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Dans le cambouis des europartis


28 décembre 2008

2009, année décisive

A Bruxelles, les secrétariats des partis européens servent de courroie de transmission entre les partis nationaux. Du Parti socialiste européen (PSE) aux eurosceptiques de l’UED en passant par les Verts, ces machines politiques disposent de moyens et d'effectifs variables.

Elle pianote sur son clavier d'ordinateur, téléphone sur l'épaule. Sandrine Bertin, 29 ans, est depuis mars assistante administrative au secrétariat du Parti socialiste européen (PSE). Elle occupe un bureau au deuxième étage du 98, rue du Trône à Bruxelles.
Au total, une vingtaine de secrétaires, communicants et conseillers politiques arpentent les couloirs. Ils sont Belges, Anglais, Portugais, ou Français. Tous appartiennent aux partis sociaux-démocrates, travaillistes et socialistes affiliés au PSE et assistent le secrétaire général du parti, le Français Philip Cordery. Cette semaine-là, il est en voyage en Chine après s’être rendu aux Etats-Unis pour rencontrer l’équipe du président Obama.

Réunir les positions des 33 partis affiliés au PSE

«On est une équipe très jeune car il faut avoir la santé ! Etre en contact avec les 27 pays de l'Union, les 33 partis, les ONG, les syndicats, etc. Ce n'est pas de tout repos...», s'exclame Sandrine, qui est notamment chargée des relations entre les partis membres.
La Française assiste le département politique, qui regroupe sept conseillers spécialistes de la crise financière, de l'égalité hommes-femmes ou encore du dialogue transatlantique. «On tient des réunions les lundis avec toute l'équipe administrative pour faire le point, et les mardis avec les membres du département politique, sous la houlette du secrétaire général», précise-t-elle.
Des rendez-vous qui vont conditionner son travail pour le reste de la semaine. «A l'issue de ces réunions, je fais l'inventaire des informations dont les conseillers politiques auront besoin, détaille Sandrine. J'appelle les partis nationaux concernés pour centraliser leurs positions.» Des synthèses sont ensuite transmises au secrétaire général, ainsi qu'au président Poul Nyrup Rasmussen.

Les pays de l'Est, demandeurs des synthèses du secrétariat

«On n'adopte aucune position politique sans l'aval de nos partis, insiste Sandrine. Lors de la rédaction du Manifesto (le programme de campagne pour les élections européennes de juin 2009, NDLR), le secrétariat était en contact permanent avec les partis nationaux pour trouver des compromis.» Au final, les décisions au sein du PSE se prennent entre patrons de partis nationaux, à l'unanimité. «Ils gardent la main sur notre agenda.»
Sandrine rédige aussi des notes d'information en fonction de l'actualité dans les pays de l'Union. Ce matin-là, elle termine un compte-rendu sur les élections en Roumanie et sur le problème des minorités hongroises en Slovaquie et en Hongrie. «Ce sont surtout les pays de l'Europe de l'Est qui sont demandeurs de nos travaux de synthèse», souligne-t-elle. «Leurs structures ont besoin de la machine européenne pour avancer.»
Fondé en 1992, le PSE a doublé ses effectifs entre 2007 et 2008. «On cherche encore notre fonctionnement et nos procédures. Mais surtout on s'interroge sur ce qu'on veut faire du parti», achève Sandrine.

Les Verts : devenir une force au niveau européen

Situé dans la rue qui court entre les deux bâtiments bruxellois du Parlement européen, le siège du parti vert européen (PVE) attire peu les regards. Une maisonnette d'un étage blottie dans une cour. Pas de plaque voyante, seulement une étiquette sur la sonnette. Et juste une petite affiche estampillée du logo du parti dans l’entrée de l’immeuble. Une discrétion qui contraste avec l’idée qu’on pourrait se faire d’un parti européen.
Les apparences ne sont pas trompeuses. Le PVE est encore très jeune et évolue dans l’ombre du groupe Verts/ALE au Parlement. «Le parti a peu de moyens contrairement au groupe qui est très riche», explique Helmut Weixler, chef du service de presse des Verts/ALE. Marie-Anne Isler Béguin, eurodéputée verte du grand Est, confirme ce déséquilibre : «Ce qui est visible, c’est le groupe vert, avec Daniel Cohn-Bendit. Je n’ai jamais vu une seule fois une intervention forte du parti sur quoi que ce soit.»
La jeunesse du PVE explique cette modestie. La reconnaissance du parti date seulement de 2004. Il remplace les coordinations et fédérations qui regroupaient les partis verts nationaux jusque-là. «L’ambition de devenir une force politique présente et active au niveau européen est récente», explique Juan Behrend, secrétaire général du parti vert européen dans l’une des quatre pièces du siège du parti, près du coin cuisine.

« Les leaders ne disent plus : Ça, c’est Bruxelles, on s’en fout »

La quatrième force politique européenne s’organise. Les maigres effectifs ont doublé. Le parti emploie aujourd’hui cinq personnes dont un attaché de presse et s’est même offert les services d’un directeur de campagne.
Les Conseils organisés deux fois par an, au printemps et à l’automne, ont pris une autre ampleur. Depuis mai 2006, ces espaces de discussion et de rencontres sont devenus des lieux de débats politiques et de prises de décision. C’est notamment là que les orientations et le contenu du programme commun, ont été adoptés.
Conséquence directe, les leaders ne boudent plus ces Conseils. «Ces réunions sont de plus en plus importantes pour les partis nationaux. Ils sont moins en mesure de se dire : Ça c’est Bruxelles, on s’en fout», constate-t-il.
«Avant, le seul critère pour participer à ces réunions était de savoir parler anglais, explique Juan Behrend. Aujourd’hui, ce sont les leaders des partis nationaux, les porte-paroles ou des membres de l’exécutif des partis nationaux qui se déplacent.» Parmi eux : Reinhard Bütikofer, ancien président des Verts outre-Rhin, Dominique Voynet ou encore Cécile Duflot, secrétaire générale des verts français.
«Ils sont aussi peut-être obligés de venir pour éviter qu’on n'adopte des positions qui puissent être gênantes pour eux au niveau national, précise le secrétaire du PVE. Ce n’est pas toujours pour mener les choses plus avant. Mais de toute façon c’est positif.»
Des groupes de travail et d’experts ont également vu le jour, qui ont permis d’élaborer le manifeste en vue des prochaines élections. Les groupes «économie» et «politique sociale» se sont formés au cours des deux dernières années. «Nous voudrions que ces groupes de travail deviennent des structures de fonctionnement permanentes du parti.» C'est déjà chose faite pour le groupe «politique étrangère et de sécurité» et le groupe «égalité des sexes». Celui en charge du réseau des militants est, lui, en passe de le devenir confie de son côté Ann Verheyen, secrétaire au bureau des verts.
Dans l’ombre du son puissant groupe, le parti cherche aujourd’hui à s’affirmer. Il espère une campagne réellement européenne en 2014 (nomination de candidats par les partis politiques européens, etc), seule capable, avec la politisation des institutions, de faire sortir les partis de leur relative confidentialité.

Sur la piste des eurocritiques

Rien de plus simple, en apparence, que de joindre l'Alliance européenne des démocrates (UED). Certes, l'adresse du siège du parti au Danemark a disparu du site internet lors de sa refonte début décembre, mais le téléphone de son bureau bruxellois y figure. Pourtant au bout du fil, personne ne peut donner de renseignements sur le parti. Il faut appeler directement le secrétaire général… à un autre numéro.
Sur place, au 113 de la rue du Trône, à Bruxelles, le numéro et la rue sont écrits au marqueur sur un papier scotché à la vitre. Pas d’erreur possible : une autre feuille, format A4, indique que nous sommes bien au bureau bruxellois de l’UED. Franchir le seuil demande de la détermination : la porte vitrée racle péniblement le sol avant de consentir à s’ouvrir.
A l’intérieur, on remarque les pancartes colorées d’une exposition organisée par l’UED à Berlin en 2007. Pourtant les trois personnes présentes ici ne travaillent pas pour le parti mais pour la «campagne européenne du non» au traité de Lisbonne qui loue les locaux. Une cohabitation qui n’étonne guère, vu l’engagement de l’UED contre le Traité. Le jeune homme qui nous encourageait à pousser la porte avec plus de force s’excuse, «il n’y a personne de l’UED, Juan n’est pas là».

« Des membres n'ont pas les moyens de venir à Bruxelles »

Juan Manuel Ghersinich est le secrétaire général de ce petit parti eurocritique créé par le Danois Jens-Peter Bonde. Il est aujourd’hui le seul apte à fournir des informations sur le parti. Mais comme il est aussi le seul permanent à travailler pour l'UED, il est quasiment injoignable.
Retour au Parlement européen, pour interroger les députés qui y sont affiliés. «Le principe est que chaque pays membre ait un vice-président pour que toutes les délégations soient représentées au bureau», explique la Suédoise Hélène Goudin, elle-même co-présidente de l'UED. Selon les statuts du parti, le bureau doit se réunir deux fois par an. «Tous les membres n'ont pas toujours les moyens de venir à Bruxelles, admet la députée, donc nous ne nous connaissons pas vraiment.» Elle ajoute qu'au dernier congrès de l'UED, les membres slovènes avaient dû faire le déplacement en voiture, par souci d’économie.
Même s'ils comptent six élus au Parlement européen, les partis qui composent l'UED ont peu de poids sur leur scène nationale. En Suède par exemple, «la liste de juin», parti d'Hélène Goudin, qui avait atteint 14,6% aux européennes de 2004, n'a recueilli que 0,5% des voix aux législatives suivantes. Paradoxalement, l'Europe est la condition de l'existence politique de ces souverainistes. Raison de plus pour se fédérer dans un europarti «pour présenter des listes dans tous les pays, mais aussi dans un but financier», reconnaît Hélène Goudin.

Pierre Manière, Anaëlle Penche, Gautier Demouveaux, Florent Godard, Julie Bienvenu

L’UMP place ses pions au sein de la droite européenne

Longtemps sous l’influence du souverainisme gaulliste, la droite française a délaissé l’Europe jusqu’à l’entrée des élus RPR au sein du groupe PPE-DE, lors des élections européennes de 1999. Son installation dans le parti est plus tardive encore. L’UMP met désormais les bouchées doubles pour se tailler une place aux côtés des Allemands de la CDU, des Espagnols du PP et des sociaux-chrétiens belges.
«L’intérêt pour l’europarti date de l’arrivée d’Alain Juppé, en 2002, à la présidence de l’UMP. Il a été le premier à venir assister aux sommets des leaders du PPE, raconte l’eurodéputé français, Alain Lamassoure. L’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de l’UMP en 2004 a marqué un coup d’accélérateur.»
Désormais, la stratégie est tous azimuts : investir la permanence de l’appareil, ses sommets de dirigeants, son bureau politique, ses groupes de travail et son congrès. «Nous avons décroché une vice-présidence, occupée par Michel Barnier, la présidence du groupe PPE-DE au Parlement européen tenue par Joseph Daul et un conseiller politique au siège du parti, Nicolas Briec.»

Michel Barnier, l’homme clé de l’UMP au PPE

Tête de pont de l’UMP au PPE : Michel Barnier. Aujourd’hui ministre de l’agriculture du gouvernement Fillon, il a un parcours d’europhile. Ministre délégué aux affaires européennes de 1995 à 1997, commissaire à la réforme des institutions et à la politique régionale de 1999 à 2004, et ministre des affaires étrangères en 2004 et 2005, il est l’un des dix vice-présidents de l’europarti. Lors du sommet des dirigeants PPE, il «représente personnellement Nicolas Sarkozy», tandis que François Fillon a mené la délégation UMP pendant la présidence française de l’Union.
Lors des pré-réunions PPE du Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union, Michel Barnier porte également la casquette de Bernard Kouchner, qui n’est pas membre de l’UMP. Une déception : Christine Lagarde s’est obstinément refusée à occuper son siège lors des pré-réunions PPE du Conseil Ecofin.
C’est encore Michel Barnier qui a estimé nécessaire de consolider la présence française au siège du PPE et qui a longuement négocié un poste de permanent. Trois ou quatre fois par an, il copréside les réunions du bureau politique. Le 13 novembre dernier, quatre membres de la délégation française s’y pressaient sous sa houlette. «C’est comme cela que l’on montre qu’on a de l’influence : en étant présent en nombre et en intervenant souvent», assure Olivier Ubéda, le délégué aux affaires européennes de l’UMP.
Deuxième personnage clé : l’UMP Jacques Barrot, le commissaire à la justice et aux affaires intérieures. Une fois par mois, il rencontre le président du groupe PPE-DE, Joseph Daul, le président du parti, Wilfried Martens, et les commissaires PPE. «Il a une très grande expérience politique. Il contribue beaucoup à la recherche des consensus et c’est très utile», dit Françoise Grossetête, eurodéputée UMP.

Le chemin est encore long

Troisième poids lourd : Joseph Daul, président du groupe PPE-DE au Parlement européen. Il peut compter sur le travail d’Alain Lamassoure qui fait le lien entre la délégation des eurodéputés UMP et l’europarti. «C’est un personnage important, dit de ce dernier le secrétaire général du parti, Antonio Lopez Isturiz. Son adhésion européenne est connue et reconnue. Il est très actif au sein du PPE.» Membre du bureau politique du PPE, Alain Lamassoure est rapporteur de son groupe de travail, chargé d’élaborer un programme commun pour les élections européennes. Il veille à l’assiduité des délégués de l’UMP : Jacques Toubon, Françoise Grossetête, Thierry Mariani et Fabienne Keller. Enfin, il assure la coordination avec les groupes du Parlement français via Hubert Haenel et Pierre Lequiller, respectivement présidents de la délégation des affaires européennes au Sénat et à l’Assemblée nationale, eux aussi membres du bureau politique. Depuis Paris, Olivier Ubeda, assure la logistique de la machine.
Le chemin à parcourir pour asseoir l’influence de l’UMP dans l’europarti est encore long. Selon Thierry Mariani, délégué aux relations internationales à l’UMP, «quand la CDU allemande affiche une dizaine de permanents dévoués aux affaires européennes depuis plusieurs années, l’UMP n’en a que deux, qui doivent se partager entre les relations internationales et les affaires européennes, et encore, depuis 2007». Un conseiller UMP regrette, lui, que la France «ne joue qu’au coup par coup, alors que les Allemands et les Espagnols jouent un billard à deux bandes». Autrement dit, les Allemands et les Espagnols ont toujours deux coups d’avance.

Chloé Fabre, à Bruxelles

L'engagement européen en dents de scie du Parti socialiste

Alors que le Parti socialiste n’avait pas encore réuni ses troupes, le Manifeste, programme électoral du Parti socialiste européen, a été adopté à Madrid, le 1er décembre. Martine Aubry a été élue une semaine avant le lancement de la campagne socialiste européenne. Même si sa présence à Madrid a rassuré ses camarades européens, le PS éprouve quelques difficultés à s’identifier au PSE.
«Vamos a gañar, compañeros» (nous allons gagner, camarades). A Madrid, Martine Aubry a témoigné de son attachement à l’Europe et à la grande famille du PSE. La nouvelle première secrétaire du PS a été ovationnée durant ce grand meeting européen, entre autres par Poul Nyrup Rasmussen et José Luis Zapatero, chef du gouvernement espagnol.

L'Europe absente des débats

Le congrès du PSE était la première sortie de Martine Aubry après son élection. Un moyen de prouver que le Parti socialiste français a toute sa place chez les socialistes européens. Durant ce congrès, les Français se sont clairement exprimés en faveur d’un président de la Commission issu de la mouvance socialiste. Mais c’est à l’intérieur du Parti socialiste français que l’engagement européen connaît quelques limites. Au lendemain du congrès de Madrid, le responsable de l’Europe vient de changer. Martine Aubry a nommé Jean-Christophe Cambadélis à ce poste laissé vacant par Pierre Moscovici depuis le 6 décembre 2007.
Bernard Poignant, président des socialistes français au Parlement européen, déplore que le Congrès de Madrid n’ait pas été davantage préparé par ses camarades français.

Il faut se rappeler de la campagne référendaire de 2004 sur le traité pour une constitution européenne qui avait scindé le parti en deux camps : ouistes et nonistes. Depuis,l’Europe est quasi-absente des débats socialistes et n’a même pas été évoquée lors du dernier congrès de Reims. L’adoption par le PS du "traité simplifié" devait mettre fin aux querelles mais les divisions demeurent.

Des listes en stand-by pour les élections de juin

A six mois des élections européennes, les socialistes français n’ont pas encore constitué de listes. Du côté du parti, on évoque comme explication les échéances de ces derniers mois. Mais la vérité est que les liens entre le parti socialiste français et son frère européen ne paraissent pas si naturels à bon nombre de socialistes. Jean-Louis Bianco, ancien co-directeur de campagne de Ségolène Royal, le reconnaît avec philosophie.

Beaucoup plus critique, Benoît Hamon, ancien chargé d'Europe du PS, estime que les relations entre le parti et le PSE ne vont pas de soi. Il a démissionné en 2007 de son poste de secrétaire chargé aux affaires européennes du PS après la décision du Parti de soutenir l’adoption par voie parlementaire du traité simplifié.

Mais la nouvelle direction affirme que les choses bougent. Le 6 décembre dernier, pour faire taire les mauvaises langues, Martine Aubry a nommé Zita Gurmai, députée européenne socialiste hongroise et présidente du PSE femmes, secrétaire nationale aux droits des femmes. Une nomination qu’elle juge symbolique «de l’engagement européen du PS».

Mariam Pirzadeh, à Madrid

 

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