux standards du monde entier. Dans One Piece, un anime de pirate très populaire auprès des jeunes, les cigarettes ont été remplacées par des sucettes et certaines armes par des pistolets à eau. Le tout avec l’aval des éditeurs japonais, qui ont compris qu’ils devaient s’adapter pour être diffusés à une échelle mondiale, sans qu’on arrive toutefois aux changements des années 90, où des pans entiers des épisodes étaient parfois supprimés.
Les réactions aux bande-annonces de Nicky Larson, purement inspiré de la version années 90, prouvent tout de même que l’occidentalisation des animes continue à déplaire aux puristes. Mais, curieusement, elle choque beaucoup moins côté Japon. Sur Twitter, l’idée d’une adaptation à la sauce française du manga a suscité la curiosité des internautes nippons. Et l’auteur de City Hunter lui-même, Tsukasa Hojo, a validé le projet de Philippe Lacheau, à qui il a rendu visite lors de son dernier passage en France.
Corentin Parbaud